lundi 31 janvier 2022

Bluegrass & C°

Tony FURTADO 

"Decembering" 

Trois albums enregistrés entre 1989 et 1994 avaient donné l’impression que Tony Furtado était le musicien qui pourrait, après Tony Trischka et Béla Fleck, laisser une œuvre marquante dans l’histoire du banjo bluegrass. Et puis, brutalement, au milieu des années 90, comme s’il jugeait avoir fait le tour de l’instrument, Furtado a délaissé le banjo pour la guitare slide… Il n’est réapparu que 20 ans plus tard, dans son dernier album studio, The Bell, en 2015. Présent mais pas plus en évidence que le dobro, la guitare ou le chant de Furtado. Decembering marque le grand retour du Tony Furtado banjoïste. Par sa technique, par ses mélodies, il reprend les choses là où il les avait laissées il y a près de 30 ans. C’est-à-dire en fait là où le banjo est resté. Car depuis les innovations, les œuvres créatives de Trischka, Fleck et Furtado, il n’y a sans doute que Jens Krüger qui ait proposé un univers nouveau pour l’instrument. Et ceux qui ont composé une œuvre instrumentale un tant soit peu conséquente se comptent sur les doigts d’une main : Noam Pikelny, Alison Brown, Bill Evans, Lluis Gomez en Europe (il me manque un doigt – j’ai forcément oublié quelqu’un). Parmi les huit compositions de Tony Furtado, on retrouve peu ses influences jazz (le début de Squirrelville), beaucoup plus son goût pour la musique celtique (Icebound, Greenheart, Moonshoes) et c’est toujours un fin mélodiste (Tina And Pete, Decembering). C’est au niveau des arrangements que Furtado a évolué. Il y a 30 ans, il se faisait accompagner par des musiciens bluegrass. Sur Decembering, on retrouve bien un fiddler (Luke Price), des mandolinistes (Matt Flinner et Mike Marshall) mais à la guitare (et au bouzouki), il a choisi John Doyle, un spécialiste de la musique irlandaise. Il y a aussi selon les morceaux un violoncelliste (Tristan Claridge), un claviériste-accordéoniste, un flûtiste et pas moins de trois batteurs. Il faut féliciter Furtado pour le choix des percussionnistes, toujours pertinents. Le meilleur exemple est le traditionnel Nimrod Hornpipe qu’on croirait accompagné d’un steel band caribéen. Un très beau titre sur lequel Furtado double banjo (essentiellement joué en single string) et banjo-cello, instrument dont il avait déjà joué sur deux titres de The Bell et qu’on retrouve dans une élégante interprétation de Here Comes The Sun de George Harrison, très respectueuse de la mélodie, et joliment soulignée par la guitare slide et l’accordéon (ce titre fait écho à une autre reprise des Beatles parue sur l’album Swamped de Tony, I Will, magnifiquement interprétée par la jeune Alison Krauss). Comme Béla Fleck avec My Bluegrass Heart, Tony Furtado n’a pas cédé à la facilité d’inclure des chansons. Decembering est entièrement instrumental et intéressant de bout en bout. Furtado alterne les moments calmes où le banjo est parfois seul ou presque et les passages intenses (Tiny Beast) pour lesquels il trouve l’équilibre idéal entre sept ou huit instruments, avec de nombreux duos ou trios (avec la flûte et le fiddle en particulier) sur les formidables rythmiques de John Doyle. Son jeu est toujours impressionnant : single string, jeu en accords (Decembering, Wag The Dog), style melodic qu’il affectionne particulièrement et forcément un peu de Scruggs, tout est beau et maîtrisé. Un joli retour. 

 

HAYSEED DIXIE 

"Shattered Grass" 

En plus de vingt années de carrière, Hayseed Dixie s’est d’abord consacré aux reprises de titres de AC/DC, puis à d’autres groupes de hard rock et de rock mais a aussi rapidement intégré des compositions, essentiellement celles de son guitariste et chanteur Barley Scotch (c’est évidemment un pseudo, il s’appelle John Wheeler). Un premier album de titres originaux judicieusement intitulé No Covers, était paru en 2008. Pour Shattered Grass, les douze chansons ont été écrites par Wheeler. Elles sont plutôt bien arrangées, avec une mention spéciale au mandoliniste Hippy Joe Hymas et aux chœurs (Drinking Again, Poor Dog). Je trouve dommage que Wheeler ait pour ce disque complètement abandonné le fiddle qui aurait amené plus de variété, mais les compositions offrent par elles-mêmes un bel éventail de styles musicaux. If You’re Brave Enough est bluegrass/country. It Might As Well Be Me et White Wine sont des blues rock. She’s Out There Waiting For Me est le titre le plus rock avec ses riffs. Le rythme de Poor Dog est syncopé. Lady Of The Bog n’est pas loin du newgrass. Les thèmes ne surprendront pas les connaisseurs de Hayseed Dixie : les femmes (The Lingua Franca Of Love), l’alcool (Turning To Wine, Drinking Again), l’alcool et les femmes (It Might As Well Be Me). Mais il y a aussi une murder ballad à la Hayseed Dixie (Where Has Your Pretty Wife Been) et une réflexion sur la société américaine (It’s Hard To Be A Christian). C’est sympa, amusant, ça colle avec les textes de Wheeler, mais le ton est trop systématiquement celui de la parodie, notamment par la façon de chanter de Scotch Barley. A ses débuts, Hayseed Dixie était davantage dans la performance. Ils avaient des défis à relever quand il fallait reprendre des titres d’AC/DC sur des instruments bluegrass ou s’attaquer vocalement à Bohemian Rapsody de Queen, et cela nécessitait un certain sérieux. Aujourd’hui, Hayseed Dixie surfe sur son savoir-faire, a toujours des idées mais a réduit ses ambitions artistiques. 

 

CHOSEN ROAD 

"Appalachian Hymns" 

Chosen Road est un groupe de Virginie Occidentale formé en 2009 et spécialisé dans le gospel bluegrass. Appalachian Hymns est leur cinquième album. A l’époque de l’enregistrement, Chosen Road était composé de Jonathan Buckner (gtr), Zachary Arvis (mdo) et Tyler Robertson (bjo, bss), accompagnés en studio par Stephen Burwell qui fut pendant cinq ans le fiddler de Quicksilver et Corey Ferguson (voix de basse). Le classique Are You Washed In The Blood et son arrangement dynamique mené par le banjo est dans le style de Doyle Lawson & Quicksilver, référence en matière de gospel bluegrass. Pour le reste, à part l’instrumental Send The Light, Appalachian Hymns est un album très calme et il faut sans doute être soi-même pénétré par les textes pour l’apprécier pleinement. Chosen Road est pourtant un groupe plein de qualités. Les quartets a cappella How Beautiful Heaven Must Be et O What A Glad Day sont impeccables. Zachary Arvis est un bon chanteur et un mandoliniste délicat (Brethen We Have Met To Worship). On aimerait juste un peu moins de sobriété dans les arrangements (souvent guitare/fiddle), un peu plus du bon banjo de Robertson et d’entrain dans les chants. Tel quel, Appalachian Hymns est un bon album de gospel contemplatif. 

 

Norman BLAKE 

"Day By Day" 

Je ne pense pas qu’on puisse considérer que Norman Blake soit une légende vivante mais c’est pour le moins un artiste accompli. Il a longtemps accompagné Johnny Cash, joué sur des albums importants de Dylan, Joan Baez, Steve Earle, John Hartford, Robert Plant & Alison Krauss. Il a été parmi les premiers maîtres du flatpicking bluegrass, avec un style personnel, alliant tradition et modernité. Il est aussi l’auteur de quelques classiques : Church Street Blues, Randall Collins, Ginseng Sullivan… Sa discographie compte une bonne vingtaine d’albums dont deux en duo avec Tony Rice. Day By Day est un album typique du style de Blake. Les tempos sont calmes. Il est seul au chant et à la guitare sur six titres. Il joue une composition instrumentale (Old Joe’s March) au banjo old time, et il est accompagné de son groupe, The Rising Fawn Ensemble (Nancy Blake et James Bryan), sur les deux dernières chansons. Day By Day est un album réservé aux fans. Blake n’a jamais été un interprète exceptionnel et aujourd’hui, sa voix témoigne de son âge (83 ans). Son accompagnement est riche et ses solos de bon goût, mais son jeu est plus simple qu’auparavant. Le répertoire allie compositions, traditionnels et reprises. J’ai bien aimé la mélodie de la chanson traditionnelle Montcalm & Wolfe

 

  Robin & Linda WILLIAMS 

"A Better Day A-Comin’"

