dimanche 28 avril 2024

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

  Andy HALL

"Squareneck Soul" 

Cri du 💚   

Abondants (et quelquefois révolutionnaires) dans les années 70, les albums bluegrass 100 % instrumentaux sont devenus une denrée rare ou ont été peu marquants par la suite. Depuis une demi-douzaine d’années, il y a néanmoins une (petite) vague d’œuvres intéressantes par des mandolinistes (David Benedict, Mark Stoffel), des banjoïstes (Alison Brown, Béla Fleck), des fiddlers (Andy Leftwich, Mark Barnett) et des guitaristes (Jake Workman, Jordan Tice). Les dobroïstes (moins nombreux il est vrai) étaient à la traine. Le vide est comblé grâce à Squareneck Soul, un formidable album pour lequel Andy Hall, dobroïste des Infamous Stringdusters s’est adjoint les brillants Wes Corbett (banjo), Bryan Sutton (guitare), Travis Book (contrebasse), Sierra Hull et Ronnie McCoury (mandoline). Hall a écrit dix compositions pour Squareneck Soul. La plupart commencent comme des instrumentaux bluegrass typiques mais les musiciens introduisent rapidement des petites touches jazzy, new acoustic ou des variations qui vont parfois jusqu’à créer une nouvelle mélodie. Tous jouent magnifiquement et de façon très créative. Red Road Station et Crooked Mountain Top sont les titres les plus bluegrass. Skunk Weed est un blues musclé. La ballade Ancient Footsteps a une jolie mélodie. Le tempo rapide de Event Horizon typique du bluegrass se transforme progressivement en rythmique grismanienne. Amuse A Muse aurait pu figurer sur un disque du Hot Club de France. J’adore le son du dobro d’Andy Hall. On peut l’apprécier au mieux dans le titre Squareneck Soul qu’il joue en solo. S’il vous manquait une tête de gondole pour vous inciter à acquérir cet album, Billy Strings fait une apparition remarquable dans Muscle Car (mais c’est tout l’album qui est remarquable). 

 

SERENE GREEN

"If It Wasn’t For Longing" 

Il y a tout juste un an nous vous avions présenté Your Love For Me Is Gold, le disque du contrebassiste Shane McGeehan. If It Wasn’t For Longing est le troisième album de son groupe, Serene Green, une formation basée en Pennsylvanie. La violoniste Katelyn Casper a récemment rejoint l’équipe présente sur les deux précédents disques: Quentin Fisher (mandoline), Michael Johnson (guitare), Steve Leonard (banjo) et donc McGeehan. Serene Green joue du bluegrass classique, rappelant assez souvent des formations des années 70. Les douze titres se partagent équitablement entre compositions des membres du groupe et reprises. Katelyn Casper interprète un peu timidement Do I Ever Cross Your Mind de Dolly Parton. McGeehan et Johnson se partagent les neuf autres chansons. Ils forment un bon trio avec Fisher mais les chants lead sont moins dynamiques que l’accompagnement. Bien que sorti sur un label (Patuxent), If It Wasn’t For Longing me semble souffrir d’un défaut de production. L’accompagnement derrière les chants est mixé trop en arrière. Heureusement, Casper et Leonard sont deux bons solistes, souvent pêchus. L’instrumental Carbon County Breakdown, signé par Fisher, est de facture classique. Rough Patch de Leonard est plus original avec notamment un long passage de banjo joué sans rythmique. C’est un des meilleurs moments de cet album sympathique avec une version rapide du classique Doin’ My Time et Dreams de Del McCoury, tous deux interprétés par McGeehan

 

Cory WALKER

"School Project" 

L’été dernier, lors du festival Bluegrass in La Roche, je n’avais pas été spécialement épaté par la prestation de Cory Walker aux côtés de Tim O’Brien. Il joue bien mais le répertoire de l’ancien chanteur de Hot Rize ne lui permettait pas de se mettre spécialement en évidence. School Project a donc été pour moi une très bonne surprise. C’est quasiment un premier album solo pour Walker qui n’avait enregistré sous son nom que Hey I’m Just A Kid en 2001, à l’âge de 11 ans ! Depuis il y a eu deux albums avec son frère Jarrod (désormais mandoliniste de Billy Strings) mais ils datent d’il y a plus de 15 ans. Sans rien enregistrer sous son nom, Cory Walker n’est cependant pas resté inactif puisqu’il a été membre du groupe de Sierra Hull et des Dillards. Il a joué avec Ricky Skaggs, Tim O’Brien et surtout intégré East Nash Grass, groupe de jeunes virtuoses dont trois membres (le mandoliniste Harry Clark, le dobroïste Gaven Largent et le contrebassiste Jeff Picker) jouent sur plusieurs titres de School Project. On pourra les entendre à Bluegrass In La Roche l’été prochain. Les autres principaux partenaires de Walker sont le mandoliniste Mike Compton, les guitaristes Jake Stargel et David Grier et les fiddlers Billy Contreras et Nate Leath. Cinq instrumentaux sont prétextes à des solos très créatifs de la part de tous les musiciens, avec d’audacieuses variations sur la mélodie, quelques improvisations aussi. Parmi eux, un classique (Bugle Call Rag), Jamboree qui se trouvait sur l’album instrumental de Doug Dillard, une compo (Walker’s Backstep), un titre plus jazzy (Javelina Breakdown) et une version instrumentale déjantée de Nashville Skyline Rag (Dylan). Comme Andy Leftwich dans son dernier album solo (cf. avril 2023), Walker reprend Made In France de Bireli Lagrene avec une approche new acoustic (alors que celle de Leftwich était plus jazz-musette à cause de l’accordéon). Le dernier instrumental est une seconde composition de Walker, Marlin’s Waltz, qu’il joue au dobro en duo avec Gaven Largent. Cory Walker a ajouté trois chansons. Tried To Ruin My Name (Pee Wee King) est interprété par Sierra Ferrell, la nouvelle star americana. J’aime bien ce qu’elle chante habituellement mais je ne trouve pas que ce titre lui aille très bien. En revanche, l’accompagnement au banjo est excellent. Les deux autres chansons mettent en vedette d’anciens boss de Walker. One Too Many Mornings de Dylan est chanté de façon assez quelconque par Rodney Dillard. Par contre, Tim O’Brien est un excellent interprète de Far Away Again, une jolie ballade écrite par Jarrod Walker. La meilleure chanson de School Project qui vaut en premier lieu pour ses instrumentaux décapants. 

