dimanche 7 avril 2024

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Danny BURNS

"Promised Land" 

Danny Burns est un guitariste et chanteur irlandais établi depuis plus de vingt ans aux États-Unis. Il avait enregistré en 2019 North Country, un premier album qui m’avait beaucoup plu (Le Cri du Coyote 161). Ses goûts le portent naturellement vers le bluegrass mais sa voix lui permet d’élargir son univers musical. Son chant avait des influences soul /newgrass dans North Country qui était un album de compositions personnelles. Il est plus pop dans Promised Land, en raison du répertoire constitué de reprises rock et country. Il s’est à nouveau entouré de musiciens bluegrass: Scott Vestal (banjo), Billy Contreras et Tim Crouch (fiddle), Tony Wray (guitare), John Methany (dobro) et Matt Menefee (dobro, mandoline). Trois splendides réussites sont à mettre au crédit de Danny Burns, à commencer par une surprenante adaptation de Someone Like You d’Adele, chantée avec Tim O’Brien et bénéficiant des bonnes contributions de Menefee à la mandoline et Contreras. La voix gratte un peu dans Some Might Say et ça va très bien à cette chanson d’Oasis complètement transformée en bluegrass rapide. Come To Jesus est une reprise d’un titre de Mindy Smith qui a eu une petite carrière country mais qui est surtout connue comme songwriter bluegrass et country. Le dobro, le fiddle et surtout le duo vocal avec Sam Bush rendent la version de Danny Burns particulièrement intense. Dans un autre genre, beaucoup plus calme, j’ai aussi aimé Nothing But A Child de Steve Earle que Burns chante avec son épouse Aine (qui prépare un album solo). On retrouve Tim O’Brien en duo avec Burns dans une reprise de Fields of Gold assez conventionnelle (cette chanson de Sting a connu de nombreuses versions bluegrass) et Magnolia de Guy Clark, arrangé avec un accordéon. Le blues Lifeline n’est pas mal mais Bryan Simpson (leader du groupe Cadillac Sky) n’est pas à la hauteur de Burns comme partenaire vocal. Promised Land est une chanson country arrangée avec une pedal steel qui m’a paru anecdotique. Je n’aime pas beaucoup le standard Danny Boy mais la version de Danny Burns, plus rythmée que celles que je connais, est plutôt réussie, avec encore une fois la participation de Tim O’Brien. La seule vraie erreur dans ce répertoire plutôt audacieux est Dirty Old Town. Même avec la mandoline de Sam Bush et le talent des autres musiciens, la version gentillette de Burns ne tient pas la route quand on a celle de Shane MacGowan et des Pogues dans l’oreille. 

 

JACKSON HOLLOW

"Roses" 

Jackson Hollow est un groupe canadien (Colombie Britannique) dont l’atout essentiel est sa chanteuse Tianna Lefebvre. Les arrangements sont bluegrass mais Tianna chante comme une chanteuse country, avec une puissance qui n’empêche pas les nuances (la chanson Roses en donne un très bel exemple). On peut rapprocher sa voix de celle de Pam Tillis dont elle reprend d’ailleurs Put Yourself In My Place. Le groupe est composé de son mari, Mike Sanyshyn (fiddle, mandoline), Eric Reed (guitare, banjo) et Charlie Frye (contrebasse). Ils reçoivent le soutien sur plusieurs chansons du banjoïste Jeff Scroggins et du dobroïste Michael Kilby. L’apport de Scroggins est particulièrement remarquable dans la reprise de Can’t Stop Now, titre emblématique de New Grass Revival et le dobro convient bien au feeling country de la plupart des chansons. Le talent des musiciens de Jackson Hollow n’est pas non plus à négliger. Au fiddle, Mike Sanyshyn est excellent dans A Heartache In The Works, une reprise de Randy Travis, et Travellin’ Heart, le titre le plus bluegrass de l’album. Au banjo, Eric Reed s’adapte bien à l’esprit country en jouant un picking au drive judicieusement atténué dans la ballade For The Life Of Me et le blues Pour It To Me Straight. Les harmonies vocales contribuent également à la réussite de Roses, album de bluegrass à offrir aux amateurs de country. 

