Laurent CHOUBRAC & Jean-Christophe PAGNUCCO
"Funambules"
Je croyais avoir épuisé tous les superlatifs lorsque j'avais chroniqué Miettes d'éternité en ces colonnes (septembre 2022) mais je crois que je vais devoir en trouver de nouveaux avec Funambules, le nouveau double album de Laurent Choubrac et Jean-Christophe Pagnucco. Depuis leur précédent opus, les deux amis se sont produits de plus en plus souvent ensemble sur scène, et cela se sent dans la complicité qui les unit pour mettre en valeur des compositions, toujours de très haut niveau, paroles et musique. Est-ce de l'americana à la française, comme ils le disent? Est-ce de la chanson française moderne qui puise ses racines dans un passé au couleurs rock, folk, blues et country? Qu'importe l'étiquette, pourvu qu'on ait le plaisir, et ce dernier est au rendez-vous tout au long des vingt-deux titres. Comme d'habitude, Laurent et Jean-Christophe font (presque) tout tous seuls: compositions, instruments, chant avec leurs choristes Océane Baron et Dorothée Véron. Il faut noter cependant deux nouveautés importantes. La première est que Stéphane Ferronnier joue de la batterie sur bon nombre de titres (18). La seconde est que Jean-Christophe a offert une composition à Dorothée (Tu me fascines) et une autre à Océane (Faite comme ça). En dehors de cela, tout juste peut-on noter la présence de l'harmonica d'Yves Roux (J'ai quitté les miens) et du violon de Margot Desnos (La danse). Quant aux chansons, elles rivalisent de qualité tant sur le plan des textes, sérieux, humoristiques, tendres, nostalgiques, mais toujours intelligents, que des mélodies et des arrangements. S'il faut en citer quelques-uns, je commencerai par le premier, Un nouveau décor (Laurent), un folk song en forme de road trip musical, qui place la barre très haut mais plante, précisément, le décor de ce qui va suivre. Avec Indélébile, Jean-Christophe nous dresse une forme de bilan de sa vie, d'une manière étonnante quand on sait que la chanson a été écrite il y a vingt-cinq ans, ce qui dénote d'une faculté d'observation et d'une maturité précoce qu'on ne rencontre que chez les plus grands (cf. My Back Pages de Bob Dylan ou Hello In There de John Prine). Le mur en bas de chez moi et Chanter avec vous démontrent que Laurent n'est seulement un de nos excellents auteurs-compositeurs mais qu'il manie aussi avec talent la guitare électrique. Le Pays Haut est peut-être la chanson qui me touche le plus parce qu'elle évoque des lieux qui me sont familiers, ceux du bassin minier de Lorraine (Longwy pour Jean-Christophe) où la fraternité et l'humanité régnaient. Cette chanson est à ranger aux côtés d'autres trésors que sont Les mains d'or (Lavilliers) ou Monsieur Boulot (Frasiak). Un peu plus loin, Le train du temps (où Jean-Christophe est accompagné des seules guitares acoustiques de Laurent et lui-même) est un autre grand moment de beauté nostalgique où l'auteur évoque les amis perdus, le temps qui ne reviendra pas, sa mère ou son instit' trop sévère, les copains, les voyages et les concerts, avant de parler de son fils, des souvenirs qui sont les siens et de la trace qu'il a envie de laisser. Dans la même tonalité, Laurent enchaîne avec J'ai quitté tous les miens: "J'ai quitté tous les miens, j'ai pris la route un soir / J'ai quitté tous les miens, trouvé un peu d'espoir / J'ai quitté tous les miens, dit adieu à mes amis / Mais sur cette route, je n'ai trouvé que le blues". Je peux encore citer La danse, une magnifique chanson d'amour allégorique, avec juste deux guitares acoustiques et un violon. Chaque disque se termine par une chanson qui donne envie de remettre le suivant (ou le précédent). Il y a La chanson de Reggae (dédiée par Jean-Christophe, avec un grand sourire, au chien de Laurent), aux accents de country music avec un banjo qui entonne quelques notes de Oh Susannah. Quant à Appelle-moi, de Laurent, ode à l'amitié, elle permet aux quatre vocalistes, chacun(e) à son tour, de se mettre en lumière. Je ne sais pas si nos deux amis ont eu le vertige en enregistrant Funambules ("Funambules nous marchons sur un fil / Funambules, toujours en équilibre / Parfois si fragiles, le vide à nos côtés / Parfois si fragiles, le vent peut nous emporter"), ni s'ils ont eu le blues en chantant Danser le diable (Au creux de mon épaule), je sais seulement qu'ils ont encore réussi un sacré tour de force musical en offrant ce qui restera pour moi un des meilleurs disques de l'année, tous genres confondus.
"Shooting Star"
Benjamin Tod a une vie musicale bien remplie depuis une quinzaine d'années. Il a été à la tête de Black Heart Rebellion, Never Say Surrender, Spit Shine, Barefoot Surrender, The Teardrop Trio et surtout The Lost Dog Street Band, la plupart du temps avec sa compagne, la violoniste Ashley Mae. De nombreux enregistrements jalonnent ce parcours, certains, au début, ayant été diffusés sur MySpace. Benjamin a quand même trouvé le temps d'enregistrer trois albums totalement solo: I Will Rise (2017), A Heart Of Gold Is Heart To Find (2019) et Songs I Swore I'd Never Sing (2022). En 2022, après l'album Glory du Lost Dog Street Band, Benjamin a considéré qu'il était temps de mettre fin à la vie du groupe et d'enregistrer un nouvel album sous son nom mais, cette fois-ci, entouré d'autres musiciens, parmi lesquels John James Tourville (pedal steel, mandoline et guitares), Chris Scruggs (pedal steel et guitares), Billy Contreras (fiddle), Jeff Taylor (piano et accordéon), Dave Racine (batterie), Jack Lawrence et Dennis Crouch (basses) et même Sierra Ferrell qui chante en duo sur One Last Time. Dès l'introduction de I Ain't The Man, on est plongé dans la country music classique de la meilleure eau, aussi bien pour le thème que pour l'instrumentation. On retrouve le même climat dans Back Toward The Blue ou le tendre et apaisant Nothing More, alors que Mary Could You est un boogie-rock porté par le piano de Jeff Taylor. Le sautillant Satisfied With Your Love permet un dialogue très Texas swing entre piano et pedal steel guitare. Saguardo's Flower et Shooting Star ont un climat plus calme et intimiste, avec un côté sombre que l'on retrouve dans Like It Or Not, qui permet à Benjamin de mettre en valeur ses qualités de raconteur d'histoires. L'album se termine avec One Last Time où les voix de Benjamin et Sierra sont rejointes par un chœur féminin au parfum gospel. Apaisé et libéré de ses démons (drogue et alcool), Benjamin Tod démontre avec Shooting Star qu'il est prêt à reprendre le flambeau de la belle country music, comme son ami Jesse Daniel avec lequel il vient d'enregistrer deux superbes duos.
"Survived"
Benjamin Tod avait enterré son groupe après Glory, en 2022 mais, après avoir enregistré son quatrième album solo, il a éprouvé le besoin de redonner vie à son Lost Dog Street Band parce qu'il avait en réserve un certain nombre de compositions qu'il a estimées faites pour le groupe. C'est donc tout naturellement que notre homme (chant et guitare) s'est retrouvé en studio avec Ashley Mae (fiddle et voix), Jeff Loops (contrebasse et voix), Ben Duvall (batterie) et John James Tourville (pedal steel, lap steel, guitares, mandoline, percussions) pour donner vie à cet album inespéré, justement intitulé Survived. C'est avec une énergie toute neuve et de nouvelles méthodes d'enregistrement (principalement live en studio, sans overdubs) que l'album a pris vie en cinq jours d'avril 2023, à Nashville. C'est le fiddle d'Ashley qui ouvre le bal pour Brighter Shade, et sa présence est le principal atout du groupe pour mettre en valeur les compositions toujours inspirées de Benjamin, au nombre de neuf avec, en prime, une reprise de Hubbardville de Larry Murray. Le son du groupe, sans rien perdre de son mordant, est plus poli qu'aux débuts, oscillant entre old-time, bluegrass (Lost Train avec son introduction a cappella), ballades country (Lonely Old Soul, If You Live Me Now) et folk (Lifetime Of Work). J'aimerais encore citer la chanson Survived qui referme l'album. Ce disque est une autre preuve du grand talent de Benjamin Tod et de sa capacité à se renouveler, mais aussi d'Ashley Mae qui constitue avec lui un couple dont la complémentarité musicale brille comme une évidence.
"Midnight Train"
Tony Grieco a fait le choix de composer et chanter en anglais. Ce vétéran de la scène, par ailleurs excellent confrère chroniqueur, promène ses guitares sur les scènes, essentiellement parisiennes, depuis des lustres et nous offre aujourd'hui un album, Midnight Train, qui est une véritable photo panoramique des musiques américaines. Les premières notes du morceau-titre ne laissent planer aucun doute. On est de l'autre côté de l'Atlantique, dans un folk-rock plein d'âme qui nous ramène au meilleur des années 70. Tony a écrit toutes les chansons, paroles et musique, à l'exception du texte de Going Home For Love (écrit par Rebecca Morrison) et de celui de If The Road Could Turn (écrit par Héléna O'James et chanté par Sonya Heller). Il s'est entouré de quelques amis comme Michel Montvignier (basse), Anthony Beauvarlet (batterie), les sœurs Héléna O'James (voix) et Chloé Aujames (piano et voix) et de quelques pigistes de talent comme Nathan Cambruzzi (harmonica sur le bluesy Gimme Your Love) ou José Alvarez (orgue Hammond, claviers, arrangements de cordes sur Going Home For Love). Au long des quinze titres (l'album est long, plus long que prévu au départ, mais jamais lassant), Tony Grieco démontre avec une grande sensibilité sa connaissance et surtout son amour des musiques américaines, qu'il s'agissent du folk à la Woody Guthrie et Bob Dylan (dont il est un fin connaisseur), comme dans This Land Of Plenty et Wounded Knee Massacre, les ballades qui évoquent les grands espaces et le rock californien (Midnight Train, Follow Me Down), le blues (Gimme Your Love, I Remember You), les instrumentaux (Indian March où il joue de la slide, et Out Of The City avec Manu Bertrand au dobro), les chansons plus tendres (Hey Lady, Oh Sweet Angel) et même un rock à la Chuck Berry (Red Hair And A Pink Guitar). Excellent guitariste et chanteur sensible, l'ami Tony nous offre un album qui est aussi un véritable acte d'amour que l'on se doit d'apprécier sans modération.
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