 

HENHOUSE PROWLERS

"Lead And Iron" 

Avec Bluegrass Ambassador’s Sessions (cf. décembre 2023), les Henhouse Prowlers nous avaient proposé ce qui les a fait connaître, des adaptations bluegrass de chansons des quatre coins de la planète, avec la participation de plusieurs artistes des pays visités. Lead And Iron présente le répertoire habituel du groupe sur scène, des compositions personnelles arrangées dans un style moderne avec quelques apports plus classiques. Les quatre membres du groupe chantent mais c’est le guitariste Chris Dollar qui se taille la part du lion puisqu’il interprète cinq des dix chansons. Un choix logique car c’est lui qui a la plus jolie voix, un timbre clair dans un registre de tenor, et il est le principal songwriter de la formation. On lui doit deux des meilleures chansons de Lead And Iron, le très entrainant Passenger’s Train Boogie et Rolling Wheels aux sonorités teenage rock des années 50. Home For et la valse blues The Show sont moins marquants mais bien chantés. My Last Run vaut surtout pour son rythme rapide et l’énergie des musiciens. Ben Wright joue du banjo cello dans deux morceaux. Ça leur donne une atmosphère originale, qui convient bien aux thèmes graves abordés par les chansons, le bluesy Lead And Iron et Died Before Their Time pour lequel Jake Howard passe de la mandoline à la mandole, accentuant le côté sombre de l’arrangement. Ce titre est interprété par Jon Goldfine qui chante également Subscription To Loneliness bien mené par sa basse et arrangé avec les fiddles de Becky Buller et Laura Orshaw. En plus de Lead And Iron, Howard interprète My Little Flower dans un style plus classique. Il est aussi l’auteur du seul instrumental de l’album, Wobbly Dog. Ben Wright a un timbre assez sourd dont le groupe n’abuse pas. Il chante une jolie composition personnelle, la ballade Forgotten Gtravestones. Les harmonies vocales et les interventions de Howard à la mandoline et de Wright au banjo sont remarquables sur tous les titres. Moins original que Bluegrass Ambassador’s Sessions, Lead And Iron plaira à tous ceux qui ont apprécié les Henhouse Prowlers à Bluegrass In La Roche l’été dernier. 

 

BALSAM RANGE

"Kinetic Tone" 

Pour la première fois depuis la formation du groupe en 2007, Balsam Range a connu le départ d’un musicien, le mandoliniste Darren Nicholson qui avait multiplié les albums solo ces dernières années. Buddy Melton (fiddle), Caleb Smith (guitare), Marc Pruett (banjo) et Tim Surrett (basse, dobro) l’ont remplacé par un musicien bien connu, Alan Bibey (IIIrd Tyme Out, Grasstowne). L’arrivée de Bibey me semble bien correspondre à l’évolution du groupe qui jouait à ses débuts un bluegrass assez classique avec quelques chansons plus modernes. Aujourd’hui, les proportions sont inversées. Personnellement, je trouve dommage que ça diminue le nombre de titres menés par l’excellent drive de Marc Pruett (qui a été le banjoïste de Ricky Skaggs avant Balsam Range). Il y en a quand même trois dans Kinetic Tone et ils sont parmi les meilleurs de l’album: Marshall McClain, un morceau rapide composé par Milan Miller qui a beaucoup écrit pour Balsam Range depuis plusieurs albums (encore quatre morceaux dans Kinetic Tone), une version judicieusement accélérée d’une chanson de Waylon Jennings (Just To Satisfy You) et We’ll All Drink Money où le banjo trouve toute sa place dans un arrangement moderne. C’est une chanson d’Adam Wright, autre compositeur fidèle à Balsam Range, aux préoccupations environnementales, un sujet qui a déjà été abordé par des jam bands du Colorado ou Tim O’Brien et qui fait plaisir à entendre de la part d’une formation bluegrass originaire de Caroline du Nord. Le titre qui passe sur les radios bluegrass est Snake Charmer, chanté par Melton. Je lui préfère nettement une autre composition de Miller, Echo Canyon, interprétée par Caleb Smith. L’arrangement est étoffé, avec un gros son (Tim Surrett double contrebasse et dobro). C’est le genre de chanson que Balsam Range peut jouer avec un grand orchestre (ils ont enregistré l’album Mountain Ouverture en 2018 avec un orchestre d’Atlanta). Le gospel Worry chanté en quartet et accompagné en fingerpicking est classique et très réussi. Les autres chansons sont très bien jouées (par Bibey et Caleb Smith notamment) mais peu marquantes. Habitué des récompenses décernées par IBMA, Balsam Range a davantage de chances pour la chanson de l’année avec Echo Canyon (ils l’ont emporté deux fois avec Trains I Missed et Moon Over Memphis) que pour l’album de l’année (deux trophées également). 

 

Tim RAYBON BAND

"I Could Get Used To It" 

Sur le tard (passé la cinquantaine), Tim Raybon (frère de Marty, chanteur du groupe Shenandoah) a connu le succès avec le groupe Merle Monroe (cf. Cri du Coyote 164 et 170). Merle Monroe c’était l’association d’un répertoire country (Merle comme Merle Haggard), d’un répertoire bluegrass (Monroe comme Bill Monroe), la voix et les compositions de Tim Raybon et le banjo de Daniel Grindstaff. En 2021, Tim et Daniel ont rebaptisé Merle Monroe en Tim Raybon Band pour des raisons de disponibilité (Raybon est libre de tourner à sa guise depuis qu’il est retraité alors que Grindstaff a des enfants à charge). Grindstaff a depuis quitté le groupe. I Could Get Used To It doit donc être considéré comme le troisième disque de Tim Raybon Band même si ce n’est pas réellement l’album d’un groupe. Raybon a en effet fait appel à Andy Leftwich (fiddle, mandoline), Cody Kilby (guitare), Ben Isaacs (contrebasse), Gaven Largent (dobro, banjo) et Russ Carson (banjo) qui ont tous leur propre carrière comme musicien de studio ou membre d’autres formations. Il a composé neuf des dix titres. Ilene Baker, une chanson très rapide menée par le banjo et la mandoline, est à la mesure de ce que le groupe a enregistré sur ses deux premiers albums, de même que Sally Johnson, adaptation chantée de l’instrumental du même nom et qui vaut surtout par le fiddle de Leftwich. Il y aussi un bon swing, Headed Back To Tulsa. Les autres titres bluegrass sont efficaces mais manquent de nuances. Dans plusieurs chansons, on regrette l’absence du style dynamique de Grindstaff. Tim Raybon chante toutes les parties vocales et ce n’est pas forcément une bonne idée, à part dans That Reunion arrangé dans le style de Dailey & Vincent quand ils reprennent les Statler Brothers. Le slow 1959 est vraiment quelconque. L’influence country se limite à I Told Momma and Daddy Goodbye qui n’a pas le charme des adaptations country que Raybon interprétait sur les précédents albums. Dommage qu’il ait renoncé à cette partie du répertoire qui faisait beaucoup pour le charme des deux premiers disques et qui allait si bien à sa voix.

jeudi 18 avril 2024

Avenue Country, par Jacques Dufour

 

BILL & THE BELLES

"To Willie From Billy" 

To Willie From Billy est un album sorti fin 2023 par Bill & the Belles, originaires du Tennessee et dont aucun membre ne se nomme Bill. Kris en est le chanteur et les Belles se prénomment Kalia (fiddle) et Aidan (banjo). Cet album se veut un hommage aux quatre-vingt-dix printemps de Willie Nelson bien qu’il ne contienne qu’un seul succès du vétéran, le fameux On The Road Again, numéro 1 en 1980. Les onze autres chansons, soit n’ont jamais été classées nulle part, soit elles l’ont été mais par d’autres interprètes que Willie comme Three Days (numéro 7 en 1962 pour Faron Young), Pretend I Never Happened (numéro 6 en 1972 par Waylon Jennings) ou Undo The Right (numéro 10 en 1968 par Johnny Bush). Une bien étrange façon de rendre hommage à un monsieur qui a collectionné vingt numéro 1 et classé cent-quatorze chansons dans les charts. Cela dit, ce n’est pas un mauvais album pour autant. Le vocal est assuré par Kris, les filles n’étant que choristes. Le violon de Kalia est agréable et le banjo de Aidan est en soutien. De la bonne musique acoustique. 

 

Reba McENTIRE

"Not That Fancy" 

Sans contestation possible Reba McEntire est l’une des plus grandes chanteuses de l’histoire de la musique country. Sa carrière en atteste avec vingt-et-un numéro 1 répartis sur quinze ans. La petite cavalière de rodéo de l’Oklahoma a fait du chemin et seule Dolly Parton peut rivaliser dans la catégorie des légendes qui enregistrent toujours après un âge… où la plupart de leurs consœurs sont à la retraite. Avouons-le, ce nouvel opus n’apporte rien à tous ceux qui suivent la carrière de la rouquine. En effet il s’agit de quatorze versions nouvelles de certains de ses anciens succès, soit sept numéros 1 choisis parmi ses vingt-et-un et quelques Top 10. Elle peut renouveler cet exercice avec un éventuel double album, elle a la matière pour ça. Après on peut s’interroger sur le bien fondé d’une telle initiative. Le vocal de Reba est toujours au top et ses fans enrichiront leur collection. Les plus jeunes qui la découvrent auront un beau résumé de son œuvre.

 

TOINI & RIO BRAVO 

"Turning Night Into Day" 

Une belle révélation pour moi que ce groupe dont on ne saurait déterminer l’origine par la musique qui nous restitue une ambiance agréablement retro. Pour tenter de vous situer la couleur musicale de Toini & Rio Bravo je me risquerai à dire qu’elle emprunte à la variété, à la pop et à la country des années 60 et 70. Sur certains titres le vocal de la chanteuse, donc Toini, est celui d’une rockeuse bien qu’il n’y ait que trois morceaux dans le genre. Je n’ai décelé que deux reprises sur les treize titres et elles sont diamétralement opposées en style: d’une part un classique du rockabilly avec le Diggin’The Boogie de Roy Hall (1956) fort réussi et d’autre part le tendre Someday Soon de Ian Tyson qui avait été excellemment repris par Suzy Bogguss en 1991. L’adaptation de Toini est le meilleur titre de cet album. Le guitariste et le pedal steel guitariste sont également excellents. Recommandé pour tous ceux qui ne se retrouvent pas dans la musique d’aujourd’hui. Au fait, Toini & Rio Bravo sont Norvégiens.

