"Love, Dan"
En entendant les premières notes de banjo et les premiers mots de la chanson Love, Dan, j'ai cru entendre Loudon Wainnwright III. "Dear Mama I hate, you. Love, Dan". Ces blessures d'enfance, cette conscience douce-amère du temps qui passe, de la bascule trop rapide du statut de fils à celui de père ("Dear Daddy, I Hate you. Love, Sam"), tout cela est typique du songwriter new-yorkais. Et pourtant, il s'agit bien ici de C. Daniel Boling qui nous donne avec Love, Dan (l'album), un nouvel aperçu de son talent. Entre deux aventures avec Tom Paxton (le prochain disque est prévu pour 2025), Daniel, armé de sa guitare et de son banjo, nous offre quatorze nouvelles chansons, des ballades tendres, sérieuses, humoristiques, nostalgiques. C'est ainsi qu'il peut aussi bien chanter l'actualité (All Of Us Are Immigrants, Toward The Fire, For Better Or Worse) que l'amour (Maya, I Adore You, coécrit avec Tom Paxton), parler d'un père qui manque (Whadya Do Today?) et évoquer encore sa mère (The Leash). Il parle aussi, sans le nommer, dans Public Domain d'un songwriter qui a grandi à Bristow, Oklahoma, dont on connait les chansons sans toujours savoir qu' il les a écrites; il s'agit bien sûr de Tom Paxton. Il dit notamment "He wrote a little ditty back in 1965 / About a wino vagabond just glad to be alive / Now everyone from les enfants to mesdames et messieurs / Declares it's a French folk song they've sung a hundred years". Chacun aura reconnu Bottlle Of Wine / Sacrée Bouteille. Daniel n'oublie pas non plus la nature, au milieu de laquelle il a toujours vécu, et conclut l'album avec The Sycamore Tree. Voilà pour les chansons. Pour le reste, il faut noter la production impeccable, comme toujours, de l'excellent Jono Manson. Kelly Mulholan (mandoline notamment) et Char Rothchild (accordéon et tin whistle) contribuent beaucoup au son de l'album. Un violon par-ci (Jason Crosby sur Something From Your Past), un violoncelle par-là (Michael G. Ronstadt sur If I Were You), ou encore un dobro (John Egenes sur The Leash) font le reste, en douceur et en beauté.
"The Universal Fire"
Le nouveau disque de Jeffrey Foucault, The Universal Fire, est dédié à Billy Conway (1956-2021), batteur attitré de Jeffrey, qui était encore présent sur son dernier album Blood Brothers, paru en 2018. C'est à cette époque que j'avais eu l'occasion de voir en France Jeffrey Foucault avec son groupe au grand complet: Jeffrey (guitare), Billy (batterie), Jeremy Moses Curtis (basse) et Eric Heywood (pedal steel). Eric (qui joue également de la guitare électrique, tout comme Jeffrey) et Jeremy sont présents sur le nouvel opus, John Convertino à pris le siège de Billy, Erik Koskinen est à la guitare électrique et Mike Lewis produit le disque, y ajoutant piano, orgue et saxophone ténor. Dès le début, on comprend que The Universal Fire est l'œuvre d'un groupe, au son rock, compact et parfois sombre , comme dans Winter Count qui ouvre l'album. Cela s'explique par le fait que l'ensemble a été enregistré dans les conditions du direct, en studio, en l'espace d'une semaine, en novembre 2023. Un premier constat s'impose, la qualité de l'écriture est toujours la même et cela ne surprendra pas ceux qui ont découvert Jeffrey avec Miles From The Lightning, au début du millénaire, et n'ont jamais été déçus depuis. Ici, l'écriture semble simplement plus concise et percutante, comme si elle répondait à une forme d'urgence. Le côté brûlant du titre se reflète dans l'instrumentation, très électrique, avec parfois trois guitares et le titre Nightshift, par exemple, en est la parfaite illustration, aux frontières du hard-rock. Même les titres les plus calmes comme Moving Through ou Sometimes Love (avec la voix de Kris Delmhorst) montrent que Jeffrey Foucault n'est pas simplement le troubadour acoustique que l'on a connu et que l'on retrouve dans East Of Sunshine. Si cet album est un hommage à Billy Conway, l'ami de longue date, le titre The Universal Fire fait directement référence à l'incendie qui a ravagé les studios Universal en 2008, détruisant au passage des centaines d'enregistrements originaux, trésors irremplaçables.
