dimanche 24 avril 2022

Bluegrass & C° par Dominique Fosse

 

The Del McCOURY BAND

"...Almost Proud" 

La plupart des chanteurs bluegrass actuels ont des timbres plaisants dès la première écoute. Par le passé, ils avaient des voix souvent plus difficiles à apprécier au premier abord (pour des oreilles d’autres états que ceux du Sud-Est des Etats-Unis tout au moins) et ne semblaient faites que pour chanter du bluegrass. Si la voix de Lester Flatt était assez consensuelle, celles de Bill Monroe et Ralph Stanley nécessitaient, pour les apprécier, un apprentissage, une éducation de l’oreille. Ce fut aussi pour moi, à une époque, le cas de la voix de Del McCoury. Cette voix haut perchée et nasillarde à souhait m’a rebuté dans les premiers temps. Ensuite, je m’y suis fait, au point de m’enthousiasmer pour des albums tels que Del & The Boys, It’s Just The Night ou Streets Of Baltimore, et de considérer Del McCoury parmi les plus grands chanteurs bluegrass (je ne suis pas le seul). Aussi ai-je été surpris d’une sorte de régression dans mon appréciation de sa voix à l’écoute des premières chansons de …Almost Proud. J’ai réécouté d’anciens albums de The Del McCoury Band pour en avoir le cœur net et j’ai vraiment l’impression que le timbre de Del (qui a 83 ans) s’est durci. C’est, curieusement, encore plus sensible quand il chante en duo avec son fils Ronnie. Cela m’a donc gâché les premiers titres de …Almost Proud: une reprise de Love Don’t Live Here Anymore de Kris Kristofferson, une composition de Eric Gibson et Mike Barber (des Gibson Brothers) dont le couplet a un léger rythme de rumba, et deux compositions de Del. La plupart de ces titres sont néanmoins marqués par le banjo d’un Rob McCoury en grande forme. La voix passe mieux sur Rainbow Of My Dreams tiré du répertoire de Flatt & Scruggs, que j’aurais néanmoins aimée plus dynamique. La deuxième moitié du disque est bien meilleure. Honky Tonk Nights est un titre bien rythmé, chanté en duo par Del et Vince Gill. Le piano de Josh Shilling est très bien intégré dans deux morceaux, Once Again - une marche blues qu’il a composée et qui est typique du style de Del - et le swingant Other Shore. Working Man’s Wage est une bonne adaptation bluegrass d’un succès de Trace Adkins. Ma chanson préférée est Sid, superbe train song chantée en solo par Del, avec de belles interventions de Rob et de Jason Carter (fiddle). Del interprète ce titre et plusieurs autres dans une tessiture moins aiguë que les premiers morceaux de l’album et c’est aujourd’hui là que sa voix est la plus belle.

 

The PUNCH BROTHERS

"Hell On Church Street" 

Les Punch Brothers rendent hommage à Tony Rice en reprenant les douze titres de son album Church Street Blues. Un hommage qui n’est pas lié au décès de Tony le jour de Noël 2020 puisqu’il avait été enregistré avant sa mort. Les Punch Brothers ont d’ailleurs été très peinés de ne pouvoir présenter leur album à celui qui les a tant influencés, Chris Eldridge en tête, pas seulement parce qu’il est le guitariste du groupe, mais aussi parce qu’il l’avait fréquenté tout jeune grâce à son père, banjoïste de Seldom Scene. Noam Pikelny, banjoïste des Punch Brothers, avait, sur le même concept, réenregistré en 2013 tout l’album Kenny Baker Plays Bill Monroe (savamment intitulé Noam Pikelny Plays Kenny Baker Plays Bill Monroe) en jouant note à note tous les solos du célèbre fiddler. Les Punch Brothers ne peuvent bien entendu pas reprendre la même formule, Tony Rice ayant enregistré Church Street Blues pratiquement seul à la guitare (juste un petit coup de main du frangin Wyatt à la guitare rythmique). Ces douze titres existaient avant que Rice ne les reprenne et les Punch Brothers en font des versions très personnelles. Ils vont beaucoup trop loin pour moi avec l’instrumental The Gold Rush de Bill Monroe, suite de grattouillis et de tremolos qui ressemble à une longue intro. On attend en vain que le morceau démarre. Je n’ai pas non plus aimé Streets Of London chanté dans son style maniéré par Chris Thile sur un tempo ralenti et un accompagnement qui affectionne les dissonances. Mais je conçois qu’il y a un parti-pris esthétique qui peut plaire aux fans des Punch Brothers (ils sont nombreux et le groupe a déjà enregistré des chansons avec ce type d’arrangement). Last Thing On My Mind avec un chant murmuré et un accompagnement minimaliste n’est pas mon truc non plus mais tous les autres morceaux sont bien, voire très bien. J’ai particulièrement aimé la version joyeuse de Any Old Time (Jimmie Rodgers) chantée entièrement en duo par Eldridge et Thile. One More Time (Dylan) est également interprété en duo (par Thile et Gabe Witcher, je pense) avec la guitare d’Eldrige en vedette sur un arpège combiné de banjo et de mandoline. Toujours un duo vocal pour Orphan Annie (Norman Blake), cette fois sur un groove de contrebasse (Paul Kowert) relayé par le banjo. Chris Thile chante Church Street Blues dans son style particulier mais sans trop en faire. House Carpenter a un début trop calme et une suite bordélique mais j’aime bien la fin avec l’arrivée du banjo. J’ai beaucoup aimé Pride Of Man, bien rythmé, très bien chanté par Chris Thile et superbement arrangé, du chant des baleines joué à la contrebasse par Kowert aux solos des quatre autres musiciens. Bonne interprétation également de Wreck Of The Edmund Fitzgerald (titre signé Gordon Lightfoot, songwriter favori de Tony Rice) sur un arrangement aux sonorités celtiques avec une belle progression dramatique. Du côté des instrumentaux, Jerusalem Ridge (Monroe) est joué de manière speedée par Pikelny sur un accompagnement non conventionnel avant de basculer sur un solo de fiddle beaucoup plus classique. Cattle In The Cane est encore plus original, dans une interprétation très libre qui rappelle les premiers albums de Tony Trischka dans les années 70. Bref, selon votre appétence pour les audaces artistiques des Punch Brothers, il y a peut-être un à trois titres à mettre de côté mais Hell On Church Street est un bel hommage créatif à Tony Rice, guitariste et chanteur.

