mardi 30 septembre 2025

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 Jubal Lee YOUNG

"Squirrels" 

Mon histoire avec Jubal Lee Young a véritablement commencé en 2007 avec son album sans titre paru cette année-là. Mais c'est en 2011 avec Take It Home que ce digne héritier du mouvement outlaw (fils de Steve Young et Terrye Newkirk) a véritablement franchi un palier supplémentaire. Après On A Dark Highway (2014), Jubal a disparu des radars pendant dix ans. La mort de ses parents, la pandémie du COVID, et d'autres circonstances l'ont tenu éloigné du milieu musical. Il est vrai que Jubal est un véritable rebelle qui n'adhère pas, doux euphémisme, au système de Music City. Son retour s'est effectué en 2024 avec un album de reprises intitulé Wild Birds Warble (chroniqué en ces colonnes en mai 2024), doublé d'un EP de cinq titres bonus sous-titré Side 4. L'envie de chanter était revenue, mais aussi l'inspiration, et c'est aujourd'hui Squirrels que nous propose JLY, album riche et dont la qualité ne se dément à aucun moment. Toujours indomptable, toujours indépendant, notre ami s'est entouré d'une équipe réduite pour habiller seize nouveaux titres, tous de sa plume. Autour de Jubal (voix, guitare et harmonica) et du producteur multi-instrumentiste Markus Stadler (banjo, dobro, mandoline, bouzouki, guitare baryton et voix), ne sont présents que Christian Sedelmyer (fiddle), Charlie Pale (basse) et Jeff Taylor (accordéon). Jubal Lee Young affirme que, ayant atteint la cinquantaine, il ne s'est jamais mieux senti dans sa peau et aussi libre dans son écriture qui est, pour le moins, d'un haut niveau (ce qui n'est pas nouveau). L'album, aux textes profonds, paraît pourtant léger à l'écoute, et cela dès Squirrels, qui ouvre le bal, où le son du fiddle (Christian Sedelmyer illumine le disque de sa présence) donne un ton joyeux. Les morceaux peuvent être personnels comme Hand-Painted Portuguese Punch Bowl (qui évoque sa grand-mère), ou Wild Your Tanned Heart, chanson d'amour où le héros tire les leçons de l'expérience. Jubal n'évite pas les sujets politiques. Dans Weird, il dit: "Ne trouvez-vous pas cela un peu singulier / N'est-ce pas au-delà du crédible / Essayez de donner un repas gratuit à une pauvre enfant / Ils vous feront vous sentir comme un voleur / Mais s'il veulent un billion de dollars pour bâtir un mur / Soudain l'argent n'est plus un problème du tout". Young junior sait manier la provocation avec toujours un sens de l'humour un peu noir qui fait la qualité de titres comme Parts, Don't Be A Dickhead, IDGAF (I Don't Give A Fuck), ou encore Welcome To Nashville, Asshole, et tout cela sans jamais se départir d'un ton plutôt joyeux. Je pourrais encore citer Lost In Hollywood, Love Happens ou It's Gonna Be All Right mais, au-delà de cette prétérition, je regretterais d'avoir oublié tel ou tel autre titre. J'ai toujours tenu Jubal Lee Young en haute estime, à la fois comme être humain et comme songwriter, et Take It Home était pour moi son disque de référence. Mais je dois me rendre à l'évidence, sans rien retirer à son prédécesseur, Squirrels, si riche, à la fois quantitativement et qualitativement, permet à JLY d'atteindre une dimension encore supérieure.


 

 

Eric ANDERSEN

"Dance Of Love And Death" 

