mercredi 2 février 2022

L'art selon Romain (Decoret)

 

TEDESCHI-TRUCKS BAND 

"Layla Revisited (live at Lockn’ Festival)" (Fantasy Records)

Ce double CD enregistré sur scène reprend l’intégralité du classique album Layla & Other Assorted Love Songs d’Eric Clapton, sorti il y a 50 ans sous le pseudonyme de Derek & The Dominos. Évidemment, Derek Trucks, neveu de Butch Trucks des Allman Brothers, a été baptisé ainsi en raison de la participation de son oncle et de Duane Allman à l’album original. On se souvient qu’il a fait partie de l’Eric Clapton Band. Il était dès lors naturel pour lui de reprendre ce répertoire en compagnie de son épouse Susan Tedeschi (prononcer Tedeski), des guitaristes Trey Anastasio (Phish, Grateful Dead) et Doyle Bramhall II. Le résultat est une réussite absolue venue d’un immense travail en amont du show. Tout a été repris et fouillé au maximum, des entrelacs de guitares de Layla aux titres plus obscurs comme I Looked Away, Tell The Truth ou Why Does Love Got To Be So Sad. Le blues ressort particulièrement dans les dual-leads entre le slide de Derek Trucks et la guitare de Trey Anastasio, sur Key To The Highway, Have You Ever Loved A Woman ou Little Wing version Clapton plutôt qu’Hendrix. Pour compléter ces délicates reconstructions live, Derek & Susan ont enregistré en studio l‘acoustique Thorn Tree In The Garden qui relate l’histoire d’amour contrariée entre Eric Clapton et Patti Harrison. Incontestablement le meilleur album de ce début d’année...

 

CHUCK BERRY 

"Live From Blueberry Hill" (Dualtone Records)

Celui-ci personne ne l’attendait! Dès le début des nineties, Chuck Berry avait pris l’habitude de se produire souvent dans la Duck Room du Blueberry Hill Club de St Louis, Missouri. La petite salle de 400 places attirait des stars désireuses d’assister à un concert privé de"Crazy Legs" Berry et de jammer avec lui, comme Joe Perry, Johnny Rivers Jim James de My Morning Jacket ou Lemmy de Motorhead. Encore mieux, un groupe de musiciens résidents l’accompagnait. Le directeur musical Joe Marsala, le pianiste Robert Lohr, et le batteur de New Orleans Keith Robinson pouvaient inspirer, suivre et précéder Chuck. Joe Edwards, propriétaire du Blueberry Hill et ami de longue date de Chuck Berry fit installer un système d’enregistrement et cet album posthume est une sélection des meilleurs titres. Hits immortels comme Rock And Roll Music, Carol / Little Queenie ou Sweet Little Sixteen, mais aussi des titres comme Around & Around, Nadine, Bio qui raconte les aventures de Chuck dans les festivals des 70’s, ou Mean Old World de T.Bone Walker. Et pour clore le tout… Johnny B. Goode, bien entendu. Rock ’n’roll suprême… 

 

David CROSBY 

"If I Could Only Remember My Name" 50th Anniversary Edition (Rhino)