 

Kristy COX

"Shades Of Blue"

 Shades Of Blue est, je crois, le septième album enregistré par la chanteuse australienne Kristy Cox, le sixième aux Etats-Unis, et vous aurez beaucoup de mal à le différencier des trois précédents. Kristy a renouvelé sa confiance à Jerry Salley, producteur et songwriter (il signe neuf des douze chansons) et aux musiciens des précédents albums : Jason Roller (guitare, fiddle), Justin Moses (mandoline, dobro), Mike Bub (contrebasse), la seule nouveauté est la présence de Gaven Largent qui remplace Aaron McDaris au banjo. Mêmes types de chansons également : une moitié de titres rythmés typiques du bluegrass, quatre chansons dans un esprit country, deux slows, un blues. Pas très original mais tellement bien chanté, arrangé et accompagné. Appalachian Blue et Person Of The Year sont sortis en single pour les radios mais je trouve que ce sont loin d’être les meilleurs titres. Appalachian Blue est même très quelconque et ne vaut que par la maîtrise vocale de Kristy et le talent des musiciens. Person Of The Year a sans doute été choisi parce que la chanson évoque les héros du quotidien de la période de confinement total et qu’il y a un public pour ce genre de chansons. Je leur préfère le blues The Devil Was An Angel Too à l’interprétation intense, le countrygrass If Heaven Was A House, le slow An Old Abandoned Church et des titres plus rythmés comme Good Morning Moon et Moonshine, Moonlight & Blue Moon Of Kentucky. On pourra reprocher à Kristy un spectre de chansons moins varié que sur les albums précédents mais Shades Of Blue est un bon disque de bluegrass contemporain, très bien joué et chanté. 

 

 

The PO’ RAMBLIN’ BOYS

"Never Slow Down" 

Never Slow Down est le cinquième album des Po’ Ramblin’ Boys, un groupe formé en 2014 et qui est rapidement devenu très populaire (révélation de l’année en 2018 pour IBMA) grâce à une musique bien ancrée dans la tradition. Il y a d’ailleurs deux chansons des Stanley Brothers dans le répertoire de Never Slow Down (le classique Little Glass Of Wine et Lonesome). Le banjo de Jereme Brown crépite comme celui de Scruggs (excellent son). CJ Lewandowski joue parfois dans le style de Bill Monroe (Lonesome). Depuis que le quartette initial a intégré la violoniste Laura Orshaw (qui avait participé aux deux albums précédents et dont la notoriété personnelle grandit rapidement), il y a quatre chanteurs lead dans le groupe. Mon favori est Lewandowski qui interprète deux titres bien rythmés, Woke Up With Tears In My Eyes et Take My Ashes To The River de Mark Erelli. Laura Orshaw fait de bons débuts dans le groupe avec une ballade country de George Jones (Where Grass Won’t Grow), une valse d’Hazel Dickens (Ramblin’ Woman – il n’y a pas que les pauv’ garçons qui sont des baroudeurs) et une composition de Jim Lauderdale qui brode sur le traditionnel Little Maggie. Josh Rinkel interprète deux de ses compositions dont Missing Her Has Never Slowed Me Down qui a donné son titre à l’album. Jereme Brown chante Mason’s Lament, le titre le plus traditionnel du disque. C’est carré, efficace. Les Po’ Ramblin’ Boys n’en rajoutent pas pour sonner plus trad que trad. Ça leur est naturel. A mon goût, ça manque juste d’un peu de personnalité. 

 

 

Larry CORDLE

"Where The Trees Know My Name" 

Sorti en 2021, Where The Trees Know My Name est loin d’être le meilleur album de Larry Cordle mais la chanson qui lui a donné son nom pourrait sans problème figurer sur une compilation de ses meilleures compositions. Le texte n’a rien d’extraordinaire (Cordle semble à court d’inspiration de ce côté) mais c’est une jolie chanson blues, bien chantée et très bien accompagnée (comme plusieurs autres titres) par la guitare slide de Rob Ickes. L’autre très bonne composition de Cord sur ce disque est The Devil & Shade Wallen, story song sans refrain, bien arrangée avec Clay Hess à la guitare et toujours Ickes à la slide. J’aime aussi le swing Love Will Make You Crazy Sometimes (avec Ickes et Cody Kilby). La berceuse Sleepy Time est bien chantée. Where The Trees Have No Names associe compos de Cordle et reprises à parts égales. Parmi ces dernières, il y a deux compositions de Johnny Williams jouées dans un style très classique sur des tempos enlevés et Cherokee Fiddle de Michael Martin Murphey, jolie chanson devenue un quasi standard bluegrass. Le reste est moins intéressant mais pas déplaisant grâce au talent des musiciens déjà cités auxquels il faut ajouter Scott Vestal (banjo), Jenee Fleenor (fiddle), Kim Gardner (dobro), Aubrey Haynie (fiddle) et Chris Davis (mandoline).

 

 

Chris JONES & The NIGHT DRIVERS

"Make Each Second Last" 

Deux changements parmi les Night Drivers depuis The Choosing Road (Cri 162). Grace van’t Hof (banjo) et Marshall Wilborn (contrebasse) ont remplacé Gina Clowes et Jon Weisberger. Ce dernier signe néanmoins deux titres avec Chris Jones dont le uptempo Leave It At The Gate. Chris Jones a écrit ou coécrit tous les titres, y compris l’instrumental Groundhog’s Retreat avec Mark Stoffel. Le jeu de mandoline de ce dernier est le principal intérêt de cet album. Il est excellent partout. J’adore la note qui s’envole dans Whither You Roam, ses deux interventions dans Silver City et son long solo dans Everybody’s Got A Line. Grace van’t Hof est beaucoup plus discrète mais elle joue un bon style Scruggs. Elle est également moins présente en harmonie vocale que ne l’était Gina Clowes qui donnait un peu plus de brillant derrière la voix de baryton de Chris Jones, trop monocorde (le groupe gagnerait à avoir un second chanteur lead). Make Each Second Last m’a semblé moins varié que les disques précédents mais recèle plusieurs bonnes chansons, notamment We Needed This Ride, le gospel They’re Lost Too et le swing Riding The Chief.

jeudi 21 avril 2022

Du côté de chez Sam

 

SURRENDER HILL 

"Just Another Honky Tonk in a Quiet Western Town" 