Eric Andersen est là depuis toujours, du moins depuis 1965 et Today Is The Highway. J'avoue ne l'avoir découvert que quelques années plus tard, la reprise de Close The Door Lightly When You Go par Ian Matthews et celle de Faithful par Linda Ronstadt ayant été pour moi des révélateurs. Depuis soixante ans, Eric n'a cessé de nous ravir de ses compositions mélodieuses, sans s'interdire de reprendre celles des autres comme dans ces deux disques parus il y a une vingtaine d'années, les Great American Song Series. Sa carrière n'a pas été linéaire et a beaucoup souffert de la perte des bandes (retrouvées par miracle 18 ans plus tard) de l'album Stages dont la parution était prévue en 1972. La fin du siècle a été pour Eric une période particulière avec la parenthèse enchantée Danko / Fjeld / Andersen, mais tout est reparti de plus belle en 1999 avec Memory Of The Future. Eric s'est établi aux Pays-Bas, a épousé Inge, a trouvé son inspiration auprès d'Albert Camus, Lord Byron ou Heinrich Böll. Nous ne devons pas oublier qu'il est un des rares géants vivants et actifs du mouvement folk US, teinté de blues, des années 1960. Avec Dance Of Love & Death, son premier LP de chansons totalement personnelles depuis Beat Avenue en 2003, il nous propose dix-sept titres, tous de sa plume à l'exception de Cross Of Gold (originalement titré Cross, écrit par Robin Batteau présent sur ce morceau). Trois titres sont des versions studio de chansons déjà parues sur des albums live, notamment le superbe Don't It Make You Wanna Sing The Blues, alors que deux autres avaient été publiés sur des albums digitaux. Les musiciens invités sont prestigieux, de Lenny Kaye à Larry Campbell, de Steve Addabbo à Michele Gazich, en passant par Tony Garnier et, bien sûr, Inge Andersen. Quant aux compositions, elles sont ce que tout amateur d'Eric Andersen attend, lentes et d'une beauté sombre. Ne vous attendez pas à un album sur lequel on danse, malgré son titre, même autour des tombes. C'est un disque que l'on écoute, d'une manière presque religieuse, transporté par la voix traînante et familière de l'artiste. L'énoncé des titres pourrait donner le blues: Dance Of Love And Death, After This Life (un des morceaux les plus entraînants du premier disque), Troubled Angel, Season In Crime, Broken Bone Blues... Et pourtant, la mélancolie de l'ensemble ne rend pas triste. Au contraire, au fur et à mesure que les titres défilent, imposant leur rythme à qui les écoute, on se sent envahi par une sorte de bien-être indéfinissable, celui que procurent les retrouvailles avec un vieil ami. Eric s'accompagne à la guitare sur onze titres et au piano sur cinq, se contentant de chanter sur Cross Of GoldRobin Batteau est à la guitare classique et au violon "echobox" et Abby Newton au violoncelle. Parmi les titres marquants, chansons d'amour ou peintures de la vie quotidienne, je citerai After This Life, Every Once In A While, Map Of A Woman's Heart sur le premier disque ou encore Color Blind, At The End Of The Day en duo avec Inge Andersen et Story Of Skin (avec le violon de Michele Gazich) sur le second CD. L'album se termine en apothéose avec Singin' Man (ode aux chanteurs de rue) où Larry Campbell cumule guitare, mandoline et violon), le tendre Sinking Deeper Into You, chanson d'amour où le piano d'Eric sous-tend un texte comme lui seul sait en écrire et Broken Bone Blues, long de près de neuf minutes et qui porte bien son nom, avec juste les guitares d'Eric et de Larry Campbell (qui nous donne une belle leçon de blues et conclut d'un éclat de rire). Ces trois titres illustrent parfaitement l'art d'Eric Andersen dans ses différents aspects. Ils ont un côté intemporel et auraient pu appartenir au répertoire d'un autre album, d'une autre décennie. Ils prouvent avec élégance qu'Eric Andersen, à 82 ans, a toujours la flamme et l'inspiration. 


 

 

David MASSEY

"Man In The Mirror" 

David Massey ne fait pas partie de ces noms clinquants que l'on retient, sauf si on l'a déjà vraiment écouté. La voix, calme et posée, n'est pas des plus remarquables mais elle sied parfaitement à l'esprit des compositions. Les lecteurs du Cri du Coyote ont sans doute oublié que je leur avais présenté Late Winter Night (n° 161) et l'EP Island Creek (n° 168). Pour Man In The Mirror (la chanson titulaire est inspirée d'un poème de Federico Garcia Lorca, Myself en Anglais), David est accompagné des fidèles Jim Robeson (basse et co-production), Jay Byrd (guitares), Bill Starks (claviers) avec, cette fois, Miles Lieder à la batterie. Huit titres sont au programme dont, pour terminer, la reprise de Tecumseh Valley de Townes Van Zandt, les sept autres étant de la plume de David (Dawn a été coécrit avec son cousin Mark Gillman). C'est par Till The Evening Comes, titre joyeux et enlevé, que la fête commence avec, en vedette, le dobro de Fred Travers et un piano sautillant. La chanson suivante, Too Soon Gone, est particulièrement émouvante, écrite pour son ami Lew qui a perdu ses deux filles (Jillian, 21 ans, et Lindsay, 19 ans) dans un incendie. Lew lui-même est décédé peu après d'un cancer. Une touche d'accordéon (Shamus McRobie), quelques notes d'orgue sont là avec la guitare acoustique de Jay Byrd pour la solennité de l'ambiance. Au long du disque on retrouve d'autre partenaires habituels de David: Zan McLeod à la mandoline (Man In The Mirror) et au bouzouki (Marianne) et Casey O'Neill à la pedal steel guitar (Dawn). Il faut aussi noter le violoncelle de Kirsten Jones (Marianne, Home And Free), et les harmonies de Sally Love (Till The Evening Comes, Man In The Mirror). Globalement, Man In The Mirror est un excellent album de folk-rock, jamais monotone, à l'image de Fighter's Lament, le seul titre que je n'ai pas cité. Pour Tecumseh Valley (note du rédacteur: ma chanson favorite de Townes), David Massey est seul avec sa guitare et les voix de Jay Byrd et Jim Robeson, nous délivrant une interprétation qui conclut de belle manière ce disque qui mériterait de de ne pas rester dans l'ombre.


