dimanche 15 décembre 2024

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

C. Daniel BOLING

"Love, Dan" 

En entendant les premières notes de banjo et les premiers mots de la chanson Love, Dan, j'ai cru entendre Loudon Wainnwright III. "Dear Mama I hate, you. Love, Dan". Ces blessures d'enfance, cette conscience douce-amère du temps qui passe, de la bascule trop rapide du statut de fils à celui de père ("Dear Daddy, I Hate you. Love, Sam"), tout cela est typique du songwriter new-yorkais. Et pourtant, il s'agit bien ici de C. Daniel Boling qui nous donne avec Love, Dan (l'album), un nouvel aperçu de son talent. Entre deux aventures avec Tom Paxton (le prochain disque est prévu pour 2025), Daniel, armé de sa guitare et de son banjo, nous offre quatorze nouvelles chansons, des ballades tendres, sérieuses, humoristiques, nostalgiques. C'est ainsi qu'il peut aussi bien chanter l'actualité (All Of Us Are Immigrants, Toward The Fire, For Better Or Worse) que l'amour (Maya, I Adore You, coécrit avec Tom Paxton), parler d'un père qui manque (Whadya Do Today?) et évoquer encore sa mère (The Leash). Il parle aussi, sans le nommer, dans Public Domain d'un songwriter qui a grandi à Bristow, Oklahoma, dont on connait les chansons sans toujours savoir qu' il les a écrites; il s'agit bien sûr de Tom Paxton. Il dit notamment "He wrote a little ditty back in 1965 / About a wino vagabond just glad to be alive / Now everyone from les enfants to mesdames et messieurs / Declares it's a French folk song they've sung a hundred years". Chacun aura reconnu Bottlle Of Wine / Sacrée Bouteille. Daniel n'oublie pas non plus la nature, au milieu de laquelle il a toujours vécu, et conclut l'album avec The Sycamore Tree. Voilà pour les chansons. Pour le reste, il faut noter la production impeccable, comme toujours, de l'excellent Jono Manson. Kelly Mulholan (mandoline notamment) et Char Rothchild (accordéon et tin whistle) contribuent beaucoup au son de l'album. Un violon par-ci (Jason Crosby sur Something From Your Past), un violoncelle par-là (Michael G. Ronstadt sur If I Were You), ou encore un dobro (John Egenes sur The Leash) font le reste, en douceur et en beauté.


 

 

Jeffrey FOUCAULT

"The Universal Fire" 

Le nouveau disque de Jeffrey Foucault, The Universal Fire, est dédié à Billy Conway (1956-2021), batteur attitré de Jeffrey, qui était encore présent sur son dernier album Blood Brothers, paru en 2018. C'est à cette époque que j'avais eu l'occasion de voir en France Jeffrey Foucault avec son groupe au grand complet: Jeffrey (guitare), Billy (batterie), Jeremy Moses Curtis (basse) et Eric Heywood (pedal steel). Eric (qui joue également de la guitare électrique, tout comme Jeffrey) et Jeremy sont présents sur le nouvel opus, John Convertino à pris le siège de Billy, Erik Koskinen est à la guitare électrique et Mike Lewis produit le disque, y ajoutant piano, orgue et saxophone ténor. Dès le début, on comprend que The Universal Fire est l'œuvre d'un groupe, au son rock, compact et parfois sombre , comme dans Winter Count qui ouvre l'album. Cela s'explique par le fait que l'ensemble a été enregistré dans les conditions du direct, en studio, en l'espace d'une semaine, en novembre 2023. Un premier constat s'impose, la qualité de l'écriture est toujours la même et cela ne surprendra pas ceux qui ont découvert Jeffrey avec Miles From The Lightning, au début du millénaire, et n'ont jamais été déçus depuis. Ici, l'écriture semble simplement plus concise et percutante, comme si elle répondait à une forme d'urgence. Le côté brûlant du titre se reflète dans l'instrumentation, très électrique, avec parfois trois guitares et le titre Nightshift, par exemple, en est la parfaite illustration, aux frontières du hard-rock. Même les titres les plus calmes comme Moving Through ou Sometimes Love (avec la voix de Kris Delmhorst) montrent que Jeffrey Foucault n'est pas simplement le troubadour acoustique que l'on a connu et que l'on retrouve dans East Of Sunshine. Si cet album est un hommage à Billy Conway, l'ami de longue date, le titre The Universal Fire fait directement référence à l'incendie qui a ravagé les studios Universal en 2008, détruisant au passage des centaines d'enregistrements originaux, trésors irremplaçables. 


 

 

Various Artists

"Can't Steal My Fire: The Songs Of David Olney" 

La vie et la mort de David Olney, décédé sur scène au milieu d'une chanson, en janvier 2020, juste avant le cauchemar du COVID, appartiennent désormais à la légende. Son ami et partenaire Gwil Owen a pris l'initiative de réunir certains de ses pairs et admirateurs autour d'un beau projet: Can't Steal My Fire: The Songs Of David Olney. Ils sont venus, ils sont tous là, certains tirés de la tombe, comme Townes Van Zandt, d'autres d'un oubli profond (et volontaire) comme Willis Alan Ramsey. David lui-même apparaît dans le court Sonnet #40, un texte mis en musique par Irakli Gabriel. L'album est riche de dix-sept titres, dix-sept artistes, et pas mal de musiciens célèbres venus les soutenir. Ils viennent d'horizons différents, de styles musicaux variés avec un dénominateur commun, l'amour des chansons de David. "Because David Olney was the best of us", écrit Steve Earle, ici présent avec Sister Angelina. Steve et David s'étaient rencontrés en 1973, quand ils venaient de débarquer à Nashville, avec des rêves plein la tête, notamment celui de placer leurs compositions auprès d'artistes célèbres. Steve connaissait déjà Townes Van Zandt qui interprète ici Illegal Cargo, version publique enregistrée en 1977, 4 ans avant le premier disque de David (avec les X-Rays), 12 ans avant le premier enregistrement officiel de ce titre par son auteur-compositeur sur Deeper Well. Plutôt que des mots, une simple liste des participants, par ordre d'apparition, vous donnera une idée de la qualité de l'album: Lucinda Williams, Steve Earle, The McCrary Sisters, Buddy Miller, The Steeldrivers, Willis Alan Ramsey, Mary Gauthier, R.B. Morris, Jimmie Dale Gilmore, Anana Kaye, Greg Brown avec Bo Ramsey, David Olney avec Irakli Gabriel, Afton Wolfe, Dave Alvin with the Rick Holmstrom Trio, Jim Lauderdale, Janis Ian, Townes Van Zandt. Mieux qu'un who's who, non? Il ne faut pas oublier les sidemen prestigieux qui sont venus donner un coup de main. Au premier rang d'entre eux on trouve, bien sûr, Gwil Owen, omniprésent. Quel plaisir de retrouver, avec une nouvelle vie, des titres aussi forts que Jerusalem Tomorrow, If My Eyes Were Blind, 1917, Deeper Well, Women Across The River, If It Wasn't For The Wind, Sister Angelina… Et combien d'autres auraient pu aussi faire partie du menu! Can't Steal My Fire: The Songs Of David Olney est une belle occasion de (re)découvrir l'œuvre d'un des plus grands songwriters de ces cinquante dernières années.