  Robin et Linda Williams se sont rencontrés il y a 50 ans et ont commencé à enregistrer en duo quelques années plus tard. A Better Day A-Comin’ est leur 24ème album, fidèle à ce qu’ils ont souvent enregistré : une majorité de compositions et quelques reprises avec des arrangements variés entre old time et country acoustique. Parmi les chansons écrites par le duo, ma préférée est la jolie mélodie de Jake & Jesus chantée par Robin sur fond d’orgue Hammond. Roses & Time et le folkgrass A Better Day A-Comin’ ont également des mélodies accrocheuses. Robin chante une surprenante adaptation de Tower Of Song (une chanson de Leonard Cohen qui parle de Hank Williams, ça ne se rate pas) accompagné par le banjo old time de Linda. Larry Shields est une bonne variation sur le thème de Frankie & Johnny. On retrouve de l’orgue et aussi l’harmonica de Robin sur Someday & Sometime, un des meilleurs titres du disque. Il y a quelques contributions de musiciens bluegrass (David McLaughlin, Patrick McAvinue, Mark Schatz) mais ce sont surtout les guitares qui dominent les arrangements souvent dépouillés. Les Williams poussent l’épure jusqu’à chanter a cappella le gospel Done Found My Lost Sheep. Un peu trop ambitieux pour des voix que l’âge commence à marquer mais qui restent agréables sur les autres titres dont l’atmosphère reflète souvent leur bonne humeur et leur enthousiasme. 

 

Caleb BAILEY 

"Poplar & Pine" 

Caleb Bailey est un chanteur, guitariste et songwriter originaire de Virginie. Son premier album, Poplar & Pine, lui vaut une certaine notoriété car il est produit par Gaven Largent (ex-Blue Highway) qui joue aussi du dobro et du banjo, et a recueilli la participation de plusieurs autres musiciens connus : le fiddler Jason Barie (Quicksilver, Joe Mullins), le guitariste Caleb Cox (Nothin’ Fancy) et les mandolinistes Jonathan Dillon (Jr Sisk) et Nick Goad (Sideline). Poplar & Pine propose dix compositions de Bailey, plutôt contemporaines, avec une moitié de titres lents, ce qui est sans doute trop car Bailey n’est pas un excellent chanteur. Sa voix est assez terne et il est dommage qu’elle ne soit pas relevée par davantage d’harmonies vocales. Wayne Taylor vient amicalement chanter un couplet de United Flight 93 et la dynamique du morceau s’en trouve immédiatement boostée. Il y a une chanson que je trouve très réussie, Hard Cider. La mélodie fluide, le chant coulé et même le solo de guitare évoquent immanquablement Tony Rice. Parmi les autres titres, les plus dynamiques, Grim Reaper et The Ghost Of Eli Jones, sont ceux qui passent le mieux.

jeudi 20 janvier 2022

Cris du Cœur #170 (deuxième partie)

BÉLA FLECK "My Bluegrass Heart" 

Certes, Béla Fleck enregistre régulièrement des albums. De la musique classique, de la musique africaine, du jazz ou du folk. Avec les Flecktones, avec Abigail Washburn, avec Chick Corea, avec Edgar Meyer. Mais pas de bluegrass ou quoi que ce soit qui s'en approchât depuis The Bluegrass Sessions en 1999. Il y a 22 ans ! Fleck considère My Bluegrass Heart comme le troisième volume d'une trilogie qui comprendrait aussi Drive et The Bluegrass Sessions. Pour moi, c'est tout autant la suite de Natural Bridge. On retrouve Béla Fleck dans un contexte purement bluegrass (ni batterie, ni claviers, ni électricité), entouré de vingt musiciens différents, pour un double album entièrement instrumental de dix-huit compositions sur dix-neuf titres (c'est copieux mais il y a vingt ans qu'on attendait). C'est bluegrass comme peuvent l'être les albums de Béla Fleck, c'est-à-dire penchant fortement vers ce que fut la new acoustic music. David Grisman est présent sur trois titres et My Bluegrass Heart est dédié à Tony Rice, guitariste des deux premiers albums de la trilogie. Tout est très beau dans ce disque. Les compositions de Béla Fleck ont de vraies mélodies, avec parfois plusieurs mouvements ou une progression dramatique crescendo (Charm School). Les arrangements sont très travaillés et l'interprétation virtuose. Vertigo, plein de triolets typiquement fleckiens rappelle Strength In Numbers (normal, il y a Sam Bush et Edgar Meyer). Béla Fleck a un jeu très original en chokes sur The Old North Woods magnifié par les fiddles de Stuart Duncan, Michael Cleveland et Andy Leftwich. Il y a beaucoup d'énergie et sans doute des parties (très bien) improvisées dans deux titres joués avec des musiciens plus jeunes, Billy Strings (guitare) et son bassiste Royan Masat, Chris Thile et le violoniste jazz et country Billy Contreras. Avec Tony Trischka et Noam Pikelny, il y a trois banjos dans Boulderlash. Joli duo banjo et pizzicato au violon (Contreras) sur Our Little Secret, un des deux titres proches de l'écriture de Jerry Douglas (présent sur dix plages). J'aime beaucoup la mélodie romantique de Round Rock avec le solo de guitare de Cody Kilby. Baptist Pumpkin Farm et Hunter's Moon rappellent les instrumentaux de Fleck il y a 30 ans. Il y a un joli motif de guitare entêtant dans Strider et des solos élégants de Molly Tuttle (gtr), Sierra Hull (mdo) et Leftwich (fdl). Us Chickens est un titre épatant basé sur un riff. Joli dialogue de Fleck avec les mandolines de Dominic Leslie et Sierra Hull sur le punchy Sour Grapes. Béla passe au banjo-cello dans Hunky Dory. Bum's Rush est un blues swingant avec Sam Bush qui fait du Sam Bush (il le fait très bien) et un original solo jazzy de Bryan Sutton. Je ne peux pas tout citer. My Bluegrass Heart est un formidable album. Il se clôt sur Psalm 136 joué avec délicatesse en duo par Béla Fleck et Chris Thile. (Dominique Fosse)

SANSEVERINO "Les deux doigts dans la prise" 

Le précédent album (2019) avait été enregistré avec le groupe Tangomotán, passage inattendu (et réussi) par le tango. Où Sanseverino nous emmènera-t-il cette fois? Pour le cru 2021, on comprend dès le premier morceau Je n'en veux pas que ce sera électrique et énergique, avec un power trio gui-tarebasse-batterie de feu. François Puyalto (basse) et Stéphane Huchard (batterie) ont participé au projet dès la phase d'écriture et cosignent plusieurs titres. Musicalement, le disque prolonge Montreuil-Memphis (2017) où Stéphane Huchard étincelait déjà avec son style de batterie “New-Orleans” sur des morceaux blues-rock-rhythm & blues. Ici s'y ajoute une dimension funk (le groupe The Meters est la référence revendiquée), voire afrobeat. La combinaison basse-batterie de Puyalto et Huchard groove à merveille tout au long des 12 plages ; Stéphane Sanseverino s'éclate à la guitare électrique et on se régale de ses riffs ! Chez JJ Cale, le deuxième morceau, est un hommage au grand maître américain du laid-back, avec une section rythmique et une guitare parfaitement dans l'esprit et, en effet, "on sent le canapé danser sans bouger". Deux invités enrichissent la palette sonore : Xavier Tribolet a déjà travaillé à plusieurs reprises avec Sanseverino; cette fois il officie au synthétiseur de manière réjouissante; Frédéric Gastard joue du saxophone basse, apport insolite mais parfaitement intégré à l'ambiance. Sur Moi moi moi, par exemple, le résultat est vraiment étonnant à la frontière du funk et du prog-rock! Plusieurs textes font référence à l'actualité sombre, coups de gueule rageurs tels Craonne, Je n'en veux pas, Nein ou Au Medef. Mais on retrouve aussi l'ironie amoureuse dans Liquéfié, la peinture pittoresque de Ça boxe, l'introspection distanciée avec Les deux doigts dans la prise. Une écriture sans lieux communs. Les dix chansons originales sont complétées par deux reprises mémorables. Tout d'abord Les embouteillages, le premier (et seul !) tube de Sanseverino paru il y a déjà vingt ans. Le voici revisité en mode rock, il n'a pas pris une ride et va faire frétiller les auditeurs. Ensuite, Qui c'est celui-là (oui, Pierre Vassiliu !) qui subit une injection d'adrénaline et conclut l'album en beauté. (Alain Kempf)

WILD LEEK RIVER "Wild Leek River" 

D'où vient cette Rivière du Poireau Sauvage? Cinq musiciens barbus ou moustachus descendus de la campagne du Vermont pour quérir un Cri du Cœur. Pas une seule ballade au compteur, le curseur est bloqué sur une musique dynamique qui alterne country-rock, honky-tonk, country rapides et même rock and roll. Mais pour reprendre son souffle Wild Leek River nous propose quand même trois ou quatre chansons un peu plus calmes. La pedal steel guitare est prépondérante sur tous les morceaux et la guitare est bien tonique. Un groupe local peut-être mais qui n'a rien à envier à bien des formations d'Austin. (Jacques Dufour)

ABBY POSNER "Kisbbe Ring" 

Abby POSNER, qui écume la scène musicale de Los Angeles depuis seize ans, a publié deux disques (un EP et un LP) sous le nom d'Abby and The Myth. Kisbee Ring (indépendant) est le premier album qu'elle publie sous son nom et c'est une véritable révélation pour moi. Toutes les chansons ont été écrites, arrangées, interprétées et mixées par Abby. Certes, on entend aussi les voix Mary Scholtz sur Joshua Tree et de Ross Newhouse sur Wishing Well, titre sur lequel figure aussi le fiddle de M'Gilvry Allen, mais c'est tout. Pour le reste, on ne peut que rester confondu devant le talent de cette surdouée, aussi à l'aise dans un solo de guitare aux accents blues que dans un complexe riff de banjo inspiré par Earl Scruggs. Abby écrit aussi des musiques de film, chante bien des textes intelligents et qui incitent à la réflexion. Le morceau titre évoque une relation amoureuse qui menace de se terminer, Low Low Low traite de la dépression d'une manière originale. Blind Spots, hymne à la justice raciale, est inspiré par le meurtre de George Floyd alors que Wishing Well est né pendant la pandémie, période propice à la remise en cause pour beaucoup. "Au cours des dix-huit derniers mois, je suis passée par beaucoup de changements, et j'ai appris que la seule personne capable de me sauver est moi-même", dit Abby. L'écouter peut être salvateur pour nombre d'entre nous. (Sam Pierre)

ROOTS & DRIVE "Through The Years" 

Le jeune groupe lyonnais commet là son deuxième opus et, si le premier était un bel album, celui-ci passe la vitesse supérieure car les dix chansons nous transportent dans une autre galaxie. Ce qui m'a le plus bluffé, au-delà de la maitrise avérée des instruments et des harmonies vocales, c'est le répertoire à 100% original. Le guitariste-chanteur, Patrick Peillon a composé (en anglais), 9 des 10 chansons, la dernière étant composée par Glenn Arzel et Fred Glas. Elles sont toutes le reflet des différentes expériences de la vie, ses joies et ses peines et sont toutes interprétées dans un style contemporain mais qui sait néanmoins garder ses racines (sic). Le banjo de Fred reste fidèle à son mentor, Sammy Shelor, Glenn Arzel prouve encore qu'il est LE mandoliniste sur lequel la France pourra compter aux prochains Jeux Olympiques et la gui-tare de Patrick s'envole telle un faucon (sic again), le tout ficelé rythmiquement par la contre-basse imperturbable de Jeff Pelosse. Parlons quelques instants des invités car les parties de violon de Simon Pierre et le DoBro de Manu Bertrand apportent tant au groupe qu'on en viendrait presque à regretter qu'ils soient "invités" en souhaitant qu'ils puissent intégrer le groupe à temps plein ! Claire Nivard et Mary Reynaud apportent également leur expérience vocale de très haute volée, pour des harmonies magiques, encore une fois. Au-delà de cet album, c'est toute la scène bluegrass française qui trouve ici sa juste récompense et si l'on pensait que cette musique n'attirait plus grand monde, on se trompait et c'est tant mieux! La relève est là, et bien là. Un Cri du Cœur pour ce bel album 100 % made in France pour une musique 100% américaine. (Philippe Ochin)

CHARLIE DANIELS "Duets" 

Charlie Daniels nous a quittés en juillet 2020. Un an plus tard parait cet album constitué de seize duos. Le natif de Caroline du Nord n'et pas connu pour être un spécialiste de ce genre de partage du chant puisqu'en plus de quanrante ans de carrière il n'en a classé qu'un seul en l'an 2000, All Night Long, avec Montgomery Gentry. Je m'interroge: ces associations sont-elles réelles ou s'agit-il de traficages en studio comme Nashville l'a déjà fait, avec rajout de voix "invitées"? Dans le doute, considérons les chansons telles qu'elles sont et elles sont tellement bonnes que l'ensemble mérite un Cri du Cœur, même si aucune n'est typiquement country. Pourquoi cette distinction? Pour deux raisons. La première est que tous ces duos, exclusivement des reprises, sont particulièrement réussis à l'exception d'un instrumental longuet et sans grand intérêt joué avec Brad Paisley.La seconde est que l'on parcourt la musique roots américaine qui est la bannière de notre fanzine. La soul est représentée par deux titres, l'un joué avec Bonnie Bramlett et le second, plus surprenant, est une reprise du célèbre Jackson avec Gretchen Wilson. Le rock and roll est largement présent : What'd I Say avec Travis Tritt, Drinkin' My Baby Goodbye avec Montgomery Gentry, The South's Gonna Do It avec Keith Urban, enfin Southern Boy avec de nouveau Travis Tritt. Le bluegrass n'est pas oublié avec pas moins de trois titres : Maggie's Farm avec la Scruggs Family, Evangeline avec le Del McCoury Band et le rapide Daddy's Old Fiddle avec Dolly Parton. Quatre ballades quand même : The Night They Drove Old Dixie Down avec Vince Gill, Let It Be Me avec Brenda Lee, God Save Us All From Religion avec Marty Stuart et deux reprises de Long Haired Country Boy, l'une avec Brooks & Dunn, L'autre avec Hal Ketchum et John Berry. On trouve même la reprise d'un "vieux" Dylan avec Like A Rolling Stone partagé avec Darius Rucker. Cet album montre l'éclectisme et l'ouverture musicale de Charlie Daniels. (Jacques Dufour)

MARK GERMINO "Midnight Carnival" 

Un secret bien gardé? C'est le moins que l'on puisse dire car son précédent album Atomic Candlestick date de 2006 et n'a pas vraiment fait la une des magazines. Mark GERMINO revient avec Midnight Carnival (Red Parlor Records) parce que c'est le moment opportun. Peu prolifique, mais exigeant sur la qualité, Mark donne raison à ceux qui ont eu la patience de l'attendre. Il écrit des folk songs suffisamment décents (c'est son expression) pour être publiés. Ses quatorze nouvelles compositions dépassent largement l'objectif. Entouré de Tom Comet (basse), Rick Lonow (batterie), Kenny Vaughan (guitares) et Michael Webb (claviers), Mark tutoie les sommets. Ajoutez-y quelques invités tels que Luke Bulla et Andy Leftwich (fiddle), Carlton Moody (voix) et Rusty Young (pedal steel), pour un de ses derniers enregistrements, écoutez des titres tels que Traveling Man, Peace Train, My Oh My ou Until The Fat Man Swings, et vous rejoindrez la (trop petite) cohorte des fans au premier rang desquels figure Iain Matthews. (Sam Pierre)

mercredi 19 janvier 2022

Cris du Cœur #170 (première partie)

Le Cri du Coyote, par la force des choses, évolue. Désormais, les chroniques de disques seront diffusées sur ce blog. Pour attendre, voici quelques-uns des Cris du Cœur du numéro 170, paru en novembre 2021.

JESSE DANIEL "Beyond These Walls" 

Le premier album de Jesse Daniel, "Rollin' On", ne date que de l'an dernier. Il avait d'ailleurs été gratifié d'un Cri du Cœur. Voici déjà la suite. J'espère qu'il ne continuera pas à ce rythme-là car on ne pourra pas programmer toutes ses bonnes chansons, et des mauvaises, il n'y en a pas. Des moyennes qui font remplissage sur maints albums, je n'en trouve pas non plus. Ce nouvel ouvrage est bâti sur le concept du précédent, à savoir pas mal de honky-tonk ou de country rapides, un country-rock et une seule ballade acoustique. La nouveauté quand même est l'introduction des deux titres tex-mex, l'un chanté en espagnol, El Trabajador, au rythme guilleret, et le second, bilingue, est une valse. Les deux bénéficient bien naturellement de la présence d'un excellent accordéon. Cet artiste californien poursuit son œuvre avec brio. (Jacques Dufour)

TIM O'BRIEN "He Walked On" 

Après un album bluegrass en groupe (Le Cri 161), Tim O'Brien revient à sa formule habituelle : un album mélangeant compositions et reprises, arrangées dans une large variété de styles. Il y a assez souvent un concept ou un thème qui réunit les chansons d'un album de Tim O'Brien. "He Walked On" est un album post-Covid. Nervous traite du mal-être et des nouvelles technologies dans nos sociétés modernes sur un air de swing égayé par le fiddle virevoltant de Shad Cobb. Pushing The Buttons est une jolie valse avec fiddle et steel sur l'informatique qui rend nos vies étriquées. The Same Boat Brother, léger et jazzy, superbement chanté, constate que nous sommes tous embarqués dans le même bateau. La responsabilité individuelle est le thème de That's How Every Empire Falls. When You Pray est un reggae avec orgue et chœurs féminins, cousin de la période Slow Train Coming de Dylan. On retrouve ces très beaux chœurs dans plusieurs chansons dont He Walked On où Tim joue de la guitare (acoustique et électrique), du bouzouki, du fiddle et de la mandole. La ballade Can You See Me Sister est un beau texte sur le destin lié à la couleur de la peau que font vibrer la guitare de Tim et le piano de Mike Rojas. Ce dernier est en soutien de la mandole et du mandocello de Tim dans El Comedor, chanson prenante sur l'immigration mexicaine. Pas de bluegrass dans He Walked On mais du old time (I Breathe In avec Tim au banjo) et du square dance (Sod Buster). Parmi les musiciens, il faut aussi citer Mike Bub (contrebasse), Justin Moses (dobro) et le batteur Pete Abott, présent sur presque tous les titres. Un disque plein de bonnes chansons et d'humanité, porté par la voix réconfortante et amicale de Tim. (Dominique Fosse)

RORY GALLAGHER (50th Anniversary Edition) 

En août 1970, le groupe Taste cartonne au Festival de l'île de Wight - j'y étais - mais, à l'issue du show, Rory, le batteur John Wilson (ex-Them & Van Morrison) et le bassiste Richie McCracken annoncent la séparation du trio. De retour à Cork County, Rory jamme avec la section rythmique du groupe Deep Joy, les auditionne à nouveau à Londres et monte son nouveau trio avec Gerry McAvoy à la basse et le batteur Wilgar Campbell. Il écrit sur sa guitare acoustique des morceaux qui relatent plus ou moins la fin de Taste, Wave Myself Goodbye, I'm Not Surprised, I Fall Apart, Just The Smile, des pièces folk différentes de son blues-rock habituel. Il y a aussi l'explosif metal-rock Laundromat et le fabuleux Sinner Boy qu'il avait commencé à jouer au slide avec Taste à Wight. Accessoirement, Rory travaille son jeu de saxophone - comme Van Morrison - et prend un solo sur la suite d'accords sophistiqués de Can't Believe It's True. Cette réédition inclut aussi de superbes chutes de studio enregistrées à Advision Studio dans le quartier londonien d'Euston. Un origibnal, At The Bottom, une version de Gypsy Woman de Muddy Waters et le fantastique It Takes Time d'Otis Rush. En bonus, des prises live pour la BBC et un DVD de 40 minutes filmé à la Taverne de l'Olympia pour l'émission Pop 2. Document précieux car peu après Rory Gallagher fait sa rentrée londonienne au Marquee de Wardour Street, avant de partir en tournée. En vinyle, en CD ou en édition de luxe, c'est un premier album solo incontournable. (Romain Decoret)

MATT PATERSHUK "An Honest Effort" 

On retrouve (presque) la même équipe que chez Gordie Tentrees pour "An Honest Effort" (Black Hen Music), cinquième album de Matt PATERSHUK. Steve Dawson, Gary Craig, Jeremy Holmes, Fats Kaplin et Keri Latimer sont là. Que l'on n'y s'y trompe pas, lorsque Matt parle d'honnête effort, il évoque les héros anonymes qui peuplent ses chansons, les gens qui osent, qui essaient, car l'album en lui-même est tout simplement brillant et les chansons de véritables diamants finement ciselés. Les thèmes abordés sont variés: Turn The Radio Up parle du vivre ensemble lorsqu'on parvient au milieu de sa vie, Johanna évoque une femme perdue (dont le narrateur espère qu'elle se perdra de la meilleure des façons) alors que Jupiter And The Flying Horse se déroule dans le milieu du cirque. Matt avait écrit Memory And The First Law Of Thermodynamics pour son troisième album, il récidive ici avec The 2nd Law Of Thermodynamics, ce qui est en soi une performance. Le tempo des mélodies est souvent dans le registre médium et devient irrésistible quand il prend la couleur d'une valse country comme dans 1.3 Miles, mon titre préféré de l'album avec Clever Hans, une délicate ballade acoustique. Le talent est plus apparent que l'effort dans ce bel album, avec la pointe d'humour apportée par Shane MacGowan où il est question des nouvelles dents du chanteur des Pogues. Mon disque de l'automne. (Sam Pierre)

JACKSON BROWNE "Downhill From Everywhere" 

Ce musicien est un de mes héros. Avoir co-écrit Take It Easy au début de sa carrière est un indice, avoir joué dans les plus grands stades à la fin des 70's en faisant redécouvrir la lap steel de l'incroyable Dave Lindley en est un autre. Enfin, continuer à sortir des albums sans aucune faute de goût reste sans doute la marque d'un talent jamais corrompu. Fin de l'hommage du fan. Alors, un nouveau CD? Oui, dix titres écrits récemment qui reprennent ses thèmes de prédilection incluant humanisme, compassion et ce sens aigu de l'observation du monde, que l'angle soit politique, écologique ou social. Ses actions au niveau de nombreuses associations en sont la preuve si besoin était. OK, toujours des choses à dire mais la musique? J'espère ne choquer en écrivant que ces titres auraient pu figurer The Pretender ou Time The Conqueror. On retrouve les orchestrations de son band et sa patte très personnelle pour tourner une mélodie. Deux chansons à écouter pour vous faire votre idée: A Little Soon To Say a cette sensibilité et cette nostalgie qui n'appartiennent qu'à lui et Downhill From Everywhere avec la rage d'un ado de 73 ans (dont la voix n'a pas vieilli d'un comma (ou d'un iota pour ceux qui ne sa-vent pas ce qu'est un comma (c'est un petit intervalle plus petit qu'un demi-ton))). Sacré Jackson, toujours ce feeling qui lui est propre, définitivement un grand bonhomme. (Christian Labonne)

EMMYLOU HARRIS & THE NASH RAMBLERS "Ramble in Music City: The Lost Concert" 

On a retrouvé le concert disparu ! Tous les fans d'Emmylou connaissent (et chérissent) le fameux At The Ryman enregistré en public à Nashville au printemps 1991, qui dérocha un Grammy en 1992. L'année 1990 avait constitué un tournant dans la carrière de la chanteuse, lorsqu'elle s'était séparée de son "Hot Band” électrique et a commencé une tournée acoustique, entourée de Randall Stewart (guitare, chant), Al Perkins (dobro, banjo, chant), Roy Huskey Jr. (contrebasse), Larry Atamanuik (batterie) et bien sûr Sam Bush (mandoline, violon et chant). Un premier passage à Nashville avait eu lieu le 28 septembre 1990 au Tennessee Performing Arts Centers, et l'enregistrement de ce concert, jamais publié, vient de ressurgir après trente ans d'oubli. Et voici, avec la même excellente qualité sonore, 23 morceaux dont aucun ne doublonne avec le “Ryman”, ce qui justifie largement l'acquisition, bien que l'album ne contienne aucun inédit. Le niveau vocal et instrumental est évidemment au-delà de toute critique. La setlist contient des joyaux du répertoire d'Emmylou qu'elle interprète merveilleusement, comme Roses In The Snow, Born To Run, Wayfaring Stranger, Two More Bottles of Wine, Boulder To Brimingham, des reprises de The Boxer (Simon & Garfunkel) et Save The Last Dance For Me (Drifters), linstrumental bluegrass Remington Ride… Mention spéciale à The Price I Pay: Emmylou venait d'enregistrer cette chanson de Chris Hillman pour son album Duets avec le Desert Rose Band, en version électrique. Sur la version acoustique du Lost (mais pas least!) Album, c'est Sam Bush qui est en vedette avec une intro de mandoline époustouflante, puis chante en lead. Les amateurs de bluegrass seront comblés ! (Alain Kempf)

BILLY STRINGS "Renewal" 

Depuis la découverte du jeune William Apostle sur YouTube assis sur son lit et rendant un bel hommage à Doc Watson avec un Brown's Ferry Blues d'anthologie, sa carrière a démarré sur les chapeaux de roues sous le pseudo de Billy Strings. Les précédents albums chroniqués ici-même, ont toujours reçu un bel accueil mais là, il est clair qu'une étape a été franchie; Renewal s'étend sur plus d'une heure et nous transporte dans son univers qui oscille entre bluegrass traditionnel et plus expérimental. Un voyage initiatique que l'on pourrait situer entre Bill Monroe, New Grass Revival, The Allman Brothers et Grateful Dead. Tout au long des 16 morceaux, le respect à la tradition est bel et bien là, tant au niveau des instruments que des voix avec une belle mise en avant de chaque membre du groupe et aucune prépondérance de la guitare. Idem pour les voix dont les harmonies sonnent finalement très traditionnelles. Après il est clair que certaines envolées, qui nous rappellent les plus belles heures des concerts du Grateful Dead, pourraient surprendre plus d'un auditeur prend et nous transporte réelle-ment dans son univers psychédélique sans être ennuyeux une seule seconde. Une réussite incontestable pour une carrière qui devrait continuer de nous enthousiasmer et qui lui a déjà valu de nombreuses récompenses aux IBMA Awards entre autres. Un Cri du Coeur largement mérité en sera une de plus. (Philippe Ochin)