 

 

Bill SCORZARI

"Sidereal Days (Day 1)" 

Bill Scorzari a désormais à son actif cinq albums, le sixième, Sidereal Days (Day 2), étant prévu pour 2026. J'avais chroniqué les deux précédents, Now I'm Free (Le Cri du Coyote n°163) et The Crosswinds Of Kansas (Du Côté de Chez Sam, novembre 2022). Il est difficile de parler d'un artiste que personne n'écoute de ce côté de l'Atlantique et dont les disques sont difficiles à trouver. Je vous invite à aller les découvrir sur Bandcamp, et j'en profite pour adresser un grand merci à Erin Scholtze et Dreamsider Publicity. Si les mélodies sont souvent prenantes et les arrangements subtilement travaillés, Bill met l'accent sur les textes, parfaitement véhiculés par sa voix, mixée en avant et si particulière. C'est une voix râpeuse qui peut sans heurt passer de la confidence à la colère. Sidereal Days (Day 1) est produit par Bill Scorzari et Neilson Hubbard. Les musiciens sont tous excellents. Bill (voix, guitares acoustique, électrique et baryton et piano) et Neilson (batterie et percussion) sont accompagnés par Brad Talley (dobro), Chelsea McGough (violoncelle), Danny Mitchell (piano et orgue Hammond B3), Eamon McLoughlin (violon et fiddle), Joshua Britt (mandoline), Juan Solorzano (guitare électrique, guitare rythmique, deuxième guitare acoustique, pedal steel, ganjo), Michael Rinne (contrebasse et basses électriques). Quant aux voix additionnelles, elles sont assurées par Cindy Richardson Walker et Marie Lewey (alias les Shoals Sisters) et Megan McCormick. Les chansons sont au nombre de dix, toutes écrites par Bill, et sont souvent longues. C'est ainsi que And Carries Me Away, Endgame et Grace dépassent allègrement les sept minutes, ce qui signifie qu'il y a beaucoup de mots que l'on ne peut pas écouter d'une oreille distraite, même si les arrangements, riches et inventifs leur procurent un parfait écrin. C'est ainsi que l'on peut apprécier la guitare classique et le piano de All This Time, la pedal steel guitare de And Carries Me Away, l'orgue et la guitare électrique de Can't Break This Fall... Avec Endgame, la voix de Bill change de tonalité, plus forte, exprimant une forme de colère soulignée par une batterie qui résonne davantage que sur les autres titres. Pour From Your Heart et Breathe, les morceaux les plus courts, ce sont fiddle (sur le premier titre), ganjo (sur le second), violoncelle, dobro et mandoline qui entrent dans la danse. Entre ces deux chansons, le long et lent Grace atteint une dimension presque religieuse (le thème, mais aussi les voix des Shoals Sisters en introduction n'y sont pas pour rien). Je n'aime pas les superlatifs, mais je peux qualifier cet album de chef d'œuvre (minor masterpiece comme on dirait outre-Atlantique) tant il fait partie de ceux dont on est certain de découvrir les subtilités à chaque écoute, et pendant longtemps. 


 

 

Les CHICS TYPES

"Live au Radiant" 

Les Chics Types fêtent leurs 20 ans avec la sortie d'un album enregistré en public, précisément au Radiant-Bellevue à Caluire en février 2024. Disque sans prétention, mais non sans talent, c'est au départ l'histoire d'une cassette audio qui ne quitte pas l'autoradio d'une vieille 504. Cette cassette est le point de départ d'un voyage musical que Les Chics Types ont proposé au public lors de la tournée de leur album Comme Si. Voilà pour le décor. Le groupe est composé de Christian Biral (chant et guitare acoustique), Éric Corbet (saxophone), Jean-Yves Demure (batterie), Pierre Nony (piano) et Cédric Vernet (basse et harmonica). L'ensemble de l'album incite à l'optimisme et nous procure un bien-être qui nous ramène à l'insouciance de l'époque où sont apparues les 504. Les chansons sont des compositions du groupe, à l'exception de Chanson à boire (Hubert Mounier) et de Quand la terre se dérobe, coécrite par Cédric Vernet et Kent qui vient chanter en duo sur ce titre. De Our Last Summer à En 504, en passant par Comme si et Ce qui se passe, on écoute ce Live au Radiant avec un sourire qui ne se dément pas et on est prêt à en reprendre pour 20 ans.


 

dimanche 28 septembre 2025

Disqu'Airs par Alain Fournier et Sam Pierre

 

Happy TRAUM

"Live in Holland 2017" 

(Strictly Country Records SCR-97)