Les disques de Surrender Hill, depuis leur premier album éponyme en 2015, ont régulièrement eu les honneurs des chroniques du Cri du Coyote. Le plus récent, A Whole Lot Of Freedom, date de 2020. L'année précédente, le duo, composé de Robin Dean Salmon et son épouse Afton Seekins, avait publié Honky Tonk. Surrender Hill passait alors environ deux cents jours par an sur la scène. La pandémie a brisé cette dynamique mais pas l'inspiration du couple qui a eu envie de creuser davantage le sillon de la musique Country & Western. Vingt-quatre titres sont nés, enregistrés dans le studio Blue Betty du groupe, à Ellijay, Georgia. Ils sont répartis en deux CD, le premier étant titré Just Another Honky Tonk et le second Quiet Western Town. Je ne chercherai pas les différences subtiles qui peuvent exister entre les deux disques car ils constituent un ensemble copieux, riche et cohérent. On peut simplement constater que Surrender Hill a quelque peu laissé de côté ses influences rock ou soul, pour se concentrer sur l'aspect honky tonk et western. Les titres parlent d'eux-mêmes: Cowboy Campfire Song, If This Ain't My Rodeo, Heart Of Texas, Tumbleweed, Sunshine & Silver Linings, Arizona Morning, Dusty Horse… L'imagerie du genre est là, omniprésente. Les deux voix se complètent parfaitement, celle de Robin, chaude, évoque celle de Tom Russell. Quant à Afton, ses interventions en solo sont pleines de lumière et tantôt d'énergie, tantôt de tendresse. Il y a de bien belles ballades (Call Upon My Friend, Heartache Goodbye, Old Chair), mais aussi des titres plus enlevés, portés par une Telecaster vibrante, (Just Stay), des titres typiquement country faits pour arracher des larmes, d'autres inspirés par le western-swing. Parmi les musiciens les plus remarquables figurent Mike Daly (pedal steel et dobro), Mike Waldron (guitares), Kevin Arrowsmith et Wyatt Espalin (fiddles). Ce disque est recommandé à tous les amateurs de bonne country music mais pas seulement à eux. La qualité de l'écriture, très cinématique (sans parler de celle des voix), qui ne faiblit pas un instant au long des vingt-quatre plages séduira tous les amateurs de bonnes chansons.

 

Anaïs MITCHELL 

(self-titled) 

Cela fait une décennie qu'Anaïs Mitchell n'avait pas publié de véritable album solo, sous son nom, en fait depuis Young Man In America (cf. Le Cri #127). Produit par Josh Kaufman, l'album a été enregistré avec des musiciens de talent tels que Kaufman, Michael Lewis, JT Bates, Thomas Bartlett, Aaron Dessner, Nathan Schram, Nadia Sirota et Alex Sopp avec des arrangements de cordes et de flûtes par Nico Muhly. Après s'être pleinement consacrée ces dernières années à sa comédie musicale Hadestown, Anaïs a quitté New York au début de la pandémie pour s'établir dans dans son Vermont natal, et reprendre le cours de son histoire personnelle, et de ses petites histoires. Le thème de l'enfance est très présent (Revenant, Little Big Girl), les souvenirs sont un peu le fil rouge de l'album. Le moment fort est On Your Way (Felix Song) dédié à son ami songwriter et producteur Edward "Felix" McTeigue décédé il y a un peu moins de deux ans. Dans Backroads, elle se retourne vers le moment où elle a dit au revoir à l'enfance. Dans plusieurs titres, elle évoque la route du succès, comme dans Bright Star, une ascension escarpée et pas sans danger, mais qui n'est pas infinie ainsi qu'elle l'explique dans la chanson finale, Watershed. Sur le plan musical et vocal, Anaïs est toujours aussi difficile à ranger dans une case. Jazz? Folk? Torch singer? Peu importe, elle peut dérouter, elle peut ne pas correspondre à ce qu'on préfère, mais nul ne niera le fait que l'artiste est sensible et talentueuse et qu'elle sait faire partager de belles émotions. 

 

Jefferson ROSS 

"Southern Currency" 

Pour son cinquième album solo en studio (auxquels il faut ajouter un live et un disque en duo avec Thomm Jutz), Jefferson Ross, songwriter de Savannah, Georgia, continue à chanter le Sud, comme il le fait si bien. Southern Currency comporte onze titres, chacun consacré à un des états du quart sud-est du pays, entre Atlantique à l'est et au sud, Virginie et Kentucky au nord, Arkansas et Louisiane à l'ouest. Le voyage commence en Alabama (Alabama Is A Winding Road) pour se terminer en Virginie (Southern Currency). Jefferson ne se contente pas d'être un songwriter dans la veine de Guy Clark et Townes Van Zandt, il est aussi un artiste complet dont les peintures et les photographies révèlent l'acuité du regard. Il voit son sud tel qu'il est, avec sa beauté et sa culture (musicale et littéraire), mais aussi avec ses défauts et ses fractures. Il sait parfaitement traduire tout cela en mots, mais aussi en musique, épousant le style adapté à la chanson et au sujet, comme dans Baptize The Gumbo (Louisiane) et The Nashville Neon Waltz (Tennessee). D'autres moments forts sont Turquoise And Tangerine (Floride) et High Tides In the Low Country (Caroline du Sud), alors que Two Kentucky Brothers (Kentucky) évoque les fractures qui ont souvent divisé les familles, hier (ici il s'agit de la guerre de Sécession) comme aujourd'hui. Jefferson présente ce qui a guidé ce projet ambitieux: "Je voulais raconter toute l'histoire, sans complaisance, pas seulement les clairs de lune et les magnolias, mais aussi les péchés, les dures luttes et les batailles entre ceux d'entre nous qui vivent là-bas. C'est une terre de contradictions. Fierté et honte. Pénitence et célébration. Sagesse et ignorance. Jugement et miséricorde". Le but est parfaitement atteint et pour cela, Jefferson, armé de sa voix chaude et de sa guitare a pu compter sur ses partenaires habituels: Thomm Jutz (production, guitares et harmonies), Mark Fain (contrebasse), Lynn Williams (batterie et percussion) mais aussi Mike Compton (mandoline) et Tammy Rogers-King (fiddle et harmonies) qui apportent, avec leurs notes, cette lumière du sud qui réchauffe même la musique.