 

SPECIAL GOSPEL

Depuis Bill Monroe et les débuts du bluegrass, le gospel est partie intégrante du bluegrass. Encore aujourd’hui, peu nombreux sont les groupes qui se dispensent d’en chanter. Comme les instrumentaux ou le swing, il apporte une variété bienvenue au répertoire des groupes. Pour peu qu’il y ait une bonne voix de basse dans la formation, les quartets vocaux (parfois a cappella) font d’ailleurs souvent partie des favoris du public. Régulièrement, des formations bluegrass enregistrent un album entier consacré au gospel. L’actualité (relative pour l’album de Authentic Unlimited qui date de 2022) nous en propose trois, tous œuvres de groupes de premier plan. 

 

HIGH FIDELITY

"Music In My Soul" 

Guère étonnant qu’un groupe de jeunes musiciens comme High Fidelity, toujours en costume-cravate pour les hommes et robe en-dessous du genou pour les dames, et portant haut le flambeau du bluegrass traditionnel, consacre son quatrième album au gospel. En utilisant toutes les formules du chant solo au quartet, en jouant sur les différentes combinaisons de voix masculines et féminines, et avec des tempos majoritairement entrainants, Music In My Soul est un album varié et tout-à-fait convaincant. Le duo constitué par le guitariste Jeremy Stephens et son épouse violoniste Corrina Rose est au cœur de nombreux arrangements. Ils interprètent cinq chansons en duo dont trois titres joyeux particulièrement réjouissants : I’m Ready To Go, My Lord Is Taking Me Away (une reprise de The Lewis Family) et l’accrocheur et pétillant The Mighty Name Of Jesus (composition de Corrina Rose). Comme dans tout bon disque gospel, les quartets sont à l’honneur avec notamment Walking With My Savior proche du style de Quicksilver et I’ll Be No Stranger There dans un arrangement qui fleure bon les années 50, bien dans l’esprit de High Fidelity. I’m A Pilgrim chanté a cappella n’est pas mal non plus. En revanche, l’harmonie haut perchée de Corrina Rose dans Music In My Soul fait franchement "voix de messe". Ce n’est évidemment pas hors contexte mais, esthétiquement, c’est loin d’être ce que je préfère. Il y a un bon trio mixte dans une reprise de Jim & Jesse, Are You Lost In Sin. Plusieurs tempos rapides et plus encore l’instrumental There Is Power In The Blood permettent aux musiciens de High Fidelity de montrer tout leur talent. Kurt Stephenson est un des meilleurs spécialistes du style Scruggs et il a un son tout simplement idéal. Corrina Rose est une excellente violoniste et elle m’a semblé encore en progrès par rapport aux albums précédents. Et Vickie Vaughn a été élue non sans raison contrebassiste de l’année par IBMA il y a quelques mois. L’album s’achève sur une reprise des Bailes Brothers, We’re Living In The Last Days Now, chantée en solo. Je ne sais pas qui est le chanteur (peut-être Stephenson) mais il a un timbre très proche de celui d’Alan O’Bryant à la grande époque de Nashville Bluegrass Band et c’est une merveilleuse manière de clore Music In My Soul

 

AUTHENTIC UNLIMITED

"Gospel Sessions Vol. 1" 