Harry "Happy" Peter Traum (né dans le Bronx en 1938) découvre la scène folk de Greenwich Village au début des Sixties. Cette fascination pour ce monde de musique et de liberté ne le quittera plus! En 1962 il participe à l’élaboration du LP Broadside Ballads pour Folkways Records aux côtés de Phil Ochs, Bob Dylan et Gil Turner. Avec son groupe, les New World Singers, Happy chante une première version de Blowin’ in the Wind d’un certain… Blind Boy Grunt! Avec son frère Artie il grave un premier disque pour Capitol en 1969. Son talent de guitariste est vite reconnu et Happy s’installe durablement parmi les grands du folk, au même titre que Dave Van Ronk ou Tom Paxton. Il nous quitte en juillet 2024, après une vie passée "sur la route", jonchée de succès et d’épreuves, faisant rimer déboires avec victoires, en y mêlant sourires et bienveillance… Ce gentleman élégant retrouve John Prine et David Olney dans un monde "soi-disant" meilleur! On doit ce live en Hollande (2017) à Pieter Groenveld pour Strictly Country Records et la qualité de l’enregistrement mérite un grand coup de chapeau! Happy Traum propose une douzaine de titres savamment équilibrés, puisant chez Woody, Pete Seeger ou Dylan, sans négliger Charlie Poole, Norman Blake ou Brownie McGhee. La connivence s’est installée sur la scène. De Pawn Shop Blues à Freight Train l’oreille reçoit les chansons comme autant de cadeaux. Il n’est pas interdit de fredonner… intérieurement! Son "country blues" à la guitare évoque Mississipi John Hurt, et sa voix chaleureuse emmène l’assistance sur un petit nuage. Les applaudissements, retenus jusqu’à la dernière note, témoignent d’une émotion sous-jacente et d’une parfaite connaissance du répertoire. Avec Make me a Pallet on your Floor le récital touche à sa fin et la magie demeure… Tout a été parfait: le public et l’artiste soudés par la même émotion. Cet enregistrement doit servir de référence aux débutants comme aux plus chevronnés. Avec sa guitare acoustique sans slogan vindicatif, Happy Traum était un grand connaisseur de cette "petite" musique blanche et noire qui nous tient tant à cœur. Un seul regret? Celui d’avoir loupé ce concert d’Alsmeer en octobre 2017. A l’époque Danny Adams m’en avait dit le plus grand bien ! (Alain Fournier)


 

 

Jacky GALOU

"Sur les routes du Folk" 

RDM Edition septembre 2025

Depuis le succès remporté en 1974 avec Wagawika le petit Indien, le Monsieur-qui-chante s’appelle Jacky Galou. Il est connu comme Pierre Chêne, Anne Sylvestre ou Henri Dès, pour être un chanteur… pour enfants. Ce n’est pas faux, mais c’est méconnaître l’immense répertoire de ce troubadour attachant qui se balade guitare à la main en proposant ses refrains pour toutes les oreilles. Les thèmes abordés sont principalement les routes (françaises ou américaines), l’amitié, les enfants et… les "cowboys"! Appellation qui désigne le Far West, les Indiens, les westerns, les chercheurs d’or, les chants de marins, les chemins de fer (avec les Lonesome Gamblers), les bandits de l’Ouest ou encore les trappeurs du grand Nord Canadien. Le rêve américain de cet amoureux de la langue française est alimenté par des traductions au plus près des standards légendaires made in USA ou irlandais, de Ole Joe Clark à Arkansas Traveller, tout en revisitant les chansons de Woody Guthrie et les ballades ancestrales de la folk Music. Le tout traité avec la même envie de bien faire et de transmettre sa passion pour la musique à un public bienveillant. Sa voix est un atout considérable: elle donne à ses interprétations une chaleur particulière, et les instruments utilisés (guitare, banjo, fiddle ou pedal steel) nous entrainent dans l’univers du Bluegrass cher à Bill Monroe. Ce dernier album Sur les routes du Folk est le reflet de sa musique et de son regard - sans nostalgie - sur un parcours qui a été plus qu’honorable pour ne pas parler d’une carrière savamment programmée. Les 12 chansons racontent des histoires. Celles de La jument grise et du Chat sur le port, mais aussi d’Amsterdam et des Voyageurs de la Gatineau qui veulent bâtir un chantier. Un conseil : "Surveille un peu ta montre Cap’tain Galou", ce train ne prend pas de voyageur, pas même solitaire et un tant soit peu bluesy… Cette voie de garage n’est pas faite pour les vrais hoboes! Avec un sac à dos et une guitare "pour faire l’artiste" Jacky Galou songe, dans les moments de doute, à réduire la voilure. La route a été caillouteuse mais riche en émotions. Il songerait à faire le point en quelque sorte et à jeter l’ancre pour de bon. Nous n’y croyons pas trop, et comme le chante Gauvain Sers en duo avec Anne Sylvestre: "Y’a pas de retraite pour les artistes". Alors… à la prochaine, Cowboy du macadam et des cours de récréations ! (Alain Fournier


 

 

The GPs

"In 1981… There Was The GPs" 

