BEE GEES
*****
Odessa
(Special 40th Anniversary Edition)
Reprise : Rhino Records
Attention, chef d'œuvre!
Les frères Gibb tiennent une
place à part dans ma relation avec la musique et Odessa est le disque
avec lequel tout a vraiment commencé. Les Bee Gees avaient, depuis 1967,
enchaîné tube sur tube sans jouir, en France du moins, de la réputation qu'ils
méritaient: groupe pour minettes, tout juste bons à animer les booms du samedi
soir, ils étaient méprisés dans notre pays. Dans le même temps, les Allemands
les considéraient comme supérieurs aux Beatles et les Américains les classaient
parmi les groupes underground.
Pour beaucoup, ils ne sont remémorés aujourd'hui
que comme un groupe disco alors qu'ils n'ont en fait amorcé vers 1976 qu'un
virage funky récupéré par la fièvre du mouvement disco. Mais c'est une autre
histoire.
Revenons à l'été 1969. Neil Armstrong marche sur la lune, Jimi
Hendrix met le feu à Woodstock et les Bee Gees explosent en plein vol, peu
après la parution de leur grand œuvre: Odessa. Trop de succès, trop
jeunes (à l'époque, les jumeaux Robin et Maurice n'ont pas 20 ans), des égos
qui enflent et génèrent des conflits ingérables. Vince Melouney, le guitariste
part "à l'amiable" pour divergences musicales (il a une sensiblité
blues-rock alors que les frères Gibb veulent garder une orientation plus
commerciale); Colin Petersen, le batteur, est débarqué sans ménagement. Bref
clap de fin, provisoire. Et Odessa, le dernier grand album des sixties,
même si peu le savent, tente de tracer sa voie, incompris.
40 ans après, cet
album reçoit enfin le traitement qu'il mérite, grâce à Rhino Records (qui avait
déjà soigné de la même façon les trois premiers albums du groupe). Un contenant
digne de l'original (pochette en velours rouge et lettres d'or) avec un livret
passionnant à feuilleter. Du contenu, on peut discuter. Rien à dire (si ce
n'est du bien) sur le premier CD: c'est l'original (exhaustif, la version
européenne disponible du CD faisait l'impasse sur un morceau orchestral),
remastérisé, avec un son époustouflant. Le deuxième CD est plus discutable
(pour moi, tout à fait dispensable): c'est le même disque en version mono.
Quant au troisième, c'est évidemment celui qui ravira les fans. 23 titres: 16 des
17 originaux (seul manque « The British Opera ») sont présentés en
versions alternatives (démo, alternate mix ou alternate version), presque
toujours intéressantes. Je retiendrai surtout « Barbara Came To Stay »,
première version de « Edison », la démo de « Lamplight »,
sans l'introduction chantée en Français ("Allons viens encore chérie /
J'attendrai an après an / Sous la lampe dans la vieille avenue"), la
version vocale de « With All Nations (International Anthem) », la
démo de « Black Diamond » qui nous montre bien comment un titre peut
évoluer jusqu'à sa version finale. Et puis il y a les 2 vrais inédits, « Nobody's
Someone » et « Pity », tous deux chantés par Barry, qui ne
déparent pas l'ensemble.
Mais revenons à l'album original qui confirme
magistralement le savoir-faire et le talent de Barry, Robin & Maurice Gibb.
On connaît leur sens de la mélodie, incomparable. On apprécie leurs harmonies à
trois voix qui suscitent même l'admiration d'un expert tel que Brian Wilson. On
ignore en revanche trop leurs qualités de lyricistes: les textes sont souvent
originaux, tant dans les thèmes abordés que dans la forme, réellement poétiques,
et jamais mièvres, même quand ils sont simples. Et avec Odessa, on
découvre leur capacité à aborder des styles musicaux très différents. Des
titres à la dimension épique, comme « Odessa (City On The Black Sea) »
(plus de 7'30"), « Black Diamond »; des morceaux à la coloration
country (« Give Your Best ») ou rock (« Marley Purt Drive »)
et ces petits chefs d'œuvre d'harmonie et de mélodie que sont « Edison »
ou « Melody Fair ». Je ne citerai pas tout. Il y a encore trois
titres orchestraux, et puis le seul qui a eu l'honneur des hits, « First
Of May », pas le meilleur choix, sans doute. Ce choix, non admis par Robin
qui eut préféré qu'il portât sur "son" « Lamplight »
rétrogradé en face B, précipita d'ailleurs le split du groupe.
Quoi qu'il en
soit, il n'est pas trop tard pour découvrir Odessa, loin du contexte qui
a présidé à sa sortie originelle. Pour moi, ce disque mérite 5 étoiles (et même
6 si c'était possible). Si je ne lui en donne finalement que 4, c'est parce que
son contenu est trop copieux: on n'est certes pas obligé d'écouter la version
mono, mais son inclusion n'est pas neutre sur le prix, qui rebutera sans doute
les non-inconditionnels du groupe, de ce superbe objet.
À classer près de Revolver,
Aftermath, Arthur et Highway 61 Revisited, autres grands
albums des sixties.
Sam Pierre
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