Various Artists
"Can't Steal My Fire: The Songs Of David Olney"
La vie et la mort de David Olney, décédé sur scène au milieu d'une chanson, en janvier 2020, juste avant le cauchemar du COVID, appartiennent désormais à la légende. Son ami et partenaire Gwil Owen a pris l'initiative de réunir certains de ses pairs et admirateurs autour d'un beau projet: Can't Steal My Fire: The Songs Of David Olney. Ils sont venus, ils sont tous là, certains tirés de la tombe, comme Townes Van Zandt, d'autres d'un oubli profond (et volontaire) comme Willis Alan Ramsey. David lui-même apparaît dans le court Sonnet #40, un texte mis en musique par Irakli Gabriel. L'album est riche de dix-sept titres, dix-sept artistes, et pas mal de musiciens célèbres venus les soutenir. Ils viennent d'horizons différents, de styles musicaux variés avec un dénominateur commun, l'amour des chansons de David. "Because David Olney was the best of us", écrit Steve Earle, ici présent avec Sister Angelina. Steve et David s'étaient rencontrés en 1973, quand ils venaient de débarquer à Nashville, avec des rêves plein la tête, notamment celui de placer leurs compositions auprès d'artistes célèbres. Steve connaissait déjà Townes Van Zandt qui interprète ici Illegal Cargo, version publique enregistrée en 1977, 4 ans avant le premier disque de David (avec les X-Rays), 12 ans avant le premier enregistrement officiel de ce titre par son auteur-compositeur sur Deeper Well. Plutôt que des mots, une simple liste des participants, par ordre d'apparition, vous donnera une idée de la qualité de l'album: Lucinda Williams, Steve Earle, The McCrary Sisters, Buddy Miller, The Steeldrivers, Willis Alan Ramsey, Mary Gauthier, R.B. Morris, Jimmie Dale Gilmore, Anana Kaye, Greg Brown avec Bo Ramsey, David Olney avec Irakli Gabriel, Afton Wolfe, Dave Alvin with the Rick Holmstrom Trio, Jim Lauderdale, Janis Ian, Townes Van Zandt. Mieux qu'un who's who, non? Il ne faut pas oublier les sidemen prestigieux qui sont venus donner un coup de main. Au premier rang d'entre eux on trouve, bien sûr, Gwil Owen, omniprésent. Quel plaisir de retrouver, avec une nouvelle vie, des titres aussi forts que Jerusalem Tomorrow, If My Eyes Were Blind, 1917, Deeper Well, Women Across The River, If It Wasn't For The Wind, Sister Angelina… Et combien d'autres auraient pu aussi faire partie du menu! Can't Steal My Fire: The Songs Of David Olney est une belle occasion de (re)découvrir l'œuvre d'un des plus grands songwriters de ces cinquante dernières années.
"Alone Again… Live"
Les dernières parutions discographiques de Steve Earle ont été consacrées à des hommages à son fils, Justin Townes Earle, et à Jerry Jeff Walker. Son dernier album de chansons originales, Ghosts Of West Virginia, date de 2020. En 2023, Steve a ressenti le besoin de partir seul sur les routes, en tournée avec sa guitare, son harmonica et ses chansons. C'est aujourd'hui sans surprise, mais non sans plaisir, que nous pouvons écouter Alone Again… Live, fort de quinze titres enregistrés au court de ladite tournée. Le répertoire en en majorité composé de chansons des premières années discographiques de Steve: The Devil's Right Hand, My Old Friend The Blues, Someday, Guitar Town, I Ain't Ever Satisfied, Goodbye, Copperhead Road. Il y a aussi des titres des années de la "renaissance", après la prison: Now She's Gone, Transcendental Blues, CCKMP (Cocaine Cannot Kill My Pain), South Nashville Blues, The Galway Girl, Sparkle And Shine. Un titre obscur, instrumental, figure au programme, Dominick St., dont la version studio avait été enregistrée en même temps que The Gallway Girl (qu'il précède ici) et que l'on ne trouvait que sur la compilation Sidetracks. Le seul titre récent, paru sur Ghosts Of West Virginia, est It's About Blood. Alone Again… Live, est un album pour les fans de Steve qui retrouvent ainsi, dans sa plus pure expression, un artiste dont on mesure de mieux en mieux l'importance à chaque fois qu'un de ses maîtres et/ou amis rejoint le "singer-songwriter Heaven". Pour ma part, j'y ai retrouvé la même énergie et la même fraîcheur qu'en avril 1986 quand j'avais découvert par hasard le 33 tours Guitar Town, séduit par la pochette et ses précieuses informations, dans un bac de la FNAC de Lyon.
"No Finish Line"
J'ai déjà parlé à plusieurs reprises de Forest Sun (Schumacher) dans les colonnes du Cri du Coyote (et précédemment dans Xroads). La dernière fois, c'était en octobre 2023 pour Hey Magnolia. Depuis, l'artiste californien, toujours aussi difficile à enfermer dans une catégorie, a continué à nous distiller ses chansons par le biais de Patreon avant de les réunir sous la forme d'un album intitulé No Finish Line. En effet, la ligne d'arrivée n'est pas en vue pour notre ami qui continue, avec classe et élégance, à nous ravir avec ses compostions fines et mélodieuses, que sa voix chaude sait si bien habiller d'émotion. Aux côtés de Forest Sun (voix, guitare et piano), on trouve essentiellement son complice et coproducteur Gawain Matthews (banjo, contrebasse, batterie, harmonies vocales, orgue Hammond, piano, accordéon, guitare électrique, mandoline, dobro). L'alchimie entre les deux hommes fonctionne à merveille et les seuls renforts sont Lara Louise (harmonies vocales), Luke Price (fiddle) et Aaron Kierbel (batterie sur un titre). Forest Sun est un véritable artiste, qui vit pour sa passion, ou plutôt ses passions car il a plusieurs cordes à son arc, sans chercher la gloire à tout prix. C'est un homme heureux qui aime son pays (America, I Love You) même si ce dernier le fait parfois souffrir. Dans ce cas, le remède est la musique (Music Is My Medicine). Il sait la précarité de l'existence (Precious Days), il sait que la vie n'est pas une course (No Finish Line), manie la nostalgie dans le bluesy Autumn In Montreal, chante l'amour simple (Take Along Our Love, Because You're Mine), évoque une forme de lassitude (Too Much Of Everything). Les orchestrations sont tantôt riches (merci Gawain), tantôt dépouillées mais se rejoignent dans un ensemble harmonieux. Et quand Forest Sun nous quittee avec Apples & Oranges, c'est au son d'un piano, bientôt rejoint par quelques notes subtiles de guitare électrique, qu'il nous donne rendez-vous pour de nouvelles aventures, de nouvelles chansons.
"Remember My Name"
Lovesick (ex Lovesick Duo) est un groupe italien composé de Paolo Roberto Pianezza (guitares, lap steel, chant) et Francesca Alinovi (contrebasse et chant). Ils ont toujours été influencés par la musique américaine, du rock 'n' roll à la country music, du blues au western swing. Au duo est venu s'ajouter Alessandro Cosentino (fiddle, batterie et chant). Disons-le tout de go, Remember My Name est un pur concentré de bonne humeur et de joie (ce qui n'empêche par une qualité musicale de haut niveau). Until I'm Done ouvre le bal, et ce western swing (avec la clarinette de Chloe Feoranio) emporte, dès les premières notes, l'adhésion de l'auditeur. L'intérêt va croissant et, ça et là, on note des références aux pères du rock Eddie Cochran, Buddy Holly ou Elvis Presley (Goin' Back For More, You And I, The Rain). La country music est là aussi avec le bien nommé I've Got A Smile For You. On pense aussi à Johnny Cash (Blue Skies) et on se dit que Remember My Name, Martha et l'entrainant Goin' Down (compositions de Paolo & Francesca, comme les autres titres) sont des chansons que beaucoup auraient aimé écrire. L'album se termine par un instrumental, Kauai, dont le seul intitulé définit le style. Solidement ancrés dans les années 1950, nos amis italiens de Lovesick, en duo ou en trio, sont, à n'en point douter un véritable plaisir à voir sur scène.
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