Le label Strictly Country Record de Pieter Groenveld nous gratifie régulièrement de cartes postales musicales venues du passé. Les Britanniques de Talking Elephant Records nous offrent aujourd'hui l'enregistrement public d'un supergroupe dont le nom n'est pas passé dans la postérité: The GPs. Et pourtant, les artistes qui le composent sont fameux: Richard Thompson, Ralph McTell, Dave Pegg et Dave Mattacks, associés en qualité de groupe à l'occasion d'une réunion de Fairport Convention (dont faisaient partie trois d'entre eux) en aôut 1981. Les quatre hommes jouèrent en tout une demi-douzaine de concerts cette année-là, avant de se retrouver brièvement en 1997. Un CD des concerts de ce week-end fut publié confidentiellement en 1991. En 2023 Nigel Schofield entreprit de remastériser une paire de titres, les fit entendre aux musiciens et Ralph et Peggy (Dave Pegg) émirent le souhait que le même traitement soit appliqué aux autres titres. Passons sur les détails. Un autre enregistrement de septembre 1981 fit surface avec des versions alternatives des titres déjà publiés et, surtout, six inédits. Le résultat est ce CD qui comprend quatorze extraits du concert de septembre 1981, cinq des concerts d'août 1981 et un dernier provenant de la réunion d'août 1997. Quand on voit les noms de Richard et Ralph, deux des meilleurs auteurs-compositeurs anglais des six dernières décennies, on imagine que le répertoire s'est articulé autour de leurs chansons. Que nenni! Deux compositions de Richard (You're Gonna Need Somebody et Saturday Rolling Around), deux de Ralph (Zimmerman Blues et Barnes Morris, un instrumental), et c'est tout. Pour le reste, c'est un festival d'adaptations et de reprises du répertoire folk, blues et conutry; Pretty Boy Floyd de Woody Guthrie, Going, Going Gone de Bob Dylan, Honky Tonk Blues et I'm So Lonesome I Could Cry de Hank Williams, Together Again de Buck Owens. Je citerai encore Take A Message To Mary, I Fall To Pieces, Steel Guitar Rag et Save The Last Dance For Me pour les morceaux folk et country. Le rhythm & blues et le rock 'n' roll sont aussi à l'honneur avec (Come Right Here) I'm The One You Need, Don't Do It, Hang Up My Rock 'N' Roll Shoes (ces deux titres inspirés par les versions du Band sur Rock Of Ages) et, pour terminer, Lawdy Miss Clawdy et Cut Across Sorty. Le tout procure une bonne heure de vrai bonheur à l'auditeur, et l'on sent que les quatre comparses (plus le violoniste Mike Piggott sur les titres de septembre 1981) se sont fait plaisir en sortant de leur zone de confort. Bien sûr, ne vous attendez pas à la perfection technique des enregistrements publics modernes, l'intérêt n'est pas là. À cet égard, je signale à qui cela intéresse, le disque en public de Ralph McTell et Dave Pegg, The Old Pals Act, qui vient de paraître. (Sam Pierre)


 

mardi 23 septembre 2025

Lone Riders, par Éric Supparo

 

Maurice MATTEI

"Never Die Never Again" 

Maurice Mattei, depuis son Ohio d’adoption, comme tout bon artisan qui se respecte, a patiemment apprivoisé ses outils, ses démons et ses inspirations. L’écriture est à la base de tout. On l’oublie parfois. Le sujet n’étant pas ici la dance music, une chanson raconte une histoire ou transmet des émotions, par les mots, et par l’écrin musical qui lui sert de support. Maurice a réduit à l’essentiel son décor: un crayon, un papier, une guitare acoustique et une voix. Il faut donc se laisser porter dans ce voyage doux-amer, douze titres qui racontent des aventures et (plus souvent) des mésaventures, des souvenirs de clubs enfumés il y a trente ou quarante ans, de mœurs étranges et d’espoirs en apesanteur. Il faut aussi et surtout applaudir quand un auteur parvient à travailler à l’économie, à ciseler les phrases, enlever le superflu pour garder une trame folk-blues âpre et sincère, sans ennuyer une seconde. On ne compte plus ses albums, mais Never Die Never Again, avec des titres aussi forts que Homewrecker, What Do Boys Know About Love ou Jesse James, rejoint son haut du panier. Garni, le panier. Merci, Sir Mattei.


 

 

Kate VARGAS

"Golden Hour In The House Of Lugosi" 

Une dizaine d’albums sous le bras, Kate Vargas reste confidentielle par ici (et par là aussi), malgré un talent assez épatant, qu’il s’agisse des compositions - fines et aiguisées - ou de ses qualités musicales. Golden Hour In The House Of Lugosi est sorti ce printemps et permet de se faire une idée assez précise de l’art de la dame : on passe de titres bluesy/swampy (Nothing Turns My Lock) à des tonalités plus cabaret (Rosy) ou même soul (Shower Me With Infinite Light), le fil conducteur restant sa voix si particulière, gypsy sans les clichés pénibles du genre, funky sans forcer. Une voix unique, si vous préférez… Tout cela est sublimé par des textes d’une rare intelligence, où sarcasmes roots côtoient une poésie plus urbaine. Au fil des ans, le rapprochement avec Tom Waits a été maintes fois évoqué. On ne va pas contredire. C’est une référence classy, et Kate est au niveau. Son parcours est désormais lié à celui d’Eric McFadden, fabuleux guitariste dont nous avons déjà parlé, au sein de Sgt Splendor, excellent groupe au passage. Forcément. 


