dimanche 28 avril 2024

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

  Andy HALL

"Squareneck Soul" 

Cri du 💚   

Abondants (et quelquefois révolutionnaires) dans les années 70, les albums bluegrass 100 % instrumentaux sont devenus une denrée rare ou ont été peu marquants par la suite. Depuis une demi-douzaine d’années, il y a néanmoins une (petite) vague d’œuvres intéressantes par des mandolinistes (David Benedict, Mark Stoffel), des banjoïstes (Alison Brown, Béla Fleck), des fiddlers (Andy Leftwich, Mark Barnett) et des guitaristes (Jake Workman, Jordan Tice). Les dobroïstes (moins nombreux il est vrai) étaient à la traine. Le vide est comblé grâce à Squareneck Soul, un formidable album pour lequel Andy Hall, dobroïste des Infamous Stringdusters s’est adjoint les brillants Wes Corbett (banjo), Bryan Sutton (guitare), Travis Book (contrebasse), Sierra Hull et Ronnie McCoury (mandoline). Hall a écrit dix compositions pour Squareneck Soul. La plupart commencent comme des instrumentaux bluegrass typiques mais les musiciens introduisent rapidement des petites touches jazzy, new acoustic ou des variations qui vont parfois jusqu’à créer une nouvelle mélodie. Tous jouent magnifiquement et de façon très créative. Red Road Station et Crooked Mountain Top sont les titres les plus bluegrass. Skunk Weed est un blues musclé. La ballade Ancient Footsteps a une jolie mélodie. Le tempo rapide de Event Horizon typique du bluegrass se transforme progressivement en rythmique grismanienne. Amuse A Muse aurait pu figurer sur un disque du Hot Club de France. J’adore le son du dobro d’Andy Hall. On peut l’apprécier au mieux dans le titre Squareneck Soul qu’il joue en solo. S’il vous manquait une tête de gondole pour vous inciter à acquérir cet album, Billy Strings fait une apparition remarquable dans Muscle Car (mais c’est tout l’album qui est remarquable). 

 

SERENE GREEN

"If It Wasn’t For Longing" 

Il y a tout juste un an nous vous avions présenté Your Love For Me Is Gold, le disque du contrebassiste Shane McGeehan. If It Wasn’t For Longing est le troisième album de son groupe, Serene Green, une formation basée en Pennsylvanie. La violoniste Katelyn Casper a récemment rejoint l’équipe présente sur les deux précédents disques: Quentin Fisher (mandoline), Michael Johnson (guitare), Steve Leonard (banjo) et donc McGeehan. Serene Green joue du bluegrass classique, rappelant assez souvent des formations des années 70. Les douze titres se partagent équitablement entre compositions des membres du groupe et reprises. Katelyn Casper interprète un peu timidement Do I Ever Cross Your Mind de Dolly Parton. McGeehan et Johnson se partagent les neuf autres chansons. Ils forment un bon trio avec Fisher mais les chants lead sont moins dynamiques que l’accompagnement. Bien que sorti sur un label (Patuxent), If It Wasn’t For Longing me semble souffrir d’un défaut de production. L’accompagnement derrière les chants est mixé trop en arrière. Heureusement, Casper et Leonard sont deux bons solistes, souvent pêchus. L’instrumental Carbon County Breakdown, signé par Fisher, est de facture classique. Rough Patch de Leonard est plus original avec notamment un long passage de banjo joué sans rythmique. C’est un des meilleurs moments de cet album sympathique avec une version rapide du classique Doin’ My Time et Dreams de Del McCoury, tous deux interprétés par McGeehan

 

Cory WALKER

"School Project" 

L’été dernier, lors du festival Bluegrass in La Roche, je n’avais pas été spécialement épaté par la prestation de Cory Walker aux côtés de Tim O’Brien. Il joue bien mais le répertoire de l’ancien chanteur de Hot Rize ne lui permettait pas de se mettre spécialement en évidence. School Project a donc été pour moi une très bonne surprise. C’est quasiment un premier album solo pour Walker qui n’avait enregistré sous son nom que Hey I’m Just A Kid en 2001, à l’âge de 11 ans ! Depuis il y a eu deux albums avec son frère Jarrod (désormais mandoliniste de Billy Strings) mais ils datent d’il y a plus de 15 ans. Sans rien enregistrer sous son nom, Cory Walker n’est cependant pas resté inactif puisqu’il a été membre du groupe de Sierra Hull et des Dillards. Il a joué avec Ricky Skaggs, Tim O’Brien et surtout intégré East Nash Grass, groupe de jeunes virtuoses dont trois membres (le mandoliniste Harry Clark, le dobroïste Gaven Largent et le contrebassiste Jeff Picker) jouent sur plusieurs titres de School Project. On pourra les entendre à Bluegrass In La Roche l’été prochain. Les autres principaux partenaires de Walker sont le mandoliniste Mike Compton, les guitaristes Jake Stargel et David Grier et les fiddlers Billy Contreras et Nate Leath. Cinq instrumentaux sont prétextes à des solos très créatifs de la part de tous les musiciens, avec d’audacieuses variations sur la mélodie, quelques improvisations aussi. Parmi eux, un classique (Bugle Call Rag), Jamboree qui se trouvait sur l’album instrumental de Doug Dillard, une compo (Walker’s Backstep), un titre plus jazzy (Javelina Breakdown) et une version instrumentale déjantée de Nashville Skyline Rag (Dylan). Comme Andy Leftwich dans son dernier album solo (cf. avril 2023), Walker reprend Made In France de Bireli Lagrene avec une approche new acoustic (alors que celle de Leftwich était plus jazz-musette à cause de l’accordéon). Le dernier instrumental est une seconde composition de Walker, Marlin’s Waltz, qu’il joue au dobro en duo avec Gaven Largent. Cory Walker a ajouté trois chansons. Tried To Ruin My Name (Pee Wee King) est interprété par Sierra Ferrell, la nouvelle star americana. J’aime bien ce qu’elle chante habituellement mais je ne trouve pas que ce titre lui aille très bien. En revanche, l’accompagnement au banjo est excellent. Les deux autres chansons mettent en vedette d’anciens boss de Walker. One Too Many Mornings de Dylan est chanté de façon assez quelconque par Rodney Dillard. Par contre, Tim O’Brien est un excellent interprète de Far Away Again, une jolie ballade écrite par Jarrod Walker. La meilleure chanson de School Project qui vaut en premier lieu pour ses instrumentaux décapants. 

 

HENHOUSE PROWLERS

"Lead And Iron" 

Avec Bluegrass Ambassador’s Sessions (cf. décembre 2023), les Henhouse Prowlers nous avaient proposé ce qui les a fait connaître, des adaptations bluegrass de chansons des quatre coins de la planète, avec la participation de plusieurs artistes des pays visités. Lead And Iron présente le répertoire habituel du groupe sur scène, des compositions personnelles arrangées dans un style moderne avec quelques apports plus classiques. Les quatre membres du groupe chantent mais c’est le guitariste Chris Dollar qui se taille la part du lion puisqu’il interprète cinq des dix chansons. Un choix logique car c’est lui qui a la plus jolie voix, un timbre clair dans un registre de tenor, et il est le principal songwriter de la formation. On lui doit deux des meilleures chansons de Lead And Iron, le très entrainant Passenger’s Train Boogie et Rolling Wheels aux sonorités teenage rock des années 50. Home For et la valse blues The Show sont moins marquants mais bien chantés. My Last Run vaut surtout pour son rythme rapide et l’énergie des musiciens. Ben Wright joue du banjo cello dans deux morceaux. Ça leur donne une atmosphère originale, qui convient bien aux thèmes graves abordés par les chansons, le bluesy Lead And Iron et Died Before Their Time pour lequel Jake Howard passe de la mandoline à la mandole, accentuant le côté sombre de l’arrangement. Ce titre est interprété par Jon Goldfine qui chante également Subscription To Loneliness bien mené par sa basse et arrangé avec les fiddles de Becky Buller et Laura Orshaw. En plus de Lead And Iron, Howard interprète My Little Flower dans un style plus classique. Il est aussi l’auteur du seul instrumental de l’album, Wobbly Dog. Ben Wright a un timbre assez sourd dont le groupe n’abuse pas. Il chante une jolie composition personnelle, la ballade Forgotten Gtravestones. Les harmonies vocales et les interventions de Howard à la mandoline et de Wright au banjo sont remarquables sur tous les titres. Moins original que Bluegrass Ambassador’s Sessions, Lead And Iron plaira à tous ceux qui ont apprécié les Henhouse Prowlers à Bluegrass In La Roche l’été dernier. 

 

BALSAM RANGE

"Kinetic Tone" 

Pour la première fois depuis la formation du groupe en 2007, Balsam Range a connu le départ d’un musicien, le mandoliniste Darren Nicholson qui avait multiplié les albums solo ces dernières années. Buddy Melton (fiddle), Caleb Smith (guitare), Marc Pruett (banjo) et Tim Surrett (basse, dobro) l’ont remplacé par un musicien bien connu, Alan Bibey (IIIrd Tyme Out, Grasstowne). L’arrivée de Bibey me semble bien correspondre à l’évolution du groupe qui jouait à ses débuts un bluegrass assez classique avec quelques chansons plus modernes. Aujourd’hui, les proportions sont inversées. Personnellement, je trouve dommage que ça diminue le nombre de titres menés par l’excellent drive de Marc Pruett (qui a été le banjoïste de Ricky Skaggs avant Balsam Range). Il y en a quand même trois dans Kinetic Tone et ils sont parmi les meilleurs de l’album: Marshall McClain, un morceau rapide composé par Milan Miller qui a beaucoup écrit pour Balsam Range depuis plusieurs albums (encore quatre morceaux dans Kinetic Tone), une version judicieusement accélérée d’une chanson de Waylon Jennings (Just To Satisfy You) et We’ll All Drink Money où le banjo trouve toute sa place dans un arrangement moderne. C’est une chanson d’Adam Wright, autre compositeur fidèle à Balsam Range, aux préoccupations environnementales, un sujet qui a déjà été abordé par des jam bands du Colorado ou Tim O’Brien et qui fait plaisir à entendre de la part d’une formation bluegrass originaire de Caroline du Nord. Le titre qui passe sur les radios bluegrass est Snake Charmer, chanté par Melton. Je lui préfère nettement une autre composition de Miller, Echo Canyon, interprétée par Caleb Smith. L’arrangement est étoffé, avec un gros son (Tim Surrett double contrebasse et dobro). C’est le genre de chanson que Balsam Range peut jouer avec un grand orchestre (ils ont enregistré l’album Mountain Ouverture en 2018 avec un orchestre d’Atlanta). Le gospel Worry chanté en quartet et accompagné en fingerpicking est classique et très réussi. Les autres chansons sont très bien jouées (par Bibey et Caleb Smith notamment) mais peu marquantes. Habitué des récompenses décernées par IBMA, Balsam Range a davantage de chances pour la chanson de l’année avec Echo Canyon (ils l’ont emporté deux fois avec Trains I Missed et Moon Over Memphis) que pour l’album de l’année (deux trophées également). 

 

Tim RAYBON BAND

"I Could Get Used To It" 

Sur le tard (passé la cinquantaine), Tim Raybon (frère de Marty, chanteur du groupe Shenandoah) a connu le succès avec le groupe Merle Monroe (cf. Cri du Coyote 164 et 170). Merle Monroe c’était l’association d’un répertoire country (Merle comme Merle Haggard), d’un répertoire bluegrass (Monroe comme Bill Monroe), la voix et les compositions de Tim Raybon et le banjo de Daniel Grindstaff. En 2021, Tim et Daniel ont rebaptisé Merle Monroe en Tim Raybon Band pour des raisons de disponibilité (Raybon est libre de tourner à sa guise depuis qu’il est retraité alors que Grindstaff a des enfants à charge). Grindstaff a depuis quitté le groupe. I Could Get Used To It doit donc être considéré comme le troisième disque de Tim Raybon Band même si ce n’est pas réellement l’album d’un groupe. Raybon a en effet fait appel à Andy Leftwich (fiddle, mandoline), Cody Kilby (guitare), Ben Isaacs (contrebasse), Gaven Largent (dobro, banjo) et Russ Carson (banjo) qui ont tous leur propre carrière comme musicien de studio ou membre d’autres formations. Il a composé neuf des dix titres. Ilene Baker, une chanson très rapide menée par le banjo et la mandoline, est à la mesure de ce que le groupe a enregistré sur ses deux premiers albums, de même que Sally Johnson, adaptation chantée de l’instrumental du même nom et qui vaut surtout par le fiddle de Leftwich. Il y aussi un bon swing, Headed Back To Tulsa. Les autres titres bluegrass sont efficaces mais manquent de nuances. Dans plusieurs chansons, on regrette l’absence du style dynamique de Grindstaff. Tim Raybon chante toutes les parties vocales et ce n’est pas forcément une bonne idée, à part dans That Reunion arrangé dans le style de Dailey & Vincent quand ils reprennent les Statler Brothers. Le slow 1959 est vraiment quelconque. L’influence country se limite à I Told Momma and Daddy Goodbye qui n’a pas le charme des adaptations country que Raybon interprétait sur les précédents albums. Dommage qu’il ait renoncé à cette partie du répertoire qui faisait beaucoup pour le charme des deux premiers disques et qui allait si bien à sa voix.

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