 

Emily Scott ROBINSON 

"American Siren" 

Originaire de Caroline du Nord et établie à Telluride (Colorado) Emily mène sa barque avec détermination depuis son premier album, Magnolia Queen, paru en 2016. Avec le deuxième, Traveling Mercies publié en 2019, elle a atteint une certaine notoriété, notamment grâce aux millions de streamings de son single Better With Time. C'est avec un autre titre (qui ne figure sur aucun album), The Time For The Flowers, qu'elle a attiré l'attention de Jody Prine, ému par cette chanson qui représentait beaucoup pour lui est sa famille après la disparition de son père John. Voici donc American Siren, troisième album de la demoiselle, sur Oh Boy Records. Dès le premier titre, Old Gods, on est frappé par la qualité de ce qui nous est proposé. Un voix très belle (qui plaira aux fans d'Emmylou Harris), une qualité d'écriture qui ne se démentira pas au long des dix titres. Et puis les arrangements sont originaux. Pour la chanson d'ouverture, il y simplement trois voix, un violoncelle (joué sans archet) et un orgue. Un peu plus loin, pour Let 'Em Burn, il y a simplement la voix et le piano d'Emily et pour Lighting In A Bottle, la guitare d'Emily et le violoncelle de Duncan Wickel sont les seuls supports de la voix de l'artiste, avec les harmonies de Robbie Hecht. D'autres titres sont plus orchestrés, avec basse (Ethan Jodziewicz), guitares (Keith Ganz), pedal steel (Allyn Love), percussion (Austin McCall), fiddle (Duncan Wickel), claviers (Joe MacPhail). On note aussi sur deux titres la participation de deux membres des Steep Canyon Rangers: Graham Sharp (banjo) et Mike Guggino (mandoline). Mais ce sont toujours les voix, d'une grande pureté, qui sont en avant. Quant aux textes, ils sont parfois autobiographiques, parfois plus ésotériques, mais ce sont toujours ceux de quelqu'un qui sait raconter des histoires. Ce sont les chants des sirènes que l'on entend au long de sa vie. Une mention particulière peut être décernée à Hometown Hero (sorte d'héritier lointain du Sam Stone de John Prine), un jeune homme parti en Afghanistan à 19 ans, de retour chez lui, pour une nouvelle vie, avec deux enfants, qui se finira tragiquement, par un suicide: "Notre héros local est dans les faits divers aujourd'hui / Les drapeaux flottent à mi-mât / Nous t'avons enterré en un clair et bleu jour de Toussaint / Au son solitaire d'une trompette jouant des claquettes". 

 

Dean OWENS 

"Sinner's Shrine" 

L'itinéraire de Dean Owens est particulièrement riche, depuis ses premiers groupes Smile et The Felsons (années 1990) jusqu'à Sinner's Shrine, depuis les Highlands de son Écosse natale jusqu'à Tucson, Arizona, depuis une musique post-punk jusqu'à celle des déserts d'Amérique. Son œuvre en solo, démarrée en 2001 avec The Droma Tapes, a été variée et souvent tournée vers les USA, jalonnée aussi de projets parallèles qui avaient pour noms Redwood Mountain et Buffalo Blood. En 2021, il a produit trois EP (The Desert Trilogy, en édition physique limitée), douze titres en tout sur lesquels il était notamment accompagné par les membres de Calexico (Joey Burns, John Convertino, Jacob Valenzuela et Sergio Mendoza). Cette même équipe est réunie pour le nouveau LP, qui reprend quatre titres de la trilogie. C'est en fait le désert qui est la vedette de l'album, depuis Arizona jusquà After The Rain, en passant par Here Comes Paul Newman, sifflé par Dean et inspiré par les musiques de films d'Ennio Morricone, ou La Lomita. Grant-Lee Phillips vient prêter sa voix à The Hopeless Ghosts, et la chanteuse guatémaltèque Gaby Moreno en fait de même (en espagnol) sur Land Of Of The Hmmingbird, contibuant de ce fait grandement à l'ambiance générale du disque au même titre que les trompettes de Jacob Valenzuela. À noter également la pedal steel de Paul Niehaus sur cinq titres. Enregistré pour l'essentiel en janvier 2020, Sinner's Shrine n'a vu le jour que deux ans plus tard pour les raisons que l'on devine. Pour ceux qui savaient et attendaient, la patience n'a pas été vaine.

 

Baptiste W. HAMON 

"Jusqu'à la lumière" 

Baptiste Hamon est l'un des représentants les plus intéressants de la nouvelle chanson française, de celle qui sait se teinter de musiques américaines. Après Soleil, soleil bleu paru en 2019, pour lequel notre homme s'éloignait un peu des influences puisées au Texas ou dans le Tennessee, il est revenu en 2021 pour un EP, Barbaghamon, enregistré à distance (confinement et éloignement obligent) avec Julien Barbagallo. Pour Jusqu'à la lumière, Baptiste révèle d'autres influences et montre l'étendue de ses goûts musicaux qui ont pour point commun une réelle exigence de qualité. Il s'est associé pour l'occasion avec John Parish, connu notamment pour son travail avec P.J. Harvey. En l'occurrence, en plus de la production, à côté de la voix et la guitare acoustique de Baptiste, John assure la majorité des instruments (batterie, basse, claviers, guitare électrique, percussions). Joe Harvey-White à la pedal steel et Pete Judge à la trompette sont les seuls apports additionnels avec les harmonies de Lonny Montem. L'album est difficile à enfermer dans une catégorie, on sent les influences country dans des titres comme Jusqu'à la lumière et la réjouissante chanson d'ouverture, Boire un coup, hymne à l'amitié, mais il n'y a pas que cela. Retrouvailles avec le froid ressemble à une chanson folk des années soixante, y compris pour le son. Ce qui est sûr, c'est que tout est remarquablement écrit et que Baptiste devient une référence, comme d'autres avant lui. Le meilleur exemple est peut-être le très épuré Les gens trompés, ballade folk nostalgique (sentiment qui domine dans l'ensemble de l'album). Le disque se termine par une reprise, Revoilà le soleil de Jacques Bertin, sans doute pour Baptiste une façon de nous dire ce qui l'a nourri et pourquoi il aime la belle langue française. Comme souvent, on trouve aussi une chanson en duo et en anglais, juste une guitare et deux voix, Laughter Beyond The Flames avec la norvégienne Ane Brun. Patiemment, Baptiste W. Hamon se constitue une œuvre qui prend de plus en plus de consistance.

vendredi 15 avril 2022

L'art selon Romain (Decoret)

 
"Set Sails" (NewWest)
 
Purs citoyens des Mississippi Hills, les fils de Jim Dickinson ont grandi avec comme compagnons de jeux les fils de Jr. Kimbrough et accompagné la plupart des bluesmen du label Fat Possum de Crystal Springs. Pour ce douzième album, après 4 Grammy Awards, ils explorent le territoire du R&B de Memphis, invitant entre autres William Bell, légende du label Stax, sur Never Want To Be Kissed. Le groupe a évolué avec l’arrivée du bassiste Jesse Williams et du chanteur Lamar Williams Jr., tous deux fils de l’un des bassistes tardifs des Allman Brothers. On reconnait bien là le propos original des North Mississippi Allstars, qui est de réunir des familles musicales abordant tous les styles de blues, du country-blues au ragtime puis à l’âge d’Or du R&B. Le Hill-blues traditionnel des collines du Mississippi illumine des compositions telles que Juicy Juice ou Rabbit Foot. La chansons Set Sails se divise en deux parties séparées qui évoquent l’optique musicale dans laquelle Luther & Cody Dickinson ont traité le disque. The real natural blues et ça se passe clairement dans la troisième décennie du 21ème siècle, ce qui n’est pas un mince cadeau… 
 
 

Hank WILLIAMS Jr.