 

 

Trevor SENSOR

"A Few Tears Of Eros" 

Si l’on cause cordes vocales, celles de Trevor Sensor méritent plus qu’un détour… Suivi depuis plus de dix ans, son parcours accidenté, autant que sa voix, mérite un vrai respect. Voilà un gars d’une trentaine d’années qui sonne comme un mix entre le Bob Dylan de Before The Flood, Sam Llanas (celui des débuts de BoDeans, Love & Hope & Sex & Dreams en particulier), Bobby Bare Jr (furieux Now That I’m Naked) et le serial killer que vos pires cauchemars n’osent même pas imaginer. Sa musique? Toutes. Les bonnes, en tous cas. Il ne fait pas le tri, tant mieux pour nous. Folk, blues, country sèche, symphonique (When I Had the Gall), punk-rock (les guitares au fer rouge de The Farm), rien ne lui fait peur. Cet album est très (très) impressionnant. On plonge dans des eaux troubles, on est surpris, emporté… Trevor ose et réussit tout ce qu’il veut et ne se pose pas la question du "genre". Rien de pire que l’homogène et le lisse. Il est aussi (et surtout?) un auteur flamboyant, et si vous n’avez pas trop peur du mot, littéraire est sans doute ce qui le définit le mieux. Philosophe, parfois torturé et vociférant, parfois instable et murmurant, cet artiste sincère et entier n’a pas vraiment d’équivalent ces jours-ci. Il a fallu attendre longtemps entre son précédent album et celui-ci. Mais le privilège est là, disponible, enfin. Un monde qui ne cherche pas à être cohérent et propre, mais qui laisse une large part d’ombre mener la barque. Montez à bord, vous ne regretterez pas le voyage.


 

 

Grant Lee PHILLIPS

"In The Hour Of Dust" 

On a tous nos points faibles et petites manies. Pour moi, ce sont les ballades folk-rock de Grant Lee… le temps ne fait rien à l’affaire ! Il possède un don qui ne lui fait jamais défaut, depuis les débuts avec Grant Lee Buffalo. Un don qui domine encore ce In The Hour Of Dust, superbe collection de chansons, toutes belles, profilées, élancées. Elles ont le pouvoir de transmettre des émotions, des plus rudes aux plus légères (Someone, qui défie l’apesanteur), avec quelques mots enveloppés de mélodies parfaitement calibrées. L’art et la peinture, qu’il pratique en parallèle de son activité de singer-songwriter, l’inspirent autant que l’inverse. Le visuel est donc aussi important, et les images qui naissent de ses compositions vont de la désolation (Closer Tonight ou Dark Ages) à l’intimité amoureuse (She Knows Me), toujours portées par une trame acoustique (guitare, piano), agrémentée d’ingrédients pop dont il a le secret, discrets mais efficaces. Il y a un réel savoir-faire chez lui, une science précise de la chanson, et ce nouvel album en est une nouvelle - et réjouissante - preuve. 


 

 

Lera LYNN

"Comic Book Cowboy" 

S’il fallait définir Lera Lynn, en tous cas celle de Comic Book Cowboy, il faudrait prendre le Wilco de The Whole Love, la classe vocale de Joni Mitchell et le côté addictif des travaux de Suzanne Vega avec Mitchell Froom. Adoubée par T Bone Burnett et Rosanne Cash en 2015 sur la BO de la saison 2 de la série True Detective, elle tourne et sort des albums régulièrement. Mais depuis plus de 15 ans, depuis le Tennessee, Lera a surtout réussi à trouver une voie qui lui est propre, d’une grande élégance - musicalement et artistiquement, et d’une fière indépendance. Ce nouvel opus, maîtrisé de bout en bout, à la production délicate et aux judicieux accents parfois pop-rock, contient quelques perles comme Beige ou Into Nothing, à l’introspection troublante et tourmentée, écrites sans esbroufe et au millimètre, Cherry Tree et son hook de pedal steel - que l’on fredonne sans s’en apercevoir, et puis Comic Book Cowboy, hit en puissance, si les Dieux obscurs de la renommée pouvaient, pour une fois, ouvrir grand leurs - deux - oreilles. Todd Lombardo, époux et grand musicien et arrangeur, participe généreusement, et avec bonheur, à la formule. En un mot, un réel plaisir pour les sens qui évolue (dans le bon sens) au fil des écoutes. Riche, entêtant et luxuriant, ne ratez pas le jardin fleuri de Lera


 

dimanche 21 septembre 2025

Avenue Country, par Jacques Dufour

 

SWEET MEGG

"Never Been Home" 

Déjà un nouvel album? Le précédent ne date que de l’an dernier. On ne va pas se plaindre car le vocal de la demoiselle est attachant. Le premier des treize titres démarre avec un clin d’œil à la musique celtique. En fait c’est une bonne country au tempo rapide et fort festive. Hélas derrière l’arbre ne se cache pas la forêt car ce qui suit est bien inégal. Le style de la miss est davantage americana que country et manque résolument de vigueur à part un pop/rock déplacé dans le contexte. J’ai retenu pour mon marché deux slows chantés avec conviction mais à part le titre cité en ouverture il n’y a pas une chanson qui se démarque vraiment et qui nous fasse bouger les pieds.