Le contrebassiste Jerry Cole, le banjoïste Eli Johnston et le fiddler Stephen Burwell ayant tous été membres de l’ultime version de Doyle Lawson & Quicksilver, il est logique qu’ils aient, dès les débuts de leur nouvelle formation, Authentic Unlimited, consacré un album au gospel, la grande spécialité de Quicksilver. Gospel Sessions Vol. 1 est sorti le même jour que l’album sans titre chroniqué dans ces colonnes en février 2023. Ce sont les chants à quatre voix qui ont fait la réputation de Quicksilver et Authentic Unlimited a arrangé trois des dix titres de l’album en quartet. What Wonderful World est interprété a cappella de façon impeccable mais sans grand relief. Je lui ai nettement préféré Hold On (une des trois compositions de Jerry Cole) qui swingue merveilleusement et God Told Nicodemus, également a cappella, qui reprend l’arrangement du Golden Gate Quartet avec les voix qui se répondent. La voix de basse de Jesse Brock (mandoline) et l’harmonie ténor de John Meador sont particulièrement bien mises en valeur dans ces deux titres. Meador, seul à la guitare, chante de façon magnifique Jonas, une composition de Dean Dillon (qui a écrit de nombreux succès de George Strait). The Key et Ready ont un arrangement légèrement countrifié par l’ajout d’une batterie. On retrouve la belle voix de Meador (les autres titres sont pour la plupart chantés par Cole qui est aussi un très bon chanteur)) dans le classique Washed In The Blood (enregistré entre autres par Flatt & Scruggs) et You’ll Find Me dont le punch doit autant à l’arrangement vocal en trio qu’au talent instrumental des musiciens de Authentic Unlimited. Cole, Meador, Johnston, Brock et Burwell s’affirment avec ce premier album gospel comme les dignes héritiers de Doyle Lawson. Le second devrait sortir dans les prochains jours. 

 

The STEELDRIVERS

"Tougher Than Nails" 

Le nouvel album des SteelDrivers est certes 100 % gospel mais c’est avant tout un album des SteelDrivers. Ils chantent la religion comme ils chanteraient qu’ils ne seraient jamais allés à Birmingham si ce n’est par amour. Les Steeldrivers ont d’autant plus de mérite à être fidèles à leur style que Matt Dame est le quatrième chanteur en presque vingt ans et six albums. Il a une grosse voix blues comme Chris Stapleton et Gary Nichols avant lui. Sans trahir ce style, Kevin Damrell qui chantait sur le précédent disque, Bad For You, avait un registre plus aigu qui le rapprochait davantage des chanteurs habituels de bluegrass. Avec Dame, on est vraiment dans la lignée de Stapleton et Nichols, mais avec un chant blues plus naturel, moins forcé, que j’apprécie beaucoup. Elle met très bien en valeur les compositions de l’excellente violoniste Tammy Rogers, la plupart coécrites avec Thomm Jutz. La marche était haute mais, comme auteur compositeur, elle a pris avec succès le relais de Stapleton et Mike Henderson, partis après les deux premiers albums (avec la réussite que l’on sait pour Stapleton). Parmi les compos de Rogers et Jutz, Magdalene et la valse 30 Silver Pieces ont de très jolies mélodies, superbement accompagnées par le fiddle de Rogers, le banjo de Richard Bailey et la mandoline de Brent Truitt. Toujours de Rogers et Jutz, Tougher Than Nails est une marche blues rendue intense par la voix de Dame et At The River est relevé par des chœurs qui ne sont pas dans la tradition bluegrass. Les harmonies vocales donnent encore plus de puissance à Somewhere Down The Road. La ballade His Eye Is On The Sparrow est davantage dans le style de Larry Cordle. Les Steeldrivers ont inclus deux classiques interprétés dans un style plus conforme à la tradition gospel (Just A Little Walk With Jesus et Farther Along), tout comme une composition de Stapleton et Ronnie Bowman (I Will Someday) que les Steeldrivers jouaient sur scène à leurs débuts mais qu’ils n’avaient jamais gravé sur disque. L’album s’achève sur une belle version du standard Amazing Grace avec une très longue introduction de fiddle en solo superbement jouée par Tammy Rogers. Un classique dont on devrait se sentir lassé. Pas quand ce sont les Steeldrivers qui l’interprètent.

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