 "Rich White Honky Blues" (Easy Eye Sound)

Ne vous laissez pas tromper par l’ironie voulue du titre de ce 57ème disque (!) du fils de Hank Williams Sr. Plus grand que nature, capable de calmer le public sudiste d’un juke-joint d’un seul riff de guitare menaçant, Hank Jr. est l’un des derniers vrais outlaws. Le blues coule dans ses veines depuis que son père apprit la guitare avec un bluesman des rues nommé Rufus "Tee-Tot "Payne. Pour ce nouveau CD, c'est Dan Auerbach des Black Keys qui est allé chercher le légendaire Hank Jr. pour son label Easy Eye Sound. Pas de contrat, juste la parole donnée et des e-mails indiquant les reprises de classiques de Robert Johnson, Lightnin’ Hopkins, Muddy Waters, Big Joe Turner, ainsi que quelques titres de Bocephus lui-même (nb: le surnom que lui avait donné son père). Et puis le premier jour des séances, Jr. attendit de voir jouer le groupe d’accompagnement réuni par Auerbach. Kenny Brown, guitariste blanc de R.L. Burnside, Eric Deaton, bassiste de T. Model Ford et Kinney Kimbrough fils de Jr. Kimbrough du label Fat Possum. Après de longues minutes où le sort de l’album était en balance, Hank Jr. déclare "OK, ça ira…" avant de se lancer dans un marathon de 3 jours où il fait sien 44 Special Blues une relecture du 32-20 de Robert Johnson, My Starter Won’t Start d’Otis Hicks, Take Out Some Insurance de Jimmy Reed, Short Haired Woman de Lightnin’ Hopkins, Rock Me Baby de Big Bill Broonzy, B.B. King et Muddy Waters, TV Mama de Big Joe Williams, Call Me Thunderhead de Thunderhead Hawkins et quelques titres écrits pour l’album, comme Rich, White Honky Blues. Bocephus termine en prenant à contre-pied les béotiens qui voudraient le traiter de républicain raciste, avec l’hymne chrétien Jesus Will You Come By Here dans lequel on retrouve en filigrane la prière africaine Kumbaya. Conceptuellement, ce disque est comparable aux premiers enregistrements Sun d’Elvis Presley en 54/55. Dan Auerbach des Black Keys est décidément un chercheur infatigable. Il savait que Bocephus avait commencé sa carrière en chantant les hits de son père dans les grandes salles tout en jouant le blues de Jimmy Reed après minuit dans les clubs de blues de Printers Alley à Nashville. Hank Jr. souligne d’ailleurs ce fait sur la pochette avec une guitare qui ressemble fort à la Supro originale de Jimmy Reed et en reprenant son Take Out Some Insurance. Avant même la sortie de ce 57ème album, Mary Jane Thomas, l’épouse de Hank Jr. est décédée subitement. Plutôt que retarder le disque, Bocephus préféra le terminer avec l’hymne Jesus, Will You Come By Here. Magistral et inattendu.

 

OLD CROW MEDICINE SHOW

"Paint This Town" (ATO Records)

Ce groupe est l’un de mes préférés depuis leur chanson Two Birds On A Télephone Line. Ils jouent du ragtime, du hillbilly et ne leur parlez surtout pas d’americana car ils ont été originellement découverts il y a longtemps par Doc Watson, aveugle, qui sortait d’une pharmacie de Nashville alors qu’ils jouaient dans la rue. Pour ce nouvel album, ils abordent la conservation de la nature avec Used To Be a Mountain. Oui, il y avait une montagne ici et il ne reste qu’un trou dans la terre après le fracking utilisé pour miner le charbon à coups d’explosifs. La chanson Lord Willing And The Creek Don’t Rise reprend les paroles avec lesquelles Hank Williams Sr. s’adressait à son public à la fin de ses shows: "Je vous reverrai si Dieu le veut et si les eaux ne montent pas". Les connaisseurs en country-music apprécieront aussi DeFord Rides Again, dédié à l’harmoniciste DeFord Bailey, qui fut le seul musicien black permanent de la troupe originale du Grand Ole Opry. D’autres grands moment vous attendent avec New Mississippi Flag et Hillbilly Boy. Hee-haw!

 

Bernard ALLISON

"Highs & Lows" (Ruf Records)

Le fils de Luther Allison partage son temps entre les USA et l’Europe et c’est un exploit de sa part d’avoir réussi son retour en Amérique. Ce nouveau disque est particulièrement étoffé, produit par le grand Jim Gaines qui travailla avec Albert Colins, Stevie Ray Vaughan, Steve Miller, Huey Lewis ou Santana. Enregistré dans les Bessie Blue Studios de Stantonville, Tennessee, c’est la cinquième fois que Bernard et Jim Gaines enregistrent ensemble. Bernard salue tout d’abord l’héritage de son père en reprenant deux de ses chanson I Gave It All et Now You’ve Got It. Mais le véritable thème du disque est le retour à la scène après une longue période due au Covid. Maintenant, avec un tout nouveau répertoire de compositions personnelles, Bernard Allison est désormais on the road again avec ses Gibson et ses Strat Blade, ses amplis Quitter et Fender. L’atmosphère en studio dans le Tennessee est exceptionnelle, les grooves de Hustler, le changement de rythme de Last Night qui passe du fast-shuffle au slow-blues ou le blues-rock de Side Step un titre signé Jim Gaines. Ça devient très chaud sur My Way Or The Highway avec en invité le guitariste canadien Colin James puis ça tourne incandescent sur Hustler quand arrive le légendaire Bobby Rush à l’harmonica et aux vocaux. Une tournée française avec un concert parisien devrait suivre

 

Pierre LACOCQUE's MISSISSIPPI HEAT

"Madeleine" (Proper Records)

L’harmoniciste Pierre Lacocque est l’un des secrets les mieux gardés du blues. Ceux qui l’ont entendu sur scène ne l’oublient jamais. Belge, né en Israel, il commence à jouer à Chicago, protégé par Lil’ Sonny Wimberly du Muddy Waters Band. Le truc de Lacoque est qu’il sait s’installer dans une place forte du blues et y rester jusqu’à ce qu’il devienne populaire, il est aussi un excellent directeur de groupe, jamais injuste. Après Chicago, il a été à Memphis et pour ce nouvel album l’inspiration est venue de New Orleans, Madeleine est le nom de sa grand-mère. Il signe la plupart des titres et cette plongée en Louisiane a vraiment le mojo que ce soit sur Silent Too Long ou Batty Crazy avec les cuivres de Mark Franklin et Kirk Smothers. Mais des amis de Chicago sont venus jouer aussi et pas les moindres. Carl Wearherby est sur Empty Nest Blues, un slow-blues atmosphérique comme il y en a peu et Lurrie Bell, le fils du regretté harmoniciste Carey Bell tient la guitare dans Uninvited Guest et Nothing I Can Do. Sans oublier l’organiste Johnny Iguana pour Riding On A Hit et Truth Like Rain. Un disque d’une qualité surprenante qui rappelle un peu le Supersession d’Al Kooper

 

Distribution Frank ROSZAK Basé en Californie du Sud, Frank Roszak distribue inlassablement les bluesmen et groupes de tous les états américains et a même une station de radio pour les diffuser (roszakradio.com) . Voici une sélection récente d’excellents artistes que les grands labels n’oseraient jamais toucher et , pourquoi le cacher, c’est tant mieux pour nous et tant pis pour eux…

 

Scott ELLISON 

"There’s Something about The Night"(Swordfish Records)

Il vient de Tulsa, Oklahoma et se spécialise ans le jeu électrique en slide sur une Danelectro. Sur cet album, il est accompagné par des musiciens de l’ex-Eric Clapton Band qui aime choisir ses accompagnateurs à Tulsa. On retrouve ainsi le batteur Jamie Oldaker (décédé l’année dernière), mais aussi Albert Lee, Jon Parris (ex-bassiste de Johnny Winter) et Rick Robbins. Virtuosité et feeling. Excelsior!

 

Lew JETTON & 61 SOUTH 

"Deja Hoodoo" (Endless Blues Reords)

Le nom du groupe explique tout. Ces natifs du Mississippi et du Kentucky passent leur temps sur la route depuis plusieurs années, jouant dans les bars, honky-tonks, conventions de tatoueurs et festival de bikers. Jetton est un top-notch guitariste. Glissez son CD dans le lecteur de votre voiture et vous comprendrez la pureté de Two Lane Road, State Line Blues ou Move On Yvonne.

 

The SULLY BAND

"Let’s Straighten It Out" (Belly Up Records)

Ils viennent de San Diego mais la section de cuivres est de Chicago. Connaisseurs éclairés ils reprennent When The Battle Is Over du regretté Dr. John aussi bien que If You Love Me Like You Say d’Albert Collins avec leurs propres compos sur cet album enregistré dans les anciens studios A&M à Hollywood avec Chris Goldsmith et James East comme directeurs musicaux.

mardi 12 avril 2022

Avenue Country par Jacques Dufour

 

 
"My Songs To You" 
 
On connaissait Bruno Liger en tant que dobroïste auprès des chanteuses Marie Dazzler et Vicky Layne. Depuis quelques années le musicien méridional a entrepris une carrière solo avec à l’appui des concerts et un premier album de reprises paru il y a peu. My Songs est son deuxième album et à la différence du précédent il ne comprend que des compositions originales en anglais. Les douze titres, tous bien country, mettent particulièrement en valeur les talents de dobroïste de Bruno. Si je devais toutefois émettre un regret ce serait pour déplorer l’absence d’une ballade ou deux parmi une série de morceaux tous up ou médium tempo. La voix chaude du Grizzly le lui permettrait pourtant.
 
 

  Chester Charles CARMER

"Lonesome Halloween" 

Si les sites de téléchargement nous offraient un minimum de renseignements sur les artistes dont ils proposent la musique, le monde serait nettement meilleur. Chester Charles Carmer est-il Anglais, Canadien ou Bulgare, je ne le saurai vraisemblablement jamais. J’opterai toutefois pour la nationalité américaine vu que YouTube nous propose un extrait de concert dans un club de l’Arizona. Lonesome Halloween, qui n’est pas le titre d’une chanson présente, est un album agréable, parfois à la limite du bluegrass et de la country/folk avec la présence d’un banjo. J’ai particulièrement apprécié les titres qui mettent le fiddle en valeur comme le rapide Maricopa County et les bien country The Witch Of Seventh Avenue et Since You’ve Been Gone. Absence totale de ballades. Attendons la suite. 

 

Eddie BOND
 
 
Mais d’où sort cet album? Eddie Bond, pionnier du rockabilly, natif de Memphis, est décédé en 2013 et Buford Pusser, shérif dans le Tennessee, est mort en 1974 à l’âge de trente-sept ans. Ce dernier est resté célèbre, enfin localement, pour avoir vengé son épouse assassinée après avoir traqué ses agresseurs. A peu près du même âge et originaires de la même région il est fort possible que le chanteur et le policier justicier se soient connus. La date de ces enregistrements n’est pas notifiée (merci internet) mais le son nous transpose dans les années 70. Cet album a vraisemblablement été réalisé quelque temps après la disparition brutale et énigmatique de Pusser. J’ignorais tout de ce fait divers. L’histoire est intéressante mais cela ne nous explique pas la sortie tardive de cet album. Quoi qu’il en soit nous bénéficions de treize chansons country bien classiques et agrémentées de la voix chaleureuse de Bond qui aurait mérité une toute autre carrière que celle d’une star déchue du rockabilly.  
NDLR: après recherches, il apparaît que ce disque en paru en 1973, produit par Jerry Chestnut et Eddie Bond
 
 

Joe NICHOLS

"Good Day For Living" 

Joe Nichols fait partie des rares chanteurs de country classique avec Josh Turner qui ont eu l’opportunité d’établir leur période de succès entre la première vague des néo-traditionalistes des années 90 et l’arrivée des chanteurs de new-country/pop des années 2010. Nichols a obtenu son premier n°1 (sur trois) avec le fameux Brockenheartsville en 2003. Il a précédé le Your Man de Turner de deux ans. Le natif de l’Arkansas arrive tout doucement à la dizaine d’albums enregistrés bien que la cadence se soit ralentie. Cette nouveauté comporte treize chansons. Nul doute que Brockenhearted en ouverture se serait hissé en tête des charts s’il était sorti dix ans plus tôt. De l’excellente country dynamique. Le duo qui suit avec Blake Shelton, I Got Friends That Do, est de la même veine. De la bonne "feel good" country. La pedal steel guitare est perceptible dans la country classique One Two Step Closer, dans le slow Hawaii On Me et dans la ballade finale, She Was. Ailleurs elle est remplacée par le synthétiseur. Trop de titres sont gâchés par un accompagnement synthétique qui veut plaire aux plus jeunes. Joe Nichols doit quand même se douter que le Billboard ne s’ouvre plus pour les chanteurs presque cinquantenaires. Avec à peine une demi-douzaine de chansons réellement country qui mettent le vocal de Nichols en valeur, la moyenne n’est pas atteinte. 

 

 
"The Flowers That Bloom In Spring" 
 
On se souvient des O’Kanes qui obtinrent un n°1 en 1987 (35 ans déjà !) avec Can’t Stop My Heart From Loving You. Le duo était constitué de Jamie O’Hara qui nous a quittés en janvier 2021 et de Kieran Kane qui a aujourd’hui soixante-treize ans. Après une carrière en solo, la création d’un label discographique (Dead Reckoning) et une association avec Kevin Welch (que devient-il ?) il a enregistré plusieurs albums avec une artiste folk, chanteuse et violoniste, Rayna Gellert. L’ambiance musicale acoustique est plus folk que country mais Kieran nous offre une reprise agréable du classique Please Help Me I’m Falling. Dans le registre d’une country douce et intimiste notons également une chanson proche du style de Don Williams. Deux instrumentaux figurent au menu avec Kieran à la guitare et Rayna au fiddle. Cette dernière ne chante en solo que sur deux titres, ce qui est suffisant. Elle est plus efficace en soutien vocal de Kane. On ne peut dire que cet album déborde d’énergie. Vous êtes prévenus. 
 
 

John SCHNEIDER

"Southern Ways" 

On n’arrête plus John Schneider. Voici un troisième album en trois ans. Apparemment il semble actuellement privilégier l’aspect musique de sa carrière qu’il avait délaissé durant plusieurs années au profit du cinéma et des séries télévisées. Schneider c’est quand même cinq numéros 1 dans les années 80 sur la lancée de Shérif Fais-Moi Peur (de 1979 à 1984). Ses albums récents sont très bons. Southern Ways démarre par le gospel traditionnel Working On A Building. Excellent. Le reste n’a rien à voir. Le vocal et la musique de ce qui suit s’apparente à Charlie Daniels dans son aspect le plus proche du southern rock. Question de goùts, ce ne sont pas les miens. Mais j’ai apprécié deux country-rocks moins "hard", Can’t Hide Money et Drinkin’The Kool Aid, ainsi que les deux ballades Southern Ways et l’acoustique Younger Man. A soixante-deux ans Bo Duke est encore très vert mais je vais attendre qu’il se calme un peu.

jeudi 7 avril 2022

Du Côté de chez Sam

 
"You"
 
Il est difficile de parler du disque d'un ami en restant objectif. Indio Saravanja, Canadien d'origine argentine, admirateur de Georges Moustaki et protégé de Jeff Buckley lorsqu'il a débarqué à New York à vingt ans, est sans doute l'un des plus purs talents de son continent. Tous ceux qui ont eu la chance de l'approcher et de le voir ou l'entendre le savent. Mais les autres? Longtemps considéré comme un Dylan canadien, il a fini par être lassé de sa chanson Northern Town qui lui avait particulièrement valu cette comparaison. Ses six premiers albums ont reçu des critiques élogieuses mais sans rencontrer le succès commercial. You, son septième opus est, un peu à l'image de la carrière et de la vie d'Indio, placé sous les signe de la poisse. Le projet avait été lancé fin janvier 2020, ambitieux, et devait en résulter un double album vinyle. Les évènements que tout le monde connaît, ont plongé notre ami dans de nouvelles galères. Si le matériel a bien été enregistré a peu près comme prévu, l'augmentation des délais et des coûts liés au vinyle ont considérablement ralenti le processus. Si les fichiers digitaux ont été disponibles début avril 2021, le vinyle (transparent) n'a pu être expédié qu'environ sept mois plus tard, sous forme d'album simple de dix titres. Un CD, avec un titre bonus a également été produit. Voilà pour les mésaventures d'Indio, que d'autres ont d'ailleurs connues. 
 
Pour ce qui est de la musique, Indio poursuit le virage amorcé en 2014 avec Hotel Kiss Me, en s'éloignant du registre roots et folk-rock qui avait caractérisé ses œuvres précédentes. Il va même un peu plus loin puisqu'il abandonne ici son instrument de prédilection, la guitare, pour se concentrer sur les claviers, en particulier le piano dont il est un praticien autodidacte et inspiré. Le disque, qu'il a produit, a été enregistré entre Buenos Aires et Toronto. Il y a des cordes et des instruments à vent, les guitares (plutôt discrètes) sont tenues, y compris la pedal steel, par Scott Smith. Les amis fidèles sont là, d'Argentine (Pablo Grinjot) ou du Canada (Daniel Lapp), l'actrice et chanteuse Rebecca Pidgeon fait une apparition vocale sur Stay At Home. Si le son et la tonalité générale marquent (ou confirment) une nette évolution par rapport aux débuts de l'artiste, la qualité intrinsèque de l'ensemble, aux couleurs plutôt sombres, comme la pochette du disque, n'en est en rien affectée, bien au contraire. Indio est meilleur que jamais, ambitieux dans ses intentions mais totalement maître de son sujet. Il serait dommage de passer à côté de cet album majestueux, qui fascine d'une manière presque hypnotique, avec une qualité d'écriture qui n'appartient qu'aux meilleurs. En témoignent notamment le bouleversant et autobiographique Daddy's Tune, Grey Day In Spring, That's For Me ou encore la dernière chanson In My Time (To Live) qui ce conclut par ces mots "vivre et mourir / et ne plus jamais dire au revoir / et essayer encore", entre espoir et découragement. 
 
 
 
"Blue Blue Blue" 
 
Ce troisième album (solo) de Noel McKay confirme tout le bien que Guy Clark pensait de lui à l'époque (1993) où il se produisait encore avec son frère Hollin, d'abord au sein de Laughing Dogs puis des McKay Brothers. Depuis, Noel a fait son chemin seul ou aux côtés de l'excellente Brennen Leigh, aussi bien comme songwriter que comme interprète. Il se partage entre Austin et Nashville (comme ce disque enregistré pour deux tiers dans le Texas et pour un tiers dans le Tennessee). Il a grandi à Lubbock, patrie de Buddy Holly mais aussi des Flatlanders dont il se rapproche. C'est un artisan, mais pas seulement pour l'écriture musicale puisqu'il est aussi sculpteur et qu'il fabrique des guitares (encore un point commun avec Guy). C'est un raconteur d'histoires de premier ordre qui fait vivre ses personnages et sait en trois minutes dessiner un véritable petit scénario. De The 50 Loneliest Places In The Nation à You Oughta Write A Song About That (qui fait irrésistiblement penser à Guy Clark), il nous offre douze petits bijoux. Parmi ceux-ci, il y a Flying And Falling (coécrit avec ce même  Guy), Real Cowboy (coécrit avec Brennen Leigh) ou encore Somebody, Someway, Somewhere et Pawnee Waltz qui nous caressent agréablement le conduit auditif, avec renfort de pedal steel (Gary Newcomb ou Josh Shelton), d'accordéon (Josh Baca), de lap steel (Chris Scruggs) ou de fiddle (Jeneé Fleenor). On croise aussi un piano à la Jerry Lee Lewis, joué par Kat Marx, qui nous donne envie de taper du pied (Lurlene). Un beau disque? Le mot est faible car Noel McKay appartient à la catégorie des plus grands et cela finira par se savoir.
 

The REMITTANCE MEN

"Scoundrels, Dreamers & Second Sons

 Voici un groupe qui n'en est pas vraiment un au sens strict du mot, mais plutôt un bouquet de musiciens de la région de Boston, associés pour le meilleur autour du chanteur et songwriter Tom Robertson et du guitariste et producteur Andy Santospago. C'est encore un effet collatéral bénéfique de la pandémie. C'est ainsi qu'on découvre au détour des dix titres Mark Erelli, Kris Delmhorst, Zach Hickman, Eileen Jewel (A Room In Birmingham England, 1919), Chris Anzalone ou Joe Kessler. Huit compositions sont de Tom, s'y ajoutent Downsouth de Tom Petty et Nobody de Tim Gearan. Des premières notes de 1973 (Life On The High Seas) aux dernières de Nobody, la voix un peu paresseuse de Tom Robertson, éraillée mais sans excès, nous convie à un voyage en première classe qui parcourt des paysages aux couleurs country, folk, tex-mex (Hacienda Santa Rosa) ou country-rock au parfum des seventies. 

 

 
 
Quelque part en Bretagne, il y une bande d'irréductibles Gaulois qui résistent encore et toujours à l'invasion de la musique de mauvais goût. Mary-Lou se compose de Mary alias Félicie Garric (chant, guitares, violon, washboard, percussions), Jean-Luc Brosse (chant, dobro, guitares, basse, harmonica), Stéphane Dhondt (claviers, chœurs) et Benoît Perset (batterie, basse, chœurs). Les chansons (quatorze pour ce riche album) sont toutes écrites (en français) par Félicie et Jean-Luc, ensemble ou séparément. Les sonorités évoluent harmonieusement entre folklore de nos provinces (Nuit d'automne) et folk américain. Les ballades acoustiques sont majoritaires, avec parfois des titres plus rythmés, entre rockabilly et swing (Hey Hey Hey, Ça va être bon), des accents blues pour Tu es passée ou des morceaux franchement country comme Passer le temps où brille la pedal steel de Tommy Detamore. Ce dernier, qui a également réalisé le mixage et la mastérisation, est une sacrée référence, à la carte de visite impressionnante. Vocalement, Mary et Jean-Luc se partagent les parties lead, mais quand ils se rejoignent en duo pour Qui je suis, ils sont tout simplement irrésistibles. Le groupe a plus d'un quart de siècle d'existence (à noter que Mary et Jean-Luc se produisent aussi en duo sous le nom de Hoboes) mais n'a pas encore la notoriété qu'il mérite. Il n'est pas trop tard pour le découvrir et l'apprécier. J'en suis la preuve.
 
 

Phil LEE 

 

"Phil Lee & Other Old Time Favorites" 

On ne présente plus Phil Lee, personnage atypique, sorte de Zébulon musical qui se surnomme lui-même The Mighty King Of Love. Après Phil Lee & The Horse He Rode In On, enregistré avec Ralph Molina et Billy Talbot de Crazy Horse, il nous revient avec pour seul partenaire David West, déjà présent sur le disque précédent. Phil chante et joue de guitare rythmique (avec occasionnellement un harmonica ou une batterie). David fait tout le reste: dobro, mandoline, contrebasse, basse électrique, guitares, lap steel, piano, banjo, mandoline, orgue, harmonies vocales. Ce nouvel opus est à l'image de Phil. Concis et percutant, drôle et tendre, inattendu et remarquablement interprété. Deux multi-instrumentalistes de haut niveau, au service de la voix et du talent de songwriter de Phillip Pearson (véritable patronyme de l'artiste), ne pouvaient en tout état de cause que faire quelque chose de bien. Autre élément, la pandémie a incité l'hyperactif Phil Lee à ne pas rester les deux pieds dans le même sabot et a aiguisé son inspiration. Le ton est donné dès le premier titre, Did You Ever Miss Someone? En moins de deux minutes, tout le disque est résumé, le style doux-amer de Phil Lee est au sommet. Un peu plus loin, I Like Women, aux accents de western-swing, démontre si besoin le sens de l'humour et la fantaisie de notre ami. Le Mighty King of Love est de retour! Il aime toutes les femmes, et elles le lui rendent (c'est sa conclusion). Phil montre ses qualités de raconteur d'histoires dans Where Is The Family Today?, ajoute une touche plus personnelle dans Daddy's Jail. En plus de ses huit compositions originales (dont la moitié en partenariat), Phil reprend à sa sauce deux traditionnels: The Devil And The Farmer's Wife et Just A Closer Walk With Thee. La façon dont il fait siens ces titres connus, en particulier le second que tellement d'artistes prestigieux ont interprété, est tout simplement bluffante. En un peu plus de trente-trois minutes, Phil Lee nous a mitonné l'un des meilleurs et des plus réjouissants disques de l'année. On en redemande!