 

 

Steve EARLE

"Alone Again… Live" 

Les dernières parutions discographiques de Steve Earle ont été consacrées à des hommages à son fils, Justin Townes Earle, et à Jerry Jeff Walker. Son dernier album de chansons originales, Ghosts Of West Virginia, date de 2020. En 2023, Steve a ressenti le besoin de partir seul sur les routes, en tournée avec sa guitare, son harmonica et ses chansons. C'est aujourd'hui sans surprise, mais non sans plaisir, que nous pouvons écouter Alone Again… Live, fort de quinze titres enregistrés au court de ladite tournée. Le répertoire en en majorité composé de chansons des premières années discographiques de Steve: The Devil's Right Hand, My Old Friend The Blues, Someday, Guitar Town, I Ain't Ever Satisfied, Goodbye, Copperhead Road. Il y a aussi des titres des années de la "renaissance", après la prison: Now She's Gone, Transcendental Blues, CCKMP (Cocaine Cannot Kill My Pain), South Nashville Blues, The Galway Girl, Sparkle And Shine. Un titre obscur, instrumental, figure au programme, Dominick St., dont la version studio avait été enregistrée en même temps que The Gallway Girl (qu'il précède ici) et que l'on ne trouvait que sur la compilation Sidetracks. Le seul titre récent, paru sur Ghosts Of West Virginia, est It's About Blood. Alone Again… Live, est un album pour les fans de Steve qui retrouvent ainsi, dans sa plus pure expression, un artiste dont on mesure de mieux en mieux l'importance à chaque fois qu'un de ses maîtres et/ou amis rejoint le "singer-songwriter Heaven". Pour ma part, j'y ai retrouvé la même énergie et la même fraîcheur qu'en avril 1986 quand j'avais découvert par hasard le 33 tours Guitar Town, séduit par la pochette et ses précieuses informations, dans un bac de la FNAC de Lyon.

 

FOREST SUN

"No Finish Line" 

J'ai déjà parlé à plusieurs reprises de Forest Sun (Schumacher) dans les colonnes du Cri du Coyote (et précédemment dans Xroads). La dernière fois, c'était en octobre 2023 pour Hey Magnolia. Depuis, l'artiste californien, toujours aussi difficile à enfermer dans une catégorie, a continué à nous distiller ses chansons par le biais de Patreon avant de les réunir sous la forme d'un album intitulé No Finish Line. En effet, la ligne d'arrivée n'est pas en vue pour notre ami qui continue, avec classe et élégance, à nous ravir avec ses compostions fines et mélodieuses, que sa voix chaude sait si bien habiller d'émotion. Aux côtés de Forest Sun (voix, guitare et piano), on trouve essentiellement son complice et coproducteur Gawain Matthews (banjo, contrebasse, batterie, harmonies vocales, orgue Hammond, piano, accordéon, guitare électrique, mandoline, dobro). L'alchimie entre les deux hommes fonctionne à merveille et les seuls renforts sont Lara Louise (harmonies vocales), Luke Price (fiddle) et Aaron Kierbel (batterie sur un titre). Forest Sun est un véritable artiste, qui vit pour sa passion, ou plutôt ses passions car il a plusieurs cordes à son arc, sans chercher la gloire à tout prix. C'est un homme heureux qui aime son pays (America, I Love You) même si ce dernier le fait parfois souffrir. Dans ce cas, le remède est la musique (Music Is My Medicine). Il sait la précarité de l'existence (Precious Days), il sait que la vie n'est pas une course (No Finish Line), manie la nostalgie dans le bluesy Autumn In Montreal, chante l'amour simple (Take Along Our Love, Because You're Mine), évoque une forme de lassitude (Too Much Of Everything). Les orchestrations sont tantôt riches (merci Gawain), tantôt dépouillées mais se rejoignent dans un ensemble harmonieux. Et quand Forest Sun nous quittee avec Apples & Oranges, c'est au son d'un piano, bientôt rejoint par quelques notes subtiles de guitare électrique, qu'il nous donne rendez-vous pour de nouvelles aventures, de nouvelles chansons.


 

 

LOVESICK

"Remember My Name" 

Lovesick (ex Lovesick Duo) est un groupe italien composé de Paolo Roberto Pianezza (guitares, lap steel, chant) et Francesca Alinovi (contrebasse et chant). Ils ont toujours été influencés par la musique américaine, du rock 'n' roll à la country music, du blues au western swing. Au duo est venu s'ajouter Alessandro Cosentino (fiddle, batterie et chant). Disons-le tout de go, Remember My Name est un pur concentré de bonne humeur et de joie (ce qui n'empêche par une qualité musicale de haut niveau). Until I'm Done ouvre le bal, et ce western swing (avec la clarinette de Chloe Feoranio) emporte, dès les premières notes, l'adhésion de l'auditeur. L'intérêt va croissant et, ça et là, on note des références aux pères du rock Eddie Cochran, Buddy Holly ou Elvis Presley (Goin' Back For More, You And I, The Rain). La country music est là aussi avec le bien nommé I've Got A Smile For You. On pense aussi à Johnny Cash (Blue Skies) et on se dit que Remember My Name, Martha et l'entrainant Goin' Down (compositions de Paolo & Francesca, comme les autres titres) sont des chansons que beaucoup auraient aimé écrire. L'album se termine par un instrumental, Kauai, dont le seul intitulé définit le style. Solidement ancrés dans les années 1950, nos amis italiens de Lovesick, en duo ou en trio, sont, à n'en point douter un véritable plaisir à voir sur scène. 


 

mercredi 11 décembre 2024

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse

 

Billy STRINGS

"Highway Prayers" 

Ceux qui apprécient Billy Strings et son groupe comme jam band (ils sont nombreux si on en juge par les cohortes de fans qui les suivent à chaque concert) seront peut-être déçus à la première écoute de Highway Prayers. Ils auraient tort de passer leur chemin car c’est un excellent album mais c’est un album studio qui met en avant le répertoire, ce qui est logique juste après la sortie d’un disque enregistré sur scène (Live Vol. 1). Highway Prayers est copieux (double CD – 21 titres), sans doute parce que c’est le premier album de compositions de Billy en trois ans (Me/and/Dad en 2023 ne comprenait que des reprises). Highway Prayers est si bon qu’il est plus facile de faire la (courte) liste des titres un peu décevants que de pointer les meilleurs. Je n’en vois guère que deux. Happy Hollow est un titre rapide, classique, sans originalité. Pour Leadfoot (qui fait pourtant l’objet d’une belle promo avec un clip chiadé), Billy Strings a selon moi eu le tort de vouloir tout faire lui-même. Ça sonne assez rustique, notamment à cause du banjo. Pour le reste (19 titres, rien que ça), tout semble naturel, facile pour Billy Strings, le chant, la guitare, les compos, le dobro même sur le folkpop Gild The Lily qu’on croirait sorti d’un album oublié de Paul McCartney. L’humour de Billy, un poil de provocation parfois, ressortent dans les textes de Gone A Long Time (Jesus took the water and turned it into wine / Me I’ll take them pretty girls and try to make ‘em mine), Catch & Release (dans le même moule que A Boy Named Sue, chanté seul à la guitare) et MoreBud4Me rythmé par une roulette de briquet et des bulles de narguilé (ou quoique ce soit qui y ressemble). Billy a aussi intitulé un gospel (religieusement interprété en quartet a cappella) du nom d’un pilote de NASCAR (Richard Petty). La voiture et la vie sur la route sont les thèmes récurrents de pas mal de chansons, illustrées par la pochette où Billy est au volant d’une Chevrolet Chevelle immatriculée à ses initiales et celles de l’album. Et ça peut donner d’excellents textes comme le presque philosophique In The Clear et surtout My Alice, superbe murder ballad où la voiture devient l’arme du crime. Parmi les autres textes remarquables, il faut citer le bon countrygrass Don’t Be Calling Me (At 4 AM) écrit avec Shawn Camp (Jerry Douglas au dobro), Gone A Long Time et The Beginning Of The End. Seven Weeks In Country est un westerngrass à la Marty Robbins. Stratosphere Blues accompagné au synthé ressemble à une vieille chanson folk de Pink Floyd (période Ummagumma). Il est enchainé avec I Believe In You qui a une jolie mélodie folk elle aussi. It Ain’t Before penche vers le old time avec le banjo clawhammer de Victor Furtado et la guimbarde (ça faisait très longtemps que je n’avais pas entendu de guimbarde dans un album). Il y a un piano dans Be Your Man. Les autres chansons sont des bluegrass rapides très bien joués par les musiciens de Billy: Billy Falling (banjo), Jarrod Walker (mandoline), Alex Heargraves (fiddle) et Royal Masat (basse). Leur talent (et celui de Billy à la guitare) est encore plus éclatant dans les trois instrumentaux. Escanaba a des couleurs new acoustic. Seney Stretch est moderne, savamment arrangé avec de nombreuses interactions entre les musiciens. Malfunction Blues est dans la même veine, joué avec deux mandolines (Walker et Strings). La fin du morceau devrait réjouir ceux qui apprécient Billy Strings et sa bande comme jam band. Incontournable.


 

 

Daniel GRINDSTAFF

"Heroes and Friends" 

Le banjoïste Daniel Grindstaff a fait ses classes avec des artistes de premier plan: Jim & Jesse puis Jesse McReynolds, Bobby Osborne, Marty Raybon. Il a gagné en notoriété en formant le groupe Merle Monroe avec Tim Raybon, le frère de Marty. Leurs deux albums ont connu un beau succès (Le Cri du Coyote 164 et 170). Après leur séparation, le premier disque du Tim Raybon Band s’est révélé très décevant. Il n’en est heureusement pas de même de celui de Daniel Grindstaff. Son style Scruggs dynamique qui rappelle le banjo bounce du génial Allen Shelton avec un son plus feutré fait merveille sur les dix plages. Grindstaff s’est entouré d’excellents musiciens. On imagine que ce sont les amis annoncés dans le titre de l’album: Trey Hensley (guitare), Andy Leftwich (fiddle, mandoline), Stephen Burwell (fiddle), Jesse Brock (mandoline) et Jeff Partin (dobro). A part Doyle Lawson présent à la mandoline sur deux titres, les héros sont, eux, cachés parmi les harmonies vocales: Dolly Parton, Rhonda et Darrin Vincent, Shawn Lane. Deux bonnes compositions de Grindstaff parmi les quatre instrumentaux: le joli The Three ArrowsGrindstaff et Burwell sont excellents, et le fiddle tune Finnland. Doyle Lawson joue sur la version instrumentale de Jesse James. Le quatrième instrumental est mon préféré, une version bluegrass/swing du standard de jazz When You’re Smiling (notamment enregistré par Louis Armstrong et Michael Bublé). Les six chansons sont interprétées par six chanteurs différents. L’impressionnante voix de tenor de Paul Brewster (qui a accompagné les Osborne Brothers et Ricky Skaggs) fait merveille dans Forever Young, une chanson de Rod Stewart inspirée du titre homonyme de Dylan. On est dans le bluegrass classique avec Jimmy Fortune (Statler Brothers) pour I Still Write Your Name in the Sand (Mac Wiseman) et Ricky Wasson pour Colleen Malone. Le duo de fiddles (Burwell et Derek Deakins) en rajoute côté traditionnel sur My Last Old Dollar chanté par Kevin Richardson (ex-Larry Stephenson Band). On fait un petit tour par le gospel avec Child of the King interprété par Jeff Tolbert de The Primitive Quartet. La meilleure chanson selon moi est l’adaptation bluegrass d’un titre country de Del Reeves, Looking at the World Through a Windshield superbement chantée par Trey Hensley. Heroes and Friends est un bon album de bluegrass dont on aurait aimé qu’il dure plus de 29 minutes. 

 

Various Artists

"Silver Bullet Bluegrass"

Silver Bullet Bluegrass est une collection de treize adaptations bluegrass de chansons de Bob Seger. Stephen Mougin (guitare), Mike Bub (contrebasse) et Ned Luberecki (banjo) jouent la plupart des titres. Gary Nichols (guitare, harmonies), Darrell Webb (mandoline), Megan Lynch (fiddle) et Wayne Briggs (dobro) sont également présents sur plusieurs morceaux. Les treize chansons sont interprétées par treize artistes différents, bluegrass ou country. Le résultat est inévitablement inégal mais ça tient moins aux qualités des chanteurs qu’aux chansons elles-mêmes et aux arrangements. La seule interprétation que je trouve vraiment ratée est celle de Robert Hale (Wildfire) dans Feel Like A Number. Larry Cordle maîtrise bien le début de Night Moves mais la chanson dure au moins une minute de trop. Le dobroïste Wayne Briggs n’est pas au niveau des autres musiciens et Night Moves en pâtit, de même que Hollywood Nights et Ramblin’ Gamblin’ Man pourtant bien interprétés respectivement par Shonna Tucker (bassiste de Drive-By Truckers) et le chanteur de southern rock Bo Bice. You’ll Accompany Me est bien adapté en bluegrass, sur un tempo plus rapide que l’original mais l’interprétation de Keith Garrett (Blue Moon Rising, The Boxcars) manque d’épaisseur. Même style d’arrangement (un peu chargé cependant) pour Even Now chanté par Tim Stafford. Le titre que j’ai préféré est Turn The Page (une des meilleures chansons de Seger avec Still The Same qui n’est pas repris dans ce disque – sans doute trop rock) très bien chanté en mode blues par Gary Nichols qui avait succédé à Chris Stapleton dans The Steeldrivers. On retrouve à ses côtés ses anciens partenaires Tammy Rogers (fiddle) et Richard Bailey (banjo). J’aime aussi beaucoup Against The Wind (autre grand succès de Seger) par Tim Shelton, ancien chanteur de NewFound Road, à l’aise dans ce type de répertoire (il avait sorti en 2015 un excellent album de reprises de Jackson Browne). Carson Peters est un tout jeune violoniste. Sa voix est encore juvénile mais son punch remplace l’agressivité que mettait Bob Seger dans la version originale de Long Twin Silver Line et je trouve que c’est plutôt mieux. Webb et Luberecki sont très bons sur ce titre. Dans Roll Me Away, le chanteur americana Bill Taylor réussit l’exploit de retrouver le souffle épique que met souvent Seger dans ses chansons alors que ce rock reçoit ici un arrangement typiquement bluegrass. Le rock’n’roll Betty Lou’s Gettin’ Out Tonight vire au honky tonk dans la bonne version du chanteur de country Ward Hayden, agrémentée d’un solo de contrebasse de Mike Bub. Il reste deux slows pour finir. Le banjo fait office de piano dans We’ve Got Tonight, bien chanté par Jeff Parker (ex- Lonesome River Band et Dailey & Vincent, entre autres) et Josh Shilling (Mountain Heart) est très à son affaire sur le blues Main Street

 

Tony TRISCHKA

"Earl Jam" 

Je ne sais pas si les personnes qui téléchargent les albums pourront apprécier Earl Jam de Tony Trischka à sa juste valeur. Il fait partie des disques qui prennent leur pleine dimension après qu’on ait lu les pages du livret. Tony Trischka s’est fait connaître par son approche iconoclaste du banjo et du bluegrass mais avec son cinquième album solo, Hill Country paru en 1985, il avait montré son amour et sa profonde connaissance du bluegrass classique. Earl Jam, dont le répertoire est presque exclusivement composé de classiques pourrait apparaitre comme un nouvel hommage au bluegrass traditionnel enregistré à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Earl Scruggs. En lisant le livret, on apprend que Tony Trischka s’est en fait retrouvé destinataire d’une clé USB comportant plus de 200 titres enregistrés par John Hatford lors de jam sessions avec Earl ou la famille Scruggs dans les années 80 et 90. Bluffé par ce qu’il a entendu, il a choisi ses morceaux préférés et les a gravés en jouant note pour note les solos de Earl Scruggs (les back up sont de lui mais toujours dans le style de Scruggs). Le son est celui d’aujourd’hui mais on retrouve effectivement dans le jeu de Trischka tous les effets de main gauche de Scruggs et surtout son génie de la syncope. Les principaux partenaires de Trischka sont le fiddler Michael Cleveland, les mandolinistes Dominick Leslie et Jacob Joliff et le contrebassiste Mike Bub. Il n’y a que deux instrumentaux, Shout Little Lulu joué en solo par Trischka et Chinese Breakdown en formation bluegrass complète avec Stuart Duncan et Dominick Leslie. Il semble que personne ne puisse rien refuser à Trischka car la liste des chanteurs présents dans Earl Jam constitue un who’s who de la scène bluegrass, à commencer par les trois stars du moment, Billy Strings pour Brown’s Ferry Blues (avec un solo pas scruggsien du tout de Béla Fleck), Molly Tuttle (en duo avec Sam Bush) pour Dooley des Dillards et Sierra Ferrell pour le swing San Antonio Rose (avec les fiddles de Casey Driessen et Darol Anger) qui lui convient à merveille et le gospel Amazing Grace, joliment accompagné par les chœurs des trois sœurs McCrary. En plus de ces trois étoiles au firmament des années 2020, il y a deux grandes voix historiques du bluegrass. Del McCoury interprète Roll On Buddy avec son groupe (Tony Trischka à la place de Rob McCoury) et je le trouve meilleur que sur son propre dernier album (cf. plus loin). Il chante aussi un couplet et un refrain dans Little Liza Jane habituellement joué en instrumental. Pour ce titre, Trischka et Brittany Haas (fiddle) recréent la complicité de Scruggs et Hartford en se répondant au cours de leurs interventions. Dudley Connell est carrément royal dans Freight Train Blues, tout comme Michael Cleveland qui a superposé trois parties de fiddle. Comme McCoury, Connell chante un court passage dans un (faux) instrumental, Cripple Creek. Trischka, Joliff et Cleveland montrent qu’on peut faire de très belles choses avec l’un des titres les plus basiques du répertoire (à condition bien entendu d’avoir leur talent). Beaucoup d’enregistrements confiés à Tony Trischka étaient des duos entre Scruggs et Hartford et il reprend cette formule avec Bruce Molsky qui chante le traditionnel My Horses Ain’t Hungry en s’accompagnant au fiddle. Trischka a aussi invité une vedette country (qui vient régulièrement s’encanailler dans le bluegrass), Vince Gill, pour Bury Me Beneath The Willow. Michael Daves est moins connu que les autres interprètes bien qu’il ait enregistré un album en duo avec Chris Thile. Il collabore régulièrement avec Tony Trischka (sur son dernier album Shall We Hope) et se montre à la hauteur des autres chanteurs dans Casey Jones. J’ai gardé le meilleur et le plus inattendu pour la fin, Lady Madonna, que Earl Scruggs jouait de temps en temps sur scène avec ses fils au temps de The Earl Scruggs Revue. Ce succès des Beatles est formidablement chanté par Leigh Gibson (Gibson Brothers) avec le soutien vocal de son frère Eric et de Dudley Connell. Il y a un bon solo de Joliff. Trischka (et donc Scruggs par procuration) est excellent et le morceau se termine par une sorte de jam organisée réjouissante. Avec Earl Jam, Tony Trischka a trouvé une magnifique façon de célébrer l’œuvre de Earl Scruggs, à la fois ambitieuse, très originale (ça lui ressemble) et complètement respectueuse du père du banjo bluegrass (paradoxalement, ça lui ressemble aussi). 


 

 

The Del McCOURY BAND

"Songs of Love and Life" 

Del McCoury a 85 ans. Soit on considère que le verre est à moitié plein parce qu’il chante très bien pour son âge, soit on considère qu’il est à moitié vide parce qu’il ne chante plus aussi bien qu’il y a dix ans. C’était déjà perceptible dans Almost Proud (cf. avril 2022). Sa voix est moins souple, sa tessiture s’est un peu réduite. Heureusement, sur des chansons comme Treat Me Kind et Evangeline (Charlie Daniels), son phrasé scandé est toujours un modèle du genre. Plus encore dans Legend of the Confederate Gold, une bonne chanson qui rappelle The Butler Boys (sur l’excellent album Streets of Baltimore en 2013 – Le Cri du Coyote 137). L’arrangement accentue le côté mystérieux de ce titre. De ce point de vue, c’est une des rares satisfactions de Songs of Love and Life. Jason Carter, Rob et Ronnie McCoury jouent très bien mais c’est souvent sans surprise, alors que Rob notamment s’était sorti les tripes dans Almost Proud. Le duo de Del et Molly Tuttle dans She’s Heavenly n’apporte pas non plus grand-chose. C’est sympa de les entendre ensemble mais l’association de leurs timbres ne provoque pas d’effet particulier. Plusieurs chansons me semblent des fautes de goût, Red Cajun Girl, Sweet Music Man (Kenny Rogers) et surtout Only the Lonely de Roy Orbison. Un peu tard pour que Del s’attaque à ce tube du Caruso du rock. La voix de Del montre également ses limites dans deux titres dynamiques, bien arrangés pour le coup, Working on the WPA (signé Mark Simos) et, à moindre titre, Just Because, une bonne chanson popularisée par les Stanley Brothers. Il s’en tire mieux avec la valse Sad Solemn Sorrow et If You Talk in Your Sleep, un titre de la fin de carrière d’Elvis. Les fans de Del McCoury achèteront cet album par fidélité et nostalgie. Les autres préféreront réécouter Del & the Boys, It’s Just the Night ou Streets of Baltimore. Trois chefs d’œuvre.

lundi 2 décembre 2024

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Ags CONNOLLY

"Your Pal Slim: The Songs Of James Hand" 

Qui est plus légitime qu'Ags Connolly pour faire connaître les chansons de James Hand? Personne sans doute, du moins sur le continent européen. Alex "Ags" avait vu James "Slim" pour la première fois en concert à Londres après la sortie de l'album de ce dernier The Truth Will Set You Free! Au fil des années, Ags a revu James à Londres, puis à plusieurs reprises à Austin, à écrit la chanson I Saw James Hand et les deux hommes ont fini par devenir amis, se promettant même d'écrire ensemble. Hélas, James, né le 7 juillet 1952 (le même jour que Sammy Walker, pour ceux qui le connaissent) à Waco, Texas, est décédé dans cette même ville le 8 juin 2020 peu avant d'atteindre 68 ans. James Hand était un peu l'incarnation de ce qu'aurait pu devenir Hank Williams s'il avait atteint 45 ans, l'âge qu'avait Slim à la publication de son premier album. Six disques en studio plus un live parus entre 1997 et 2014 constituent l'œuvre de James Hand (Je vous avais présenté dans Le Cri du Coyote n°132 Mighty Lonesome Man et dans le n°143 Stormclouds In Heaven). Ags a donc puisé dans ces albums onze titres qui constituent Your Pal Slim: The Songs Of James Hand. La plupart des compositions sont des ballades vous tirent des larmes comme In The Corner, At The Table, By The Jukebox, The Pain Of Loving You, Lesson In Depression, My Witness, Over There, That's Frank, You Were With Me Then et My Heart's Been Cheatin' On You. Les chansons plus honky tonk s'appellent Baby Don't Tell Me That, Shadows Where The Magic Was, Midnight Run et Men Like Me Can Fly. Pour enregistrer, Ags a fait appel à une section rythmique britannique (Anna Robinson à la basse et Robert Pokorny à la batterie) et à des musiciens américains qui sont la garantie d'un son made in Texas. Chris McElrath, qui a été le dernier leader du groupe de James, est aux guitares électriques (écoutez son travail d'orfèvre sur Shadows Where The Magic Was ou Midnight Run), et Jake Penrod (James et lui se vouaient une admiration réciproque) à la pedal steel et à la lap steel. La touche féminine est assurée par Beth Chrisman (fiddle) et Bennen Leigh (voix sur Men Like Me Can Fly et mandoline). Toutes deux avaient participé aux derniers enregistrements de Slim et l'avaient accompagné sur scène. Et puis, il y a Ags Connolly avec sa guitare acoustique et surtout sa voix qui, loin de se contenter d'un simple travail d'imitation, parvient à capter et restituer l'émotion que James Hand insufflait dans ses interprétations. Pour conclure, Ags a ajouté un titre bonus, Corner Of My Street, qu'il avait commencé à écrire en pensant à en faire une collaboration avec James, et qui est loin de détonner dans l'ensemble. Si, après l'écoute de Your Pal Slim, vous n'avez pas envie de vous plonger dans la discographie de James Hand ni dans celle d'Ags Connolly (six LP et un EP en studio plus un album live), c'est que la country music authentique n'est pas pour vous. 

 

Baptiste W. HAMON

"Country" 

Faire un album country en français ressemble à une gageure. C'est le défi que s'est lancé Baptiste "Walker" Hamon, grand amateur du genre et qui avait pour références des artistes comme David Alan Coe, Johnny Paycheck ou Hank Williams Jr., ou encore Robert Earl Keen qui avait chanté en duo avec lui. Cela étant, depuis des titres comme Van Zandt ou Joséphine, on sait de quoi Baptiste est capable. Pour cet album, sobrement intitulé Country, il nous propose huit compositions originales et deux reprises: Superstar d'Eddy Mitchell et Stewball, version Hugues Aufray / Pierre Delanoë. Doté habituellement d'une écriture plutôt littéraire, notre ami s'est efforcé de coller à l'esprit du genre, avec des mots simples, comme en témoignent J'connais des gens, Oh que j'aime la musique country ou Mes envies de ne rien faire. Cela ne l'empêche évidemment pas d'envoyer parfois des messages assez forts. Le disque s'ouvre sur Fièvre honky tonk avec une guitare (Baptiste Dosdat) qui nous renvoie à Luther Perkins du Tennessee Two (ou Three) de Johnny Cash et une ambiance qui évoque celle des bars enfumés et alcoolisés d'Austin, sur un rythme de two-step. La pedal steel est tenue par Stew Crookes comme sur le titre suivant, J'connais des gens. Dans cette chanson, Baptiste règle des comptes, gentiment, avec des gens qui ne sont pas "pas les mêmes au dehors, au-dedans" et qui "f'raient bien d'se taire, on s'rait pas plus mal pour autant". Oh que j'aime la musique country, avec son allure de valse lente, cite Waylon et Willie, Loretta et Dolly, et constitue une déclaration d'amour à la fois à la musique mais aussi à quelqu'un qui partage ses goûts. Baptiste s'y fend d'un solo de Wurlitzer. Il faut noter noter qu'il parle de musique country et non de country music et prononce country à la française, comme un clin d'œil amusé aux line dancers de l'hexagone. Mes envies de ne rien faire est la dernière chanson avec pedal steel où les chœurs de Lonny Montem, Boris Boublil et Baptiste ajoutent la nonchalance nécessaire à cette invitation à la paresse. Viennent ensuite (Je ne deviendai jamais une) Superstar et Arrêter de faire semblant (mon titre favori du disque avec J'connais des gens) qui ont pour point commun la la recherche de l'authenticité et le refus des compromissions. Et tant pis pour la gloire facile et éphémère! Dans sa composition, Baptiste cite deux de ses modèles, son grand-père vigneron (à Chablis) et sa mère danseuse, qui ont su lui éviter la tentation de la grosse tête. Pour exprimer ce qu'est l'amour et Rabbit pâté sont différents du reste de l'album, avec un son plus folk-rock que country. Dans Je ne suis pas Georges Moustaki (et "je ne suis pas Clara Luciani"), les claviers jouent un rôle prépondérant. Mais les yodels auxquels Baptiste s'essaie avec succès à la fin nous ramènent au sujet du disque. À titre personnel, je reçois le choix du dernier titre, Stewball, comme un beau cadeau. Cette chanson m'avait ému quand j'étais gamin, il y a près de soixante ans, et me touche toujours autant. L'amour de la musique a guidé Baptiste Hamon tout au long de la genèse et de la réalisation de Country et lui a permis de faire un album de musique country français, sans faire appel (à part la pedal steel sur trois titres) aux instruments traditionnels du genre. Chaque note révèle le plaisir pris par l'artiste au cours de l'enregistrement.

 


 

Melissa CARPER

"Borned In Ya" 

Melissa a tiré le titre de son nouvel album, Borned In Ya, d'une citation de Ralph Stanley qui affirmait, à propos du bluegrass, "I don't think you can get this sound unless it's borned in ya". Ici, il n'est pas question de bluegrass, mais bien de la musique américaine de l'après-guerre (la deuxième guerre mondiale) jusqu'au début des années 1960. On rencontre le rock (Borned In Ya), la country music, le rhythm & blues, la grande variété (I Don't Love You Anymore) et toutes ces musiques qui ont influencé Melissa au cours de sa vie, avec cet aspect jazzy si caractéristique de l'époque. Sur les douze titres, il y a dix compositions de Melissa (parmi lesquelles cinq co-compositions, dont trois avec son amie Brennen Leigh). Les deux reprises sont tout à fait représentatives de l'esprit de l'album. That's My Desire a été interprété aussi bien par Frankie Laine qu'Eddie Cochran en passant par Patsy Cline et Louis Armstrong. Quant à Every Time We Say Goodbye (de Cole Porter), on n'en compte plus les versions: Ella Fitzgerald, Ray Charles, Sarah Vaughan, John Coltrane, et, plus récemment, Simply Red, Annie Lennox, Carly Simon, Diana Krall et Lady Gaga. Tout cela, combiné avec des compositions personnelles comme Evil Eva, There'll Be Another One, Somewhere Between Texas And Tennessee ou Let's Stay Single Together, aboutit à un album réjouissant où la voix acidulée de Melissa (qui a délaissé sa contrebasse au profit de Dennis Crouch) est particulièrement en valeur. Quand on sait que Miss Carper est ici accompagnée de musiciens (Jeff Taylor, Chris Scruggs, Chris Geld, Jenni Mori, Billy Contreras, Rory Hoffmann…) et de vocalistes (Kishona Armstrong, Nickie Conley, Maureen Murphy, Sierra Ferrell, Larry Marx) de haut niveau on ne peut nourrir aucune inquiétude quant au résultat. J'ajouterai une mention spéciale à Rebecca Patek, pour les arrangements de cordes, et à Doug Corcoran, pour les saxophones et la trompette, qui donnent à Borned In Ya sa couleur musicale, à la fois moderne et surannée, si particulière.


 

 

SURRENDER HILL

"River Of Tears" 

Surrender Hill (n° 146), Tore Down Fences (n° 157), A Whole Lot Of Freedom (n° 167), Just Another Honky Town In A Quiet Western Town (Du Côté de Chez Sam, avril 2022) ont eu les honneurs du Cri du Coyote. Vous ajoutez Right Here Right Now (2018) et Honky Tonk (2019) et, avec River Of Tears, vous aurez la discographie compète du duo Surrender Hill, composé de Robin Dean Salmon et son épouse Afton Seekins. Comme son prédécesseur qui était un double album (24 titres), ce nouvel opus est copieux (16 titres) et toujours aussi inspiré. Robin et Afton ont co-composé l'ensemble et se partagent les vocaux. Surrender Hill est toujours dans la lignée d'un certain Tom Russell, tant pour le timbre de voix de Robin que pour la qualité et l'inspiration des compositions. L'ensemble peut être qualifié de country rock, teinté de soul (notamment grâce à la voix d'Afton). Après un détour vers le honky tonk et le western, Surrender Hill a remis un peu de rock dans ses ballades country, avec des guitares qui savent se faire plus électriques, celles de Mike Waldron (guitares lead et baryton), Jonathan Callicutt (guitare électrique) et Robin Salmon (guitares acoustique et électrique et dobro). Le groupe est complété par Matt Crouse (batterie et percussions), Drew Lawson (basse) et Mike Daly (pedal steel et dobro) avec quelques invités: Eric Fritsch et Kevin Thomas (Hammond B3), Kris Krunk (orgue) et Dwight Sanford (harmonies sur End Of The Line). Des titres comme Rent Is Due ou Palomino (chantés par Robin) ou Get Out Your Own Way et Unconditional Life (chantés par Afton) brillent particulièrement mais il est impossible de trouver un moment faible dans ce septième album du groupe. De River Of Tears à Angel, The Devil, And Me, en passant par In Our Time et That Kind Of Living, ou encore le plus sombre Cry Baby, on ne compte pas les moments de plaisir que nous procure le duo, qu'il nous conte des romances d'amour ou de petites histoires ordinaires, optimistes ou nostalgiques. Il le fait de telle manière qu'on est vite conquis. Pour ma part, je le suis depuis près de dix ans, et je suis près à signer pour une décennie supplémentaire. 

 

Helene CRONIN

"Maybe New Mexico" 

Après deux disques en 2023, Landmarks et Beautiful December (un EP de saison), Helene Cronin nous offre un nouvel album, Maybe New Mexico (enregistré à Nashville). De sa voix chaude et sensible, elle interprète douze nouvelles compositions qui confirment qu'elle appartient bien à la catégorie fermée des songwriters de talent. Elle a écrit deux titres seule (Power Lines et Rifleman) et quatre avec Scott Sean White, un confrère et ami qui mériterait d'être lui aussi mis en lumière (Maybe New Mexico, People, Not The Year et Maker's Mark). Helene a ce talent de savoir mettre en chansons des histoires d'amour et de cœurs brisés, de guerre et de paix, de vie et de mort, de raconter des choses simples en les posant sur des mélodies, tout simplement. Qu'elle nous emmène du côté d'Albuquerque (Maybe New Mexico) ou de la Suisse (Switzerland), on la suit sans hésiter. Elle peut chanter la vie (Dear Life, avec un bel accompagnement de piano), évoquer Dieu (God Stopped By) ou l'homme (Ain't That Just Like A Man) en se posant comme quelqu'un qui sait observer ce qui l'entoure et le retranscrire avec des mots et des notes. Autour d'elle, les musiciens savent se mettre au diapason. Bobby Terry (guitares acoustiques, dobro, steel guitar, mandoline), Matt Pierson (basse), Paul Eckberg (batterie), Charlie Lowell (piano, claviers, Hammond B3), Melodie Chase (violoncelle), Caitlin Anselmo et Matt Singleton (voix), tous sont parfaitement à l'unisson avec, comme maître d'œuvre le producteur Mitch Dane (qui ajoute claviers additionnels, percussion et programmation).


