lundi 12 mai 2025

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Alison KRAUSS & UNION STATION

"Arcadia" 

Cri du 💚 


La voix de l’ange est de retour. Notre ange à nous, les bluegrasseux. Alison Krauss revient au bluegrass, quatorze ans après Paper Airplane, son dernier album avec Union Station (Le Cri du Coyote 123). Dans l’intermède, elle ne nous guère offert que le très dispensable disque country Windy City en 2017 et le deuxième album avec Robert Plant en 2021. Looks Like the End of the Road, le premier titre d’Arcadia, est une valse qui débute par une rythmique de guitare toute simple. Pourtant, dès les premières notes, on sait que la magie va fonctionner. Il y a un son Union Station qui magnifie la voix d’Alison (à moins que ce soit l’inverse)… Toutes les rythmiques, tous les arrangements sont délicats et somptueux. Je ne vous épargnerai pas la comptabilité dressée par tous les amateurs de bluegrass depuis la sortie de So Long So Wrong en 1997. Oui, cette fois encore, il n’y a qu’un seul titre chanté par Alison avec Ron Block au banjo. Dans la mesure où les chansons sont plutôt graves, les thèmes douloureux, le dobro de Jerry Douglas et la guitare de Ron Block dominent logiquement les arrangements. Adam Steffey (un ancien Union Station) est en renfort à la mandoline sur deux titres. Alison est plutôt discrète au violon. Elle a habilement sélectionné le répertoire, de très jolies mélodies idéales pour sa voix, pour la plupart œuvres de compositeurs avec lesquels elle a déjà travaillé (Robert Lee Castleman, Jeremy Lister, son frère Viktor, Dan Tyminski). One Ray of Shine a une très jolie mélodie. Le chant est tour à tour délicat et puissant dans The Wrong Way, magnifiquement souligné par le dobro. La voix est d’une pureté incomparable dans There’s A Light Up Ahead. Et Alison chante évidemment tout aussi bien quand la chanson est menée par le banjo (Richmond on the James). Il y a un changement notable dans Union Station (le premier depuis plus d’un quart de siècle). Russell Moore remplace Dan Tyminski, occupé par sa propre carrière solo, comme second chanteur. Tout le monde connait Russell Moore, une des grandes voix du bluegrass, élu 7 fois de suite chanteur de l’année par IBMA, à la tête du groupe IIIrd Tyme Out depuis plus de 30 ans (qu’il n’a apparemment pas l’intention de quitter), après avoir fait ses classes auprès de Doyle Lawson. Il a été le premier choix d’Alison Krauss quand il a fallu remplacer Tyminski. Il a le même genre de voix, un peu moins de puissance et d’agressivité peut-être. Alison lui a fait de la place puisqu’il interprète quatre des dix chansons. Ma préférence va aux deux titres avec banjo. Snow est une composition bien rythmée de Bob Lucas (dont AKUS a déjà enregistré plusieurs titres et chez qui New Grass Revival avait fait son marché dans les années 70). North Side Gal est un blues entrainant repris du chanteur rockabilly revivaliste JD McPherson avec un solo de banjo boogie. Granite Mills est une bonne chanson plus sombre qui rejoint davantage l’esprit des titres interprétés par Alison. On glisse encore plus dans la noirceur avec The Hangman et, pour tout dire, j’aurais préféré à la place une troisième chanson avec banjo. Malgré le remplacement (peut-être temporaire) de Tyminski par Moore, Arcadia est tout à fait dans la lignée des précédents albums d’Alison Krauss & Union Station. Pas de surprise, mais après avoir attendu quatorze années, c’est exactement ce qu’il nous fallait.