Cette réédition augmentée et remasterisée par Stephen Barncard, producteur original du tout premier album solo de David Crosby est un incontournable légendaire pour ceux qui apprécient le jeu électrique et acoustique en accordage open ainsi que les vocaux aériens de David Crosby. Sorti en 1971, le disque s’est peu à peu imposé comme un chef d’œuvre à plus d’un titre, un instantané d’une période créative que l’on aimerait revoir. Comme toute œuvre d’art authentique, il est né dans la douleur… Premier acte de cette tragi-comédie qu’est la carrière de David Crosby, il n’est presque jamais le protagoniste direct. D’abord avec les Byrds dont il fut éjecté par Roger McGuinn, puis avec CSN&Y. De temps en temps, il prend le devant de la scène, avec des compositions mémorables (Lady Friend, Déjà Vu). Pendant l’enregistrement du second album de Crosby, Stills, Nash & Young, la girlfriend de Crosby, Christine Hinton, conduisant son van, entra en collision avec un car scolaire et mourut instantanément. David Crosby ne s’en remit pas et entra ensuite dans une spirale qui allait consumer les deux décades suivantes de sa vie. Il se tourna vers les drogues dures et quinze ans plus tard il était en prison, méconnaissable. Mais dans l’immédiat, après la disparition de Christine Hinton, Crosby quitta Los Angeles et s’installa à San Francisco où il fut immédiatement et compréhensiblement entouré de l’amitié de Jerry Garcia, Paul Kantner du Jefferson Airplane, et d’autres musiciens de la Bay Area. Ils aidèrent Crosby à oublier temporairement sa douleur (“je n’avais pas plus de compréhension qu’une fourmi dont on a arraché les pattes”). Jerry Garcia dit : “On a monté un petit groupe autour de lui, David & The Dorks. C’est lui qui dirigeait. On jouait sans être annoncés dans les clubs de la Baie, c’était bien et la musique était cool. En fait c’est devenu le noyau du groupe qui joue sur l’album solo de David”. Car entre-temps, le succès monumental de CSN&Y fit que leur manager - Ahmet Ertegun d’Atlantic Records - demanda à chacun un album solo. L’enregistrement de celui de David Crosby débute fin 70 dans les tout nouveaux Wally Heider Studios à San Francisco. Il a déjà deux maquettes de chansons écrites pendant CSN&Y. Laughing est une excursion acoustique éthérée vocalement et jouée dans un de ces accordages open bizarre et personnel (Sol 9ème augmenté, par exemple) dont il partage le secret avec Joni Mitchell. Song With No Words avait été essayé pendant les séances de Déjà Vu. Les chansons sont soit électriques, soit acoustiques avec la pedal-steel de Jerry Garcia, parfois avec Crosby seul à la guitare comme sur I Swear There Was Somebody Here dédié à Christine sa girl friend décédée. Pendant une interview en 2017 lors de sa venue à l’Olympia, David Crosby me dit qu’Orleans, une chanson française du XIVème siècle, lui avait été apportée par Paul Kantner du Jefferson Airplane, chercheur folk approfondi. C’est une complainte de soldats et sonneurs du guet qui tintent les heures des clochers d’Orléans, Beaugency, Notre Dame du Clery, et Vendôme. Un hasard bien intentionné a voulu que je trouve ensuite dans une brocante la partition originale de cette chanson dans un recueil ancien, avec le couplet qu’ont délaissé Crosby et Kantner, qui ne parlent pas vraiment le français : “Quel chagrin, quel ennui, de compter toute la nuit, les heures, les heures”. Le titre original est Vendôme (la ronde des heures). La mélodie est celle d’un chant grégorien. Autre merveille acoustique, Traction In The Rain, joué en open par David Crosby à la guitare avec Laura Allan à l’autoharp et Graham Nash aux chœurs. Les chansons électriques accueillent Jerry Garcia qui aide à arranger et produire l’album, avec des membres du Dead, Airplane, Quicksilver, Santana, regroupés sous le nom de Planet Earth Rock n Roll Orchestra (P.E.R.R.O., ce qui signifie “chien” en mexicain). Cowboy Movie relate l’histoire d’un gang d’outlaws qui finissent par s’entretuer à cause d’une jeune indienne. C’est une allusion voilée à la rencontre mouvementée de CSN avec la chanteuse Rita Coolidge. Les guitares de Crosby et Jerry Garcia, avec Phil Lesh à la basse et Mickey Hart à la batterie, explosent littéralement ce morceau prophétique ou Crosby décrit son avenir, la période où il deviendra Croz (diminutif de CroZby avec l’accent californien), un psychotique recherché par la police. Tamalpais High contient aussi un duo de 6-cordes entre Garcia et Jorma Kaukonen qui vaut le déplacement. Ailleurs on trouve Neil Young sur Music Is Love, Jack Casady, Michael Shrieve et Greg Rolie de Santana. Et aussi Joni Mitchell, Grace Slick, David Freiberg de Quicksilver sur What Are Their Names où Crosby détaille son obsession pour les hauts responsables de la mort de John Kennedy. Le producteur Steven Barncard a rajouté sur cette réédition des inédits alternatifs comme Riff 1, Kids & Dogs, Games, The Wall Song, Where Will I Be, Coast Road, Dancer et Fugue. A sa sortie, le 22 février 1971, les critiques se vengèrent sur David Crosby de la séparation des Byrds originaux qu’ils ne lui avaient pas pardonnée, mais n’avaient pas pu lui reprocher avant, vu le succès et la popularité de CSN&Y. Lorsque Crosby s’en plaignit à Ahmet Ertegun la réponse du producteur turc fut laconique : “On a déjà vendu plus d’un million de ton album solo!”. Aujourd’hui David Crosby - son vrai nom est David Van Courtland - a 80 ans. Il a survécu à trois crises cardiaques, une hépatite C et a reçu une greffe du foie en 1994, payée par Phil Collins. If I Could Only Remember My Name est devenu un album-culte pour ses vocaux éthérés, ses improvisations inattendues, ses chansons acoustiques sophistiquées et la présence active de l’élite des musiciens “Golden Era” de San Francisco. Si vous n’êtes pas déjà familiers avec cet album légendaire, prenez le risque… 