 

 

Mark BRINE

"Rural Notes"

 Il y a bien longtemps (depuis 2018) que je n'avais pas eu l'occasion de parler de Mark Brine, artiste originaire du Massachussetts et établi à Nashville, qui a déjà plus d'un demi-siècle de carrière derrère lui. Si sa renommée est restée relative, il a quand même quelques faits de gloire comme celui d'avoir chanté au Grand Ole Opry, introduit par Hank Snow. Surnommé le New Blue Yodeler, il revendique comme influences principales Jimmie Rodgers et Hank Williams dont il est un héritier légitime, toujours proche d'une tradition folk qu'il sait enrichir de jazz et de blues et continue à défendre sur scène alors qu'il vient de fêter ses soixante-seize ans. Dans les douze compositions (dont le délicieux et sautillant Bouncin' In The Buggy coécrit avec Douglas Atkin) de ce nouvel opus, Mark raconte ses petites histoires comme lui seul sait le faire. Il dresse des portraits pleins de tendresse, comme Farm Girl ou Jessica Blue. Il rend hommage à des artistes qui l'ont inspiré dans The Ballad Of Fiddlin' Sid Harkreader, un violoniste old-time qui a fréquenté lui aussi le Grand Ole Opry, ou encore The King Of Basin Street (A Tribute) qui évoque King Oliver et son Creole Jazz Band qui a compté en ses rangs Louis Armstrong et Lillian "Lil" Hardin, tous deux nommés dans la chanson. Je pourrais encore citer Everything's Gonna Be Alrite et Your World, Squirrel, aux textes personnels, ou encore Delta Moonlit Sky. Pour maintenir la tradition, il y a Moo-nlite Yodel (dont le titre se suffit à lui-même) et, pour clore l'album, une chanson à connotation religieuse, New Jerusalem. Mark est entouré pour Rural Notes par Brian Whaley (fiddle et violon), George Kost (steel guitar) et son fils Kev Brine (basse et claviers) avec en plus, pour King Of Basin Street, Gregory Thompkins (saxopone) et Jim Orr (piano). 


 

mercredi 20 novembre 2024

Avenue Country, par Jacques Dufour (novembre 2024, seconde partie)

 

RECKLESS KELLY

"The Last Frontier" 

On a parfois des préjugés. Je m’apprêtais à écouter une formation plutôt orientée rock ou country alternative. Faux. Reckless Kelly peut être catalogué comme un groupe tout simplement country pour une bonne majorité de sa musique. D’accord, l’absence du violon et de la pedal steel guitare ainsi que la brièveté des chansons, toutes en dessous des trois minutes, rapprocheraient le groupe du rock, mais la structure des titres et la douceur de certaines chansons incluent Reckless Kelly sans contestation possible dans la vaste famille de la country. Et l’ensemble s’écoute fort plaisamment.


 

 

Sarah PIERCE

"Blessed By The West" 

Si près d’une heure de ballades et autant de balades dans les grands espaces de l’ouest américain au rythme de votre monture ne vous effraient pas, cet album est pour vous. Cette autrice-compositrice semble bien connaître son domaine car il s’agirait, ai-je lu, de son dixième album. On évolue dans une ambiance plus folk que country. Je l’assimilerais à une conteuse, bien que son vocal ne soit point désagréable. On ne peut cependant qualifier son style de country and western et elle ne va pas jusqu’au yodel. Il serait recommandé d’avoir ses textes sous les yeux pour vraiment profiter de la randonnée. 


 

 

Shawna THOMPSON

"Lean On Neon" 

Ceux qui ont suivi l’évolution (ou la dégradation ?) de la musique country au long de ces vingt dernières années se souviennent peut-être d’un duo nommé Thompson Square. Il s’agissait de Shawna Thompson et son mari Kiefer. Ensemble ils ont obtenu un n°1 en 2010 et quatre Top 15. Leur musique était à fond dans la mouvance new country/pop. En 2024 Shawna nous propose son premier album solo et là, surprise, il s’agit de country music traditionnelle. Et même cinq morceaux sur les douze peuvent être qualifiés de honky tonk purs. Et quel bon goût de reprendre le fameux Jones On The Juke Box de Becky Hobbs. L’album se referme sur une excellente reprise acoustique de Together Again de Buck Owens. Shawna a bénéficié pour ce premier album du concours vocal ou instrumental de Vince Gill, Ricky Skaggs, Leona Williams, Pam Tillis, Leslie Satcher, Rhonda Vincent, Sunny Sweeney et Ashton Shepherd. Vous conviendrez que ces gens-là ne cautionnent pas de la daube "nashpop". Peut-être l’album de l’année.


 

 

SILVERADA (formerly Mike & The Moonpies)

(self-titled)

Je suis un peu rétif vis à vis de ces artistes qui visent à plaire à différents publics en mélangeant les genres. Chacun se sent un peu frustré. Soyons positifs. Cet album contient de bonnes choses. Notamment en matière de country on se régalera de cinq titres avec pedal steel guitare et fiddle dont le rapide Someting I’m Working On (avec Brent Cobb) ou le bien classique Stubborn Son. Les cinq autres morceaux sont du registre pop / rock alternatif qu’apprécieront les fans de Tom Petty ou Bruce Springsteen, artistes auxquels le vocal râpeux du chanteur s’apparente. 


 

 

WEST OF TEXAS

"Hot Motel Nights" 

West Of Texas n’est pas un duo. Ne tenez pas compte de la photo de pochette trompeuse. Le vocal est purement masculin et appartient à un certain Jerry Zinn, un Californien de Los Angeles. La fille n’est là que pour préparer le café. Ou plus si affinité. Jerry Zinn donc a sorti son premier album en 2021. Il est présenté comme un chanteur de style honky tonk, hérité du Bakersfield Sound. N’exagérons pas. Cet album ne propose que deux purs honky tonk mais il est néanmoins 100 % country avec un bon équilibre entre les titres rapides en début d’album et les quatre ballades regroupées. Zinn possède un vocal chaleureux propre à interpréter de la country. Un très bon album de country traditionnelle agréable à l’oreille.


 

 

Alex MILLER

"My Daddy’s Dad" 

Alex Miller est un jeune chanteur (encore adolescent je crois) originaire du Kentucky dont la maturité s’affirme à chaque sortie d’album. Il en a déjà trois parus en peu de temps. Il faut dire que ce sont des mini-albums de cinq titres chacun. Ce nouveau disque affiche un aspect plus tendre du répertoire du garçon avec des ballades et des mélodies bien calmes. Nous sommes toujours dans une country bien traditionnelle mais cette fois sans western swing ni honky tonk, ce qui définissait bien jusque là le style du jeune homme. Sur cette dernière œuvre je le rapprocherais plutôt de Joe Nichols ou Mo Pitney. Espérons que pour le prochain opus Alex nous gratifie de nouveau d’une country nettement plus dynamique.