 

 

Kelsey WALDON

"Every Ghost" 

Le parcours de Kelsey Waldon n’a pas toujours été linéaire. Problèmes avec l’alcool notamment. A présent sobre elle cultive son jardin et nous offre son sixième album. Il se situe entre americana et country classique. La chanteuse originaire du Kentucky privilégie les ballades mais son vocal attachant sait capturer notre attention. Il est riche en pedal steel guitare et violon aussi je ne peux que vous le recommander. 


 

 

Jesse DANIEL

"Son Of The San Lorenzo" 

Le dernier album de Jesse Daniel ne datait que de l’an dernier. Il semble vouloir entrer dans la catégorie des chanteurs qui sortent un album nouveau chaque année à l’instar de Willie Nelson ou Jim Lauderdale. San Lorenzo est le nom du massif montagneux au sein duquel le chanteur a grandi. Il se situe en Californie près de Santa Cruz. Je trouve que ce sixième album, peut-être sorti trop vite, manque de tonus par rapport au précédent, Countin’ The Miles. En effet il faut attendre le neuvième titre, Crankster, pour que l’on commence à bouger les bottes. Et ça sera le seul. En fait, c’est un slow, Jodi, qui a ma préférence avec l’harmonica de Charlie McCoy en arrière plan. N’espérez aucun honky-tonk dont le Californien s’était spécialisé et beaucoup de titres sentent le remplissage. On attendra le temps qu’il faut pour que l’album suivant soit nettement plus consistant.


 

 

John HOWIE Jr. & The Rosewood Bluff

"The Return of John Howie Jr. & The Rosewood Bluff" 

Le retour de John Howie Jr.? Je ne savais pas qu’il était parti. En fait je découvre ce chanteur. J’ignore donc tout de sa production précédente. Cet album présente trois ou quatre titres que l’on qualifiera de honky-tonk. Les huit chansons restantes se partagent entre ballades et tempos médiums. Certes il y a du remplissage mais la pedal steel guitare fonctionne bien. L’ensemble est correct mais pas vraiment indispensable dans une discothèque. 

 

Caitlin CANNON

"Love Addict" 

Caitlin Cannon est une chanteuse americana dont le vocal relativement intimiste n’est pas sans charme. Seulement la majorité de son répertoire repose sur des berceuses si lentes qu’on se demande si elle arrivera à les chanter jusqu’à la fin. Certains titres de tendance "crooner" peuvent nous évoquer Patsy Cline ou Julie London. Mais ceux-ci seraient sublimés si elles s’ils se trouvaient sur un album de Mandy Barnett. Les deux meilleures chansons sont le "patyiclinien" Let It Hurt Some et le bon petit country-rock Dr. Dealer.


 

 

Don REDMON

"Reflections"

 Don Redmon est un chanteur country originaire de Suède. Ce n’est pas un débutant puisqu’il a déjà sorti un album en 2019, assez varié en styles, avec treize compos et une reprise de Help Me Make It Through The Night. Don a débuté dans un groupe avec son père en 2001. Ce deuxième opus ne contient aucune reprise ni aucun country-rock. Il subsiste tout de même un honky-tonk. Cet album ne révolutionnera pas la country music mais il offre dix titres bien classiques où la pedal steel guitare est omniprésente. Rien d’original mais on écoute Don Redmon sans déplaisir. 

 

Kai CROWE-GETTY

"The Wreckage" 

Là on entre dans la catégorie des singer/songwriters. Kai Crowe-Getty se situerait quelque part entre Steve Earle et Towne Van Zandt mais avec un côté plus West Coast rock. Ce n’est pas ce que j’affectionne mais tentez l’écoute : ce garçon a des choses à raconter même si l’enrobage n’est pas trop entraînant. 

 

POI ROGERS

"Twilight Blues" 

Dans la grande histoire de la country music nous avons Roy Rogers, bien sûr, le roi des cowboys chantants, fondateur des Sons Of The Pioneers. Tout d’abord, d’un rapide coup d’œil sur ma liste d’albums à chroniquer j’ai cru avoir affaire à un petit fils du chanteur/acteur de western, avant de m’apercevoir qu’en fait il s’agissait de Poi et non Roy. Toujours est-il que la musique de ce Poi Rogers est délicieusement rétro avec des références western évidentes. La première surprise en lisant la bio c’est qu’on apprend qu’on a affaire à un duo entre Gerard Egan de Santa Cruz, Californie (guitariste de jazz) et, deuxième surprise, Carolyne Sills que l’on connaissait au sein du Carolyn Sills Combo. Elle est originaire de la même ville. Cette alliance nous donne un trop court album bien rafraîchissant qui nous projette sous les palmiers d’Honolulu. En effet la steel guitare a un son volontairement hawaïen. Les deux protagonistes se partagent les vocaux complétés de deux instrumentaux dont un mix des succès d’Ennio Morricone qui nous restitue le climat des films de Sergio Leone de notre jeunesse. Une excellente découverte. 

 

MICKY & THE MOTORCARS 

Erreur d’aiguillage sans doute. Le rapport avec ce groupe et la musique country est fort ténu. Le terme rock est plus approprié pour décrire la musique de cette formation. Mais au risque de me contredire je découvre que le huitième titre est une ballade bien classique qui bénéficie de l’appui d’un harmonica et d’une pedal steel guitare. Les deux morceaux qui suivent sont également fort bons et éloignés de l’aspect rock des sept titres précédents. Si Micky et ses Motorcars voulaient s’approprier le public country ils en auraient tout à fait les moyens. 