 

SON HOUSE

"Forever On My Mind" Easy Eye Sound

Le label de Dan Auerbach des Black Keys a fait une découverte fabuleuse : les bandes originales d’un show de 1964 du country-bluesman Son House, qui venait juste d’être retrouvé dans une maison de repos de Rochester par le chercheur Dick Waterman. On équipa alors Son House d’une National avec résonateur et Alan Wilson de Canned Heat passa quelques semaines avec lui pour l’aider à dépoussiérer son répertoire, ce qui se révéla très efficace. Puis Son House prit la route dans la Ford Mustang conduite par Dick Waterman. C’est à l’université de Wabash, Indiana, que son show fut capté dans son intégralité. Ces premiers shows en 64 sont le vrai blues. Après cela Son House apprit à plaisanter avec le public et devint autre chose, un "entertainer". C’est loin d’être le cas ici, il est brut et authentique. Forever On My Mind est resté inédit et Louise McGee et The Way Mother Did n’en sont pas loin, sorties sur des compilations introuvables aujourd’hui. Mais c’est surtout dans les blues qu’Alan Wilson l’avait aidé à retrouver que Son House brille avec une pureté étincelante, pas encore touchée par l’habitude. Preaching Blues est un lien saisissant avec Robert Johnson qui l’interpréta aussi. De même le Pony Blues de Charley Patton qui semble avoir tiré des larmes silencieuses au jeune public blanc incrédule de la Wabash University. Tout comme les originaux Death Letter, Empire State Express"ou le field-holler Levee Camp Moan. Il vous faudra attendre le mois de mars prochain pour acquérir ce trésor dès sa sortie. Ne le manquez sous aucun prétexte… 

 

THE RONNIE WOOD BAND

"Mr Luck - A Tribute To Jimmy Reed - Live At The Royal Albert Hall" (BMG/Warner)

Ronnie Wood avait annoncé son master-plan de sortir une trilogie consacrée aux grands inspirateurs. Le premier volume était consacré à Chuck Berry et a été passé sous silence, même Mike Zito ayant réussi un meilleur tribute à "Crazy Legs"Berry. On pouvait craindre le pire pour ce volume dédié à Jimmy Reed, mais l’influence du bluesman de Chicago a été si forte sur le british rock que cet album atteint sans problème l’excellence. Ronnie Wood a su tout axer sur les guitares avec Mick Taylor dans le rôle d’Eddie Taylor, complice historique de Jimmy Reed. Cela fonctionne parfaitement sur des titres bien choisis : High & Lonesome, Shame Shame Shame, ou I Ain’t Got You repris façon Yardbirds. Les invités comme Bobby Womack sont parfaits sur Big Boss Man"ou Bright Lights, Big City. Bonne idée aussi le choix de I’m That Man Down There et surtout Ghost Of A Man où Jimmy Reed décrit le tragique alcoolisme non anonyme de la fin de sa vie. Le troisième volume de la trilogie pourrait être consacré à Slim Harpo ou Bo Diddley. Wait & See...

 

JOHN MAYALL 

"The Sun Is Shining Down" Forty Below Records / dist. Bertus

Pour son nouvel album au titre révélateur, John Mayall a réuni toute son expérience pour aborder les styles les plus divers du blues, du Chicago shuffle de Driving Wheel au jazzy I’m As Good As Gone, la soul-music de Chills & Thrills (signé Bernard Allison) ou l’étonnant One Special Lady avec l’ukulélé électrique de Jake Shimabukuro. Les invités sont un véritable who’s who du blues actuel : le jeune et explosif guitariste Marcus King, le spécialiste de Chicago Melvin Taylor, le grand Mike Campbell, et l’étonnante texane Carolyn Wonderland qui avait surpris le public parisien du Bataclan lors du dernier passage de John Mayall . Le bluesman est allé plus loin en invitant aussi Scarlet Rivera ex-violoniste de Bob Dylan, le joueur d’ukulélé Jake Shimabukuro et le folk-bluesman Buddy Miller. La section rythmique est toujours l’imparable duo New-Orleans du bassiste Greg Rzab et du batteur Jay Davenport. Les sessions ont eu lieu à Los Angeles au Studio Strawhorse et aussi au Horses Latitudes Studio de Robby Krieger, guitariste des Doors. John Mayall aborde aussi bien ses propres compositions, Deep Blues Sea, Got To Find a Better Way, que celles du regretté Bobby Rush, de Bernard Allison ou le classique Driving Wheel du pianiste Roosevelt Sykes. Cela dit, le père du British Blues a décidé de ne pas tourner cette année mais ce disque est un témoignage certain de son art actuel.

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