 

Suzy BOGGUSS

"Prayin’ For Sunshine" 

Meilleur espoir 1992 de la country (CMA de Nashville), Suzy Bogguss à l’aube de ses soixante-dix printemps peut attester d’une jolie carrière avec une demi-douzaine de Top 10 à son actif. Dans la fameuse décade des néo-traditionalistes (années90) on peut dire que Suzy fut l’une des chanteuses les plus proches de la country classique. En effet, en début de carrière elle réussit quand même à classer dans les charts des reprises de Patsy Montana (Cowboy’s Sweetheart) ou Merle Haggard (Somewhere Between). Après quelques années de repos, Suzy Bogguss nous revient avec ce nouvel album. Ne rêvons pas, nous ne sommes plus dans les années 90, Suzy s’est assagie. Son album est très calme mais après le huitième titre alors que je me préparais à deux ballades supplémentaires, voici que la chanteuse de l’Illinois nous assène deux bons country-rock (A Woman Who Cooks et Can You Still See Me Like That?). Il fallait les mériter! Et je n’ai pas eu besoin de prier pour avoir un rayon de soleil… 

 

Laura ZUCKER

"Lifeline" 

Encore un album pour insomniaque. Désolé mais treize ballades à la suite de style songwriter/folk, je digère mal. A la rigueur deux titres, dont un slow aurait pu être qualifiés de country s’il y avait eu la présence d’un fiddle. Ce n’est pas le cas. A essayer si vous aimez Joni Michell ou Lucinda Williams.

 

Marty STUART and his FABULOUS SUPERLATIVES

"Altitude" 

On est bien loin du Marty Stuart de Hillbilly Rock, The Whiskey Ain’t Workin’ ou Honky Tonkin’s What I Do Best. Ca c’était les années 90, Marty avait la quarantaine. Il en a pris trente de plus et a mis pas mal d’eau dans son vin. Il est toujours entouré de ses super pointures, les Fabulous Superlatives et il nous a démontré à Gstaad en septembre dernier que sa prestation tenait encore bien la route. Altitude n’installe pas Marty Stuart au sommet de son art car il a fait bien mieux auparavant mais il nous sert encore quelques country-rock bien aidé par ses acolytes. Cet album est assez dynamique si l’on évite Space quasiment parlé et la berçeuse The Sun Is Quietly Sleeping (et moi aussi!). La chanson Altitude est un honky-tonk, Long Byrd Space Train un instrumental comme on en écoutait il y a cinquante ans et l’album se referme sur une ballade acoustique, The Angels Came Down. De quoi patienter relativement agréablement jusqu’au prochain. 

 

Jaime WYATT

"Feel Good" 

J’avais fait connaissance avec cette chanteuse basée à Los Angeles par ses deux albums précédents sortis en 2016 et 2020. Voici donc sa dernière œuvre. La voix est toujours aussi puissante mais le style toujours éloigné de la country. Il est plus proche de la soul surtout dans les morceaux lents. Le blues lui irait très bien mais Jaime Wyatt s’illustre dans un americana/pop/alternatif qui ne m’accroche pas.

dimanche 14 avril 2024

Disqu'Airs par Éric Allart / Du Côté de chez Sam par Sam Pierre

 

Vince GILL & Paul FRANKLIN

"Sweet Memories: The music of Ray Price & the Cherokee Cowboys" 

Ray Price a occupé une place à part dans la cohorte des héritiers directs de Hank Williams Sr. D’abord en récupérant pour ses premières années les Driftin’ Cowboys pour une perpétuation du son originel. Mais, à partir du milieu des années 50, Ray Price s’émancipe du maître avec l’invention géniale d’un shuffle caractéristique. Il fait alors coup double: il modernise le format honky tonk en le durcissant rythmiquement, ce qui lui permet de tenir la dragée haute au rockabilly, et pose les canons d’un format encore actif aujourd’hui. A la différence d’un George Jones déglingué ou d’un Merle Haggard repris de justice, Ray Price a toujours véhiculé une image de gentil garçon, loin des excès, affable et fragile. Son évolution stylistique, proche de celle d’un Eddie Arnold, le fait basculer à la fin des années 60 dans un crooning symphonique variétisant, où des mièvreries romantiques sucrées visent un public féminin vieillissant avec leur idole. Quelques années avant sa mort, il revient à des formes plus authentiques pour le grand plus bonheur des puristes. Sweet Memories est un hommage rendu à Ray et à sa musique. Vince Gill incarne à la perfection cette sensibilité délicate qui faisait la signature de Ray, tant par le registre vocal que le timbre. On sait que personne ne va retourner la table, ça tombe bien, on n’est pas là pour ça. Une sélection de 11 titres où l’on retrouve Weary Blues From Waitin' de Hank Sr., magnifiés par la parfaite pedal steel de Paul Franklin qui s’astreint à poser des back ups qui réussissent à moderniser les thèmes sans coller de façon mimétique aux arrangements originaux. C’est là que réside la difficulté du projet, trouver l’équilibre entre citation et créativité, réussir à porter la transmission du flambeau sans se cantonner à la copie servile. Le produit fini est parfait formellement. Ni trahison, ni paresse. C’est sucré-acidulé, ça glisse sans effort. J’ai pris plaisir à m’immerger dans le résultat. Une question reste cependant en suspens en ce qui me concerne. Ne sont pas visés les fans hardcore, qui iront toujours vers l’original et qui pourront dénoncer un mixage au son trop contemporain. Ne sont pas visés non plus les fans de Beyoncé ou Luke Bryan, musique de vieux jouée par des vieux. Même si le succès commercial reste confidentiel, on saluera la démarche d’hommage et de déclaration d’amour au patrimoine. (Éric Allart)

Jefferson NOIZET

"Bienvenue chez moi" 

Jefferson Noizet, alias Jean-François Vaissière, fait partie de ces gens heureux qui sont nés quelque part mais qui, contrairement aux imbéciles brocardés par Brassens, n'en conçoivent aucune supériorité. En cinq titres, Jefferson se contente de nous chanter avec talent cette terre où il vit et qui ne cesse de l'inspirer, ce Sud qui, d'ouest en est nous enchante de ses accents. Je vous invite à vous rendre sur le site Bandcamp de Jefferson pour écouter les chansons, ou simplement lire les textes qui, en eux-mêmes, méritent qu'on s'y arrête. Il y a un peu de Van Gogh dans Couleurs de ses rêves. Le peintre disait: "D'abord, je rêve mes peintures, puis je peins mes rêves", et ce qui est vrai pour le pinceau l'est aussi pour la plume. Il y a du Robert Zimmermann de Bob Dylan's Dream dans Devant un café. Dans Ma terre, "De calanques en vieux volcans, de lavande en tournesol, De gascon en provençal, de Jaurès à Pagnol", il y toute la magie des paysages et langues du sud. Dans Plus d'avant, plus d'après, où il est question de Monet, il y a "Juste un instant à célébrer… Juste la vie à savourer". Pour terminer, avec Bienvenue chez moi, Jefferson, où est-ce Jean-François, nous invite "Dans mon palais de bois, Loin des bruits d’en bas, D’un monde aux abois". Tout cela est beau sur le papier mais l'est encore plus mis en musique, avec le décor sobre des guitares de Jefferson et d'Oswald Rosier avec parfois dulcimer ou Weissenborn (Jefferson), celesta (Oswald) ou encore l'orgue de Jimmy Smith (Ma terre) ou la pedal steel de Dietmar Watchler (Bienvenue chez moi). Un album (EP) indispensable pour les amateurs de folk à la française et les passionnés de la langue de chez nous dans ce qu'elle a de plus beau. 

 

Jeff TALMADGE

"Sparrow" 

Jeff Talmadge est un un gentleman du Sud, du Texas plus précisément. Né à Uvalde, pas loin de la frontière du Mexique, il vit aujourd'hui à Austin. Il a un passé de juriste et avait déjà quatre albums studio à son actif quand il a fermé son cabinet en 2003. Il manie l'élégance avec un naturel désarmant, aussi bien dans ses chansons que dans la vie de tous les jours. Son précédent album, Kind Of Everything, remonte à 2011, c'est dire qu'il ne nous inonde pas de ses compositions, et c'est bien dommage. Il a désormais huit albums studio à son actif, plus un disque en public enregistré en Allemagne où il jouit, comme aux Pays-Bas, d'une belle réputation. Si son précédent opus, produit par Thomm Jutz, faisait appel à de nombreux musiciens et vocalistes du cru, il s'est cette fois-ci entouré d'une équipe réduite: il a coproduit l'album avec Bradley Kopp (guitares, basse et voix) et J. David Leonard (muti-instrumentiste) et a juste fait appel, occasionnellement, à Benny "Bugs" Franklin (percussions) Carter Magnussen-French (voix), Grayson Petrucci (basse) et Jaime Michaels (voix). Ce dernier a co-composé Maybe Next Year, Bradley Kopp a fait de même pour l'instrumental Top Of The Hour, Jim Patton et Steve Brooks pour Devil's Highway.Le dix titres de l'album dégagent un sentiment de calme mélodieux, à l'ambiance acoustique, dominée par la guitare de Jeff. La poésie est omniprésente, quel que soit le thème abordé, qu'il s'agisse de Night Train From Milan, de If I Was A Sparrow, de l'enlevé Katie's Got A Locket ou du délicat The Sound Of Falling Snow. La rumeur dit que Jeff a enregistré l'équivalent de plusieurs albums jamais publiés au cours des dernières années. Si vous vous donnez le plaisir d'écouter Sparrow, je suis sûr que vous serez nombreux à espérer qu'ils fassent surface un jour. 

 

Billy Don BURNS

"I've Seen A Lot Of Highway" 

Je ne connais Billy Don Burns que depuis une dizaine d'années mais notre homme (soixante-quinze ans) est sur le pont depuis plus d'un demi-siècle. Il a débarqué à Nashville en 1972, son premier disque, Ramblin' Gypsy, produit par Porter Wagoner, date de 1982 et, à côté de ses propres compositions, il y reprenait deux titres de Hank Williams. Cela donne un bon aperçu de ce qu'est Billy Don Burns, un outlaw, un guerrier de la country music. Son visage buriné et marqué par des années d'excès en tous genres évoque pour moi Calvin Russell, dont Romain Decoret a récemment écrit un portrait pour Le Cri du Coyote. L'homme, qui ne connaît pas les compromis, laisse ses chansons parler pour lui-même et l'on peut aussi évoquer la liste (non exhaustive) de celles et ceux qui ont repris ses compositions: Willie Nelson, Johnny Paycheck, Tanya Tucker, Connie Smith, Mel Tillis, Sammy Kershaw et, parmi les plus jeunes, Cody Jinks, Colter Wall, Whitey Morgan et d'autres. Autre signe du respect que lui porte la nouvelle génération, les invités qui viennent chanter avec lui sur le nouvel album: Shooter Jennings sur Neon Circus, Cody Jinks sur I'Ve Seen A Lot Of Highway, Whey Jennings sur I Went Crazy, Wes Shipp sur You Can't Change Me ou encore The Storey Boys sur Satan Is A Son Of A Bitch. L'album est dédié à l'ami de Burns, Mack Vickery, décédé en 2004, et dont on peut entendre une co-composition, That's When I Knew. Il évoque aussi Mack et l'écriture de cette chanson dans Mack Story, titre parlé, nous ramenant à l'époque où la cocaïne était leur quotidien sur la route. S'il n'a pas eu la médiatisation de Waylon Jennings ou même de Steve Young, Billy Don Burns appartient à la même famille musicale et perpétue avec I've Seen A Lot Of Highway le mouvement outlaw, un terme galvaudé mais qui, avec lui, retrouve tout son sens. Il y est question de la route et de ses excès, des rencontres et des galères. Une vie dure, certes, mais pas question de se plaindre: Born To Ride, Motel Madness et Don't Cry For Me, comme la chanson titulaire, résument bien ce qu'est la vie du musicien sur la route, où la folie n'est jamais bien loin (I Went Crazy, Talk About Crazy). Ne passez plus à côté de cet artiste (pour Billy Joe Shaver: "Un ami pour toujours. Billy Don est sage au-delà de son âge. Un grand auteur. Un grand homme. Un leader dans tous les domaines. Le meilleur homme à avoir à vos côtés, quelle que soit la dangerosité de la situation"). Achetez ce disque plein de chaleur dont Billy Don dit qu'il a été réalisé sous le signe de l'amitié et de l'amour, concluant ainsi: "Ma vie a été merveilleuse, elle n'a pas été facile, mais elle a été merveilleuse. J'ai rencontré la plupart de mes héros et plusieurs d'entre eux ont enregistré mes chansons. Et si je mourais ce soir, j’aurais eu une belle vie". 

 

Ted Russell KAMP

"California Son" 

Originaire de New York, éduqué musicalement au son du jazz, Ted Russell Kamp peut se revendiquer un California Son puisqu'il vit à Los Angeles depuis 24 ans. Il a souvent collaboré avec Shooter Jennings en tournée, jouant de la basse au sein de son groupe. Pour cet album, il a plus ou moins repris la même équipe et les mêmes studios que pour Down In The Den paru en 2020. L'ambiance est résolument californienne, et l'on entend des sons qui évoquent Jackson Browne et les harmonies des Beach Boys, des Byrds ou Eagles. California Son, la chanson, est une véritable lettre d'amour de l'artiste à son état d'adoption et à ses lieux et artistes mythiques. Pour mieux enfoncer le clou, Ted interprète Shine On, co-écrit avec deux membres du groupe I See Hawks In L.A., Robert Rex Waller (voix) et Paul Lacques, récemment décédé (guitare), présents ici comme Paul Marshall (voix et guitare). Il y a des accents de la Cosmic American Music chère à Gram Parsons. On retrouve le Ted Russell Kamp qu'on connaît dans des titres comme Firelight et Ballad Of The Troubadour et l'on pense à Tom Petty lorsqu'on entend Hard To Hold, The Upside Down Of Downslide ou Every Little Thing. Il y a aussi un autre titre remarquable, Hangin' On Blues, interprété par Ted avec pour seul accompagnement ses lignes de basse caractéristiques et enchaîné de belle manière avec le rock Roll Until The Sun Comes Up. L'album est lumineux et Ted confirme qu'il est un multi-instrumentiste de talent (basse, guitares, dobro, Hammond, Wurlitzer, percussion), ce qui ne l'empêche pas de faire appel à de nombreux amis (10 guitaristes par exemple). Il se confirme également comme un auteur-compositeur et interprète de grand talent, ce que l'on n'avait peut-être pas assez souligné jusqu'à présent.

Heather LITTLE 

"By Now" 

Heather Little fait partie de ces autrices-compositrices respectées par leurs pairs mais qui ne se sont pas encore fait un nom en qualité d'artistes à part entière. Il est vrai qu'elle n'a publié à ce jour sous son nom, après plus de vingt ans de carrière, qu'un album de huit titres,Wings Like These, paru en 2013, ainsi qu'un disque live enregistré au légendaire Old Quarter de Galvestone et paru sous le titre Live Sessions Vol. 2 en 2022. On connaît notamment Heather pour avoir écrit avec et pour Miranda Lambert, et l'on retrouve sur By Now le titre Gunpower & Lead que Miranda avait popularisé dès 2007. Heather n'avait pas l'intention de l'enregistrer elle-même, mais elle a fini par le faire sur l'insistance de sa consœur Van Plating, armée de son violon magique, qui l'interprète avec elle, en conclusion du disque. La confiance des amis de Heather fait de By Now une grande réussite, et la listes des invités qui viennent pour un duo est édifiante: Rusty Van Sickle pour Five Deer County, Patty Griffin pour Hands Like Mine (avec l'accordéon de Stefano Intelisano) et This Life Without You, Leslie Thatcher pour Razor Wire (ici, c'est le violoncelle de Mai Bloomfield qui se distingue), Ronnie Bowman pour Better By Now, Crystal Bowersox pour Saint Christopher. La liste des musiciens présents est impressionnante et témoigne bien de l'estime dont jouit celle qui endosse ici le costume de chanteuse, armée de sa guitare acoustique. Pour ne citer que les guitaristes, on croise au fil des plages Frank Swart, Audley Freed, Duke Levine, Kevin Barry, Jared Tyler, John Jackson et Russ Pahl (pedal steel). Il faut souligner que ces derniers (et les autres) ne sont présents que pour mettre en valeur la vedette du jour et ses mélodies inspirées et inspirantes. Le disque est éclectique, abordant différent styles. Ainsi la tendre ballade California Queen, succède à un morceau pop-rock, Transistor Radio. Il y a aussi l'émouvant My Father's Roof avec pour supports nostalgiques le piano de John Deaderick et la trompette de Kami Lyle. Heather Little dit en souriant qu'il lui a fallu quarante-six ans pour réaliser ce disque brillant. Je suis prêt à parier qu'il va lui conférer une renommée qu'elle n'avait pas vraiment cherchée jusque-là. Ses talents d'écriture brillent, mais sa voix, avec ce côté vulnérable qui la rapproche de Patty Griffin, force le respect et l'attention. Pour moi, et c'est un véritable compliment, ses talents la rapprochent de ceux de Gretchen Peters qui est mieux qu'une référence.

dimanche 7 avril 2024

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Danny BURNS

"Promised Land" 

Danny Burns est un guitariste et chanteur irlandais établi depuis plus de vingt ans aux États-Unis. Il avait enregistré en 2019 North Country, un premier album qui m’avait beaucoup plu (Le Cri du Coyote 161). Ses goûts le portent naturellement vers le bluegrass mais sa voix lui permet d’élargir son univers musical. Son chant avait des influences soul /newgrass dans North Country qui était un album de compositions personnelles. Il est plus pop dans Promised Land, en raison du répertoire constitué de reprises rock et country. Il s’est à nouveau entouré de musiciens bluegrass: Scott Vestal (banjo), Billy Contreras et Tim Crouch (fiddle), Tony Wray (guitare), John Methany (dobro) et Matt Menefee (dobro, mandoline). Trois splendides réussites sont à mettre au crédit de Danny Burns, à commencer par une surprenante adaptation de Someone Like You d’Adele, chantée avec Tim O’Brien et bénéficiant des bonnes contributions de Menefee à la mandoline et Contreras. La voix gratte un peu dans Some Might Say et ça va très bien à cette chanson d’Oasis complètement transformée en bluegrass rapide. Come To Jesus est une reprise d’un titre de Mindy Smith qui a eu une petite carrière country mais qui est surtout connue comme songwriter bluegrass et country. Le dobro, le fiddle et surtout le duo vocal avec Sam Bush rendent la version de Danny Burns particulièrement intense. Dans un autre genre, beaucoup plus calme, j’ai aussi aimé Nothing But A Child de Steve Earle que Burns chante avec son épouse Aine (qui prépare un album solo). On retrouve Tim O’Brien en duo avec Burns dans une reprise de Fields of Gold assez conventionnelle (cette chanson de Sting a connu de nombreuses versions bluegrass) et Magnolia de Guy Clark, arrangé avec un accordéon. Le blues Lifeline n’est pas mal mais Bryan Simpson (leader du groupe Cadillac Sky) n’est pas à la hauteur de Burns comme partenaire vocal. Promised Land est une chanson country arrangée avec une pedal steel qui m’a paru anecdotique. Je n’aime pas beaucoup le standard Danny Boy mais la version de Danny Burns, plus rythmée que celles que je connais, est plutôt réussie, avec encore une fois la participation de Tim O’Brien. La seule vraie erreur dans ce répertoire plutôt audacieux est Dirty Old Town. Même avec la mandoline de Sam Bush et le talent des autres musiciens, la version gentillette de Burns ne tient pas la route quand on a celle de Shane MacGowan et des Pogues dans l’oreille. 

 

JACKSON HOLLOW

"Roses" 

Jackson Hollow est un groupe canadien (Colombie Britannique) dont l’atout essentiel est sa chanteuse Tianna Lefebvre. Les arrangements sont bluegrass mais Tianna chante comme une chanteuse country, avec une puissance qui n’empêche pas les nuances (la chanson Roses en donne un très bel exemple). On peut rapprocher sa voix de celle de Pam Tillis dont elle reprend d’ailleurs Put Yourself In My Place. Le groupe est composé de son mari, Mike Sanyshyn (fiddle, mandoline), Eric Reed (guitare, banjo) et Charlie Frye (contrebasse). Ils reçoivent le soutien sur plusieurs chansons du banjoïste Jeff Scroggins et du dobroïste Michael Kilby. L’apport de Scroggins est particulièrement remarquable dans la reprise de Can’t Stop Now, titre emblématique de New Grass Revival et le dobro convient bien au feeling country de la plupart des chansons. Le talent des musiciens de Jackson Hollow n’est pas non plus à négliger. Au fiddle, Mike Sanyshyn est excellent dans A Heartache In The Works, une reprise de Randy Travis, et Travellin’ Heart, le titre le plus bluegrass de l’album. Au banjo, Eric Reed s’adapte bien à l’esprit country en jouant un picking au drive judicieusement atténué dans la ballade For The Life Of Me et le blues Pour It To Me Straight. Les harmonies vocales contribuent également à la réussite de Roses, album de bluegrass à offrir aux amateurs de country. 

 

SPECIAL GOSPEL

Depuis Bill Monroe et les débuts du bluegrass, le gospel est partie intégrante du bluegrass. Encore aujourd’hui, peu nombreux sont les groupes qui se dispensent d’en chanter. Comme les instrumentaux ou le swing, il apporte une variété bienvenue au répertoire des groupes. Pour peu qu’il y ait une bonne voix de basse dans la formation, les quartets vocaux (parfois a cappella) font d’ailleurs souvent partie des favoris du public. Régulièrement, des formations bluegrass enregistrent un album entier consacré au gospel. L’actualité (relative pour l’album de Authentic Unlimited qui date de 2022) nous en propose trois, tous œuvres de groupes de premier plan. 

 

HIGH FIDELITY

"Music In My Soul" 

Guère étonnant qu’un groupe de jeunes musiciens comme High Fidelity, toujours en costume-cravate pour les hommes et robe en-dessous du genou pour les dames, et portant haut le flambeau du bluegrass traditionnel, consacre son quatrième album au gospel. En utilisant toutes les formules du chant solo au quartet, en jouant sur les différentes combinaisons de voix masculines et féminines, et avec des tempos majoritairement entrainants, Music In My Soul est un album varié et tout-à-fait convaincant. Le duo constitué par le guitariste Jeremy Stephens et son épouse violoniste Corrina Rose est au cœur de nombreux arrangements. Ils interprètent cinq chansons en duo dont trois titres joyeux particulièrement réjouissants : I’m Ready To Go, My Lord Is Taking Me Away (une reprise de The Lewis Family) et l’accrocheur et pétillant The Mighty Name Of Jesus (composition de Corrina Rose). Comme dans tout bon disque gospel, les quartets sont à l’honneur avec notamment Walking With My Savior proche du style de Quicksilver et I’ll Be No Stranger There dans un arrangement qui fleure bon les années 50, bien dans l’esprit de High Fidelity. I’m A Pilgrim chanté a cappella n’est pas mal non plus. En revanche, l’harmonie haut perchée de Corrina Rose dans Music In My Soul fait franchement "voix de messe". Ce n’est évidemment pas hors contexte mais, esthétiquement, c’est loin d’être ce que je préfère. Il y a un bon trio mixte dans une reprise de Jim & Jesse, Are You Lost In Sin. Plusieurs tempos rapides et plus encore l’instrumental There Is Power In The Blood permettent aux musiciens de High Fidelity de montrer tout leur talent. Kurt Stephenson est un des meilleurs spécialistes du style Scruggs et il a un son tout simplement idéal. Corrina Rose est une excellente violoniste et elle m’a semblé encore en progrès par rapport aux albums précédents. Et Vickie Vaughn a été élue non sans raison contrebassiste de l’année par IBMA il y a quelques mois. L’album s’achève sur une reprise des Bailes Brothers, We’re Living In The Last Days Now, chantée en solo. Je ne sais pas qui est le chanteur (peut-être Stephenson) mais il a un timbre très proche de celui d’Alan O’Bryant à la grande époque de Nashville Bluegrass Band et c’est une merveilleuse manière de clore Music In My Soul

 

AUTHENTIC UNLIMITED

"Gospel Sessions Vol. 1" 

Le contrebassiste Jerry Cole, le banjoïste Eli Johnston et le fiddler Stephen Burwell ayant tous été membres de l’ultime version de Doyle Lawson & Quicksilver, il est logique qu’ils aient, dès les débuts de leur nouvelle formation, Authentic Unlimited, consacré un album au gospel, la grande spécialité de Quicksilver. Gospel Sessions Vol. 1 est sorti le même jour que l’album sans titre chroniqué dans ces colonnes en février 2023. Ce sont les chants à quatre voix qui ont fait la réputation de Quicksilver et Authentic Unlimited a arrangé trois des dix titres de l’album en quartet. What Wonderful World est interprété a cappella de façon impeccable mais sans grand relief. Je lui ai nettement préféré Hold On (une des trois compositions de Jerry Cole) qui swingue merveilleusement et God Told Nicodemus, également a cappella, qui reprend l’arrangement du Golden Gate Quartet avec les voix qui se répondent. La voix de basse de Jesse Brock (mandoline) et l’harmonie ténor de John Meador sont particulièrement bien mises en valeur dans ces deux titres. Meador, seul à la guitare, chante de façon magnifique Jonas, une composition de Dean Dillon (qui a écrit de nombreux succès de George Strait). The Key et Ready ont un arrangement légèrement countrifié par l’ajout d’une batterie. On retrouve la belle voix de Meador (les autres titres sont pour la plupart chantés par Cole qui est aussi un très bon chanteur)) dans le classique Washed In The Blood (enregistré entre autres par Flatt & Scruggs) et You’ll Find Me dont le punch doit autant à l’arrangement vocal en trio qu’au talent instrumental des musiciens de Authentic Unlimited. Cole, Meador, Johnston, Brock et Burwell s’affirment avec ce premier album gospel comme les dignes héritiers de Doyle Lawson. Le second devrait sortir dans les prochains jours. 

 

The STEELDRIVERS

"Tougher Than Nails" 

Le nouvel album des SteelDrivers est certes 100 % gospel mais c’est avant tout un album des SteelDrivers. Ils chantent la religion comme ils chanteraient qu’ils ne seraient jamais allés à Birmingham si ce n’est par amour. Les Steeldrivers ont d’autant plus de mérite à être fidèles à leur style que Matt Dame est le quatrième chanteur en presque vingt ans et six albums. Il a une grosse voix blues comme Chris Stapleton et Gary Nichols avant lui. Sans trahir ce style, Kevin Damrell qui chantait sur le précédent disque, Bad For You, avait un registre plus aigu qui le rapprochait davantage des chanteurs habituels de bluegrass. Avec Dame, on est vraiment dans la lignée de Stapleton et Nichols, mais avec un chant blues plus naturel, moins forcé, que j’apprécie beaucoup. Elle met très bien en valeur les compositions de l’excellente violoniste Tammy Rogers, la plupart coécrites avec Thomm Jutz. La marche était haute mais, comme auteur compositeur, elle a pris avec succès le relais de Stapleton et Mike Henderson, partis après les deux premiers albums (avec la réussite que l’on sait pour Stapleton). Parmi les compos de Rogers et Jutz, Magdalene et la valse 30 Silver Pieces ont de très jolies mélodies, superbement accompagnées par le fiddle de Rogers, le banjo de Richard Bailey et la mandoline de Brent Truitt. Toujours de Rogers et Jutz, Tougher Than Nails est une marche blues rendue intense par la voix de Dame et At The River est relevé par des chœurs qui ne sont pas dans la tradition bluegrass. Les harmonies vocales donnent encore plus de puissance à Somewhere Down The Road. La ballade His Eye Is On The Sparrow est davantage dans le style de Larry Cordle. Les Steeldrivers ont inclus deux classiques interprétés dans un style plus conforme à la tradition gospel (Just A Little Walk With Jesus et Farther Along), tout comme une composition de Stapleton et Ronnie Bowman (I Will Someday) que les Steeldrivers jouaient sur scène à leurs débuts mais qu’ils n’avaient jamais gravé sur disque. L’album s’achève sur une belle version du standard Amazing Grace avec une très longue introduction de fiddle en solo superbement jouée par Tammy Rogers. Un classique dont on devrait se sentir lassé. Pas quand ce sont les Steeldrivers qui l’interprètent.