 

 

Sierra HULL

"A Tip Toe High Wire" *

Cri du 💚 

25 Trips, le précédent album de la mandoliniste et chanteuse Sierra Hull qui date de 2020 (Le Cri du Coyote 165) ayant été Cri du Cœur, A Tip Toe High Wire l’est aussi puisqu’en gros, c’est le même en mieux. En plus cohérent au moins avec des arrangements servis par une équipe réduite (Shaun Richardson - guitare, Avery Merritt - fiddle, Erik Coveney - basse, Mark Raudabaugh - batterie), de jeunes et talentueux musiciens encore peu connus bien que certains aient déjà accompagné des artistes comme Béla Fleck, Missy Raines, Dailey & Vincent, Tony Trischka ou Front Country. Pas de pedal steel, de claviers ni de violoncelle comme dans 25 Trips, et peu de guitare électrique (jouée par Sierra elle-même). Sierra a juste ajouté du banjo (Béla Fleck) sur un instrumental et son mari, Justin Moses (dobro) sur trois chansons. Il y a moins de digressions instrumentales également, ce qui n’empêche pas de brillantes interventions des différents musiciens. Les rythmiques sont très originales mais toujours efficaces. Le son de la mandoline de Sierra est magnifique, son jeu virtuose. Les sommets de l’album sont Muddy Water, à la fois rythmé et délicat et Spitfire, superbement chanté, un des deux titres que Sierra accompagne (très bien) à la guitare. Let’s Go a des influences Nickel Creek / newgrass alors que la ballade Redbird et Truth To Be Told nous rapprochent davantage de l’univers d’Alison Krauss (sans doute en partie à cause de la présence du dobro). Come Out of My Blues avec sa délicate rythmique en arpèges de mandoline et Boom ont de fortes influences blues. Parmi les deux instrumentaux, malgré la présence de Béla Fleck en duo avec la guitare électrique de Sierra dans E Tune, ma préférence va à Lord That’s A Long Way, original, virtuose et musical à la fois. Tous les morceaux ont été écrits ou coécrits par Sierra. Pas un titre faible dans ce très bel album, au point de rendre presque anecdotique la présence de chanteurs comme Tim O’Brien, Ronnie Bowman, Aoife O’Donovan et Lindsey Lou en harmonie vocale. 


 

 

Becky BULLER

"Jubilee" 

Jubilee a été inspiré à Becky Buller par la dépression qu’elle a vécu pendant le confinement. L’album contient dix titres mais dure moins de 25 minutes car cinq morceaux font moins de deux minutes, Prelude et Interlude plafonnant à une trentaine de secondes. C’est un album parfois grave mais jamais triste ni pessimiste. Mon titre préféré, Kismet, est même un instrumental entrainant, voire joyeux. Spiral, autre instrumental, est plus romantique. Aucune des quatre chansons n’est réellement marquante mais aucune n’est banale. Jubilee a été coécrit par Becky avec Aoife O’Donovan (elle a composé seule les autres morceaux) qui chante avec elle les refrains. Dans Woman, Becky s’accompagne avec un banjo old-time baryton qui amène de la gravité. Alone est construit sur une rythmique de mandoline newgrass (Wes Lee) et laisse de grands espaces aux solistes du groupe de Becky (Ned Lubercki - banjo; Becky - fiddle; Jacob Groopman guitare). Whale est un blues bien rythmé qui permet un des nombreux duos banjo-fiddle de l’album. Jubilee est un album atypique dans la discographie de Becky Buller et sans doute à conseiller en priorité à ses fans.


 

 

Various Artists

"Bluegrass Sings Paxton" 

À l’initiative de Cathy Fink (qui a souvent composé avec Tom Paxton) et du songwriter Jon Weisberger, Bluegrass Sings Paxton propose douze chansons de Tom Paxton en version bluegrass par douze interprètes différents. La partie protest song du répertoire de Paxton n’est malheureusement pas reprise ici (ses chansons contre la guerre du Vietnam, le formidable Johnny Got A Gun sur la prolifération des armes) mais ce n’est sans doute pas celle qui s’adapte le plus facilement au bluegrass. Huit chanteurs sont accompagnés par une formation 5 étoiles réunie pour la circonstance: Kristin Scott Benson (banjo), Deanie Richardson (fiddle), Darren Nicholson (mandoline), Chris Jones (guitare) et Nelson Williams (contrebasse). Ils déploient tout leur talent pour donner des arrangements vraiment bluegrass à des chansons qui ne le sont pas. Les interprétations les plus remarquables à mon goût sont celles de Claire Lynch (I Give You The Morning) et Laurie Lewis (Central Square) grâce à la douceur de leurs voix qui convient bien à des titres qui sont, à l’origine, des ballades folk. On notera également l’interprétation remarquable du blues The Things I Notice Now par Alice Gerrard qui ne devait pas avoir loin de 90 ans au moment de l’enregistrement (c’est son âge aujourd’hui). The Last Hobo par Chris Jones n’est pas mal non plus. Leaving London (Greg Blake), The Same River Twice (Aaron Burdett, nouveau chanteur de Steep Canyon Rangers), Looking for the Moon (Sav Sankaran, bassiste de Unspoken Tradition) et Ramblin’ Boy (Danny Paisley) sont plus ordinaires. Trois titres sont interprétés par des groupes constitués. Sister Sadie reprend sans grand brio The Last Thing On My Mind, la composition de Tom Paxton la plus populaire dans le milieu bluegrass (la version de Tony Rice est la plus célèbre). Depuis quelque temps, Tim O’Brien et son épouse Jan Fabricius composent régulièrement avec Tom Paxton (un album entier de leurs chansons devrait sortir courant 2025). Tim et son groupe interprètent ici une de leurs œuvres communes, le gospel You Took Me In, arrangé à la manière de Flatt & Scruggs avec la guitare en fingerpicking, mais avec le swing propre à O’Brien et une belle partie de fiddle de Shad Cobb. Autre chanson de Paxton parfois reprise par les formations bluegrass, I Can’t Help But Wonder Where I’m Bound est chanté en duo par Tom Paxton lui-même et Celia Woodsmith, accompagné par Della Mae, le groupe de Celia qu’on pourra entendre à Bluegrass In La Roche l’été prochain. La voix de Celia est magnifique sur ce titre. Della Mae accompagne également Cathy Fink (banjo clawhammer) et Marcy Marxer (mandoline) dans All I Want, une compo de Tom et Cathy, intégralement chantée en duo par Cathy et Marcy. C’est un des tout meilleurs titres de l’album avec son tempo rapide et un joli solo de Kimber Ludiker (fiddle). 


 

 

SHADES OF NIGHT 

 

Après Bluegrass 43, les Cactus Pickers, Turquoise, les Banjomaniacs, Sanseverino (j’en oublie certainement), Shades of Night est la nouvelle aventure musicale de Jean-Marc Delon. Shades of Night est un duo formé de Jean-Marc (guitare, banjo) et Marie Sheid (contrebasse). Tous deux chantent. Pour ce premier EP (7 titres), ils ont décidé d’enregistrer dans les conditions de la scène, c’est-à-dire que Jean-Marc ne double pas banjo et guitare sur un même titre. Le répertoire est très orienté bluegrass puisqu’il y a trois compositions de Bill Monroe et deux traditionnels qui sont des classiques du genre. Les arrangements le sont moins parce que Jean-Marc ne joue du banjo que sur un titre. Ma préférence va aux deux morceaux les moins liés au bluegrass, très bien chantés par Marie. Pour Song for a Winter’s Night de Gordon Lightfoot, Jean-Marc, à la guitare, s’est inspiré de l’arrangement de Tony Rice. When You Come Back Down sonne folk, très différemment de la version originale qui est un des rares titres de la discographie de Tim O’Brien où on peut entendre un saxophone. Marie chante également Rocky Road Blues. Avec Jean-Marc elle interprète intégralement en duo I’m Blue I’m Lonesome et Rabbit in the Log. De son côté, Jean-Marc chante When the Golden Leaves Begin to Fall et Ain’t Gonna Work Tomorrow. Cette dernière chanson est la seule sur laquelle Jean-Marc joue du banjo et, personnellement, j’en aurais voulu un peu plus… 


 

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