 

Robert DEITCH

"Legacy" 

Robert Deitch a quitté son Iowa natal pour chercher la gloire à Nashville comme des dizaines l’ont fait avant lui. Il a écrit des chansons pour d’autres artistes durant quinze ans, comme des centaines avant lui. Deitch a sorti deux ou trois albums solo dans l’indifférence du public et des médias… comme des milliers avant lui. C’est Nashville. C’est l’histoire de 16th Avenue comme le chantait Lacy J. Dalton. Robert Deitch nous propose dix ballades. Il n’est pas mauvais chanteur, mais il y a combien de Robert Deitch en attente à Nashville? 


 

vendredi 29 août 2025

Bluegrass & Co., par Dominique Fosse


 

Kristy COX

"Let It Burn" 

Les albums de l’Australienne Kristy Cox se suivent et se ressemblent, et il n’y a pas de raison de s’en plaindre. Jerry Salley est un peu moins présent dans ce disque. Il produit Let It Burn mais n’en a écrit que trois chansons (contre neuf pour Shades of Blue – cf. avril 2022). La plupart des titres sont des compositions originales de songwriters en vue (Lisa Shaffer, Pat McLaughlin, Honi Deaton, Josh Shilling). On retrouve quasiment les mêmes musiciens depuis plusieurs disques: les excellents Jason Roller (fiddle, guitare), Justin Moses (dobro, mandoline) et Aaron McDaris (banjo). Le seul nouveau venu est Jeff Partin (basse). Beaucoup de chanteuses bluegrass privilégient les ballades. Kristy Cox fait tout l’inverse avec cinq chansons à des tempos très rapides qui permettent à ses musiciens de montrer tout leur talent. Le swing This Side of Blue, Steady As The Rain de Dolly Parton (seule reprise de l’album – très bien chantée par Kristy), The Wrong Girl (avec d’excellents solos), l’énergique Let It Burn et Some Things Don’t Go Together sont toutes de belles réussites. Kristy et ses musiciens sont tout aussi à l’aise avec le countrygrass Broke Down In Georgia, la jolie ballade In My Dreams (coécrite par Kristy) et Sally Flatt qui reçoit un arrangement plus dépouillé. L’album souffre juste de l’uniformité des harmonies vocales qui apportent plus de volume que de couleurs aux refrains (Steady As The Rain excepté). Kristy Cox a donné quelques concerts en Europe au printemps dernier. Ceux qui ont pu l’entendre (même si c’était certainement avec des musiciens différents) ont eu de la chance. 

 


 

Andy STATMAN

"Bluegrass Tracks" 

Le nouvel album du mandoliniste Andy Statman n’a pas grand’ chose à voir avec le précédent, Monroe Bus, qui fut Cri du Cœur dans le Cri du Coyote n° 161. Son titre, Bluegrass Tracks, correspond bien à son contenu alors que Monroe Bus, malgré son titre cette fois, avait peu à voir avec le genre initié par le père du bluegrass: il s’agissait de compos de Statman dans lesquelles lui et Michael Cleveland donnaient libre cours à leur virtuosité, accompagnés par des claviers et une batterie. Pour Bluegrass Tracks, Statman a réuni un groupe bluegrass complet avec Bryan Sutton (guitare), Ron Stewart (banjo), Mike Bub (contrebasse) et Byron Berline (fiddle) dont c’est certainement l’un des derniers enregistrements. Le colosse de l’Oklahoma est décédé en 2021. Bluegrass Tracks comprend deux compositions de Monroe (Stoney Lonesome et Brown County Breakdown), deux traditionnels (Bile ‘Em Cabbage Down et Katy Hill) et huit compositions de Statman. On connait le goût de Statman pour l’impro. S’il en abuse dans Stoney Lonesome, c’est plutôt bien dans d’autres titres, Katy Hill et surtout Charleston Ramble, et il s’en abstient complètement dans les morceaux les plus lents (qui ne sont pas les plus intéressants). Il y a de belles interventions de tous les solistes et les duos de fiddle de Berline et Stewart font partie des meilleurs moments de cet album (Sycamore Street et Starday Hoedown en particulier). Tim O’Brien chante un couplet de Bile ‘Em Cabbage Down, Ricky Skaggs ajoute une seconde mandoline sur deux titres. Il y a un bon riff sur le blues I Wouldn’t Do It. Bluegrass Tracks est inégal mais, selon votre humeur, ce ne sont pas forcément les mêmes titres qui vous plairont à chaque écoute. 


 

 

The PO’ RAMBLIN’ BOYS

"Wanderers Like Me" 

Depuis qu’ils ont été élus "Révélation de l’année" par IBMA en 2018, les Po’ Ramblin’ Boys figurent parmi les plus en vue des jeunes groupes spécialistes du bluegrass classique (avec High Fidelity, the Kody Norris Show et Seth Mudler & Midