lundi 21 mai 2012

Bee Gees – Odessa (1969)

Chronique parue dans Xroads #16 (février 2009)




BEE GEES *****
Odessa (Special 40th Anniversary Edition)
Reprise : Rhino Records
Attention, chef d'œuvre!

Les frères Gibb tiennent une place à part dans ma relation avec la musique et Odessa est le disque avec lequel tout a vraiment commencé. Les Bee Gees avaient, depuis 1967, enchaîné tube sur tube sans jouir, en France du moins, de la réputation qu'ils méritaient: groupe pour minettes, tout juste bons à animer les booms du samedi soir, ils étaient méprisés dans notre pays. Dans le même temps, les Allemands les considéraient comme supérieurs aux Beatles et les Américains les classaient parmi les groupes underground. 

Pour beaucoup, ils ne sont remémorés aujourd'hui que comme un groupe disco alors qu'ils n'ont en fait amorcé vers 1976 qu'un virage funky récupéré par la fièvre du mouvement disco. Mais c'est une autre histoire. 

Revenons à l'été 1969. Neil Armstrong marche sur la lune, Jimi Hendrix met le feu à Woodstock et les Bee Gees explosent en plein vol, peu après la parution de leur grand œuvre: Odessa. Trop de succès, trop jeunes (à l'époque, les jumeaux Robin et Maurice n'ont pas 20 ans), des égos qui enflent et génèrent des conflits ingérables. Vince Melouney, le guitariste part "à l'amiable" pour divergences musicales (il a une sensiblité blues-rock alors que les frères Gibb veulent garder une orientation plus commerciale); Colin Petersen, le batteur, est débarqué sans ménagement. Bref clap de fin, provisoire. Et Odessa, le dernier grand album des sixties, même si peu le savent, tente de tracer sa voie, incompris.


40 ans après, cet album reçoit enfin le traitement qu'il mérite, grâce à Rhino Records (qui avait déjà soigné de la même façon les trois premiers albums du groupe). Un contenant digne de l'original (pochette en velours rouge et lettres d'or) avec un livret passionnant à feuilleter. Du contenu, on peut discuter. Rien à dire (si ce n'est du bien) sur le premier CD: c'est l'original (exhaustif, la version européenne disponible du CD faisait l'impasse sur un morceau orchestral), remastérisé, avec un son époustouflant. Le deuxième CD est plus discutable (pour moi, tout à fait dispensable): c'est le même disque en version mono. Quant au troisième, c'est évidemment celui qui ravira les fans. 23 titres: 16 des 17 originaux (seul manque « The British Opera ») sont présentés en versions alternatives (démo, alternate mix ou alternate version), presque toujours intéressantes. Je retiendrai surtout « Barbara Came To Stay », première version de « Edison », la démo de « Lamplight », sans l'introduction chantée en Français ("Allons viens encore chérie / J'attendrai an après an / Sous la lampe dans la vieille avenue"), la version vocale de « With All Nations (International Anthem) », la démo de « Black Diamond » qui nous montre bien comment un titre peut évoluer jusqu'à sa version finale. Et puis il y a les 2 vrais inédits, « Nobody's Someone » et « Pity », tous deux chantés par Barry, qui ne déparent pas l'ensemble. 



Mais revenons à l'album original qui confirme magistralement le savoir-faire et le talent de Barry, Robin & Maurice Gibb. On connaît leur sens de la mélodie, incomparable. On apprécie leurs harmonies à trois voix qui suscitent même l'admiration d'un expert tel que Brian Wilson. On ignore en revanche trop leurs qualités de lyricistes: les textes sont souvent originaux, tant dans les thèmes abordés que dans la forme, réellement poétiques, et jamais mièvres, même quand ils sont simples. Et avec Odessa, on découvre leur capacité à aborder des styles musicaux très différents. Des titres à la dimension épique, comme « Odessa (City On The Black Sea) » (plus de 7'30"), « Black Diamond »; des morceaux à la coloration country (« Give Your Best ») ou rock (« Marley Purt Drive ») et ces petits chefs d'œuvre d'harmonie et de mélodie que sont « Edison » ou « Melody Fair ». Je ne citerai pas tout. Il y a encore trois titres orchestraux, et puis le seul qui a eu l'honneur des hits, « First Of May », pas le meilleur choix, sans doute. Ce choix, non admis par Robin qui eut préféré qu'il portât sur "son" « Lamplight » rétrogradé en face B, précipita d'ailleurs le split du groupe. 

Quoi qu'il en soit, il n'est pas trop tard pour découvrir Odessa, loin du contexte qui a présidé à sa sortie originelle. Pour moi, ce disque mérite 5 étoiles (et même 6 si c'était possible). Si je ne lui en donne finalement que 4, c'est parce que son contenu est trop copieux: on n'est certes pas obligé d'écouter la version mono, mais son inclusion n'est pas neutre sur le prix, qui rebutera sans doute les non-inconditionnels du groupe, de ce superbe objet.

À classer près de Revolver, Aftermath, Arthur et Highway 61 Revisited, autres grands albums des sixties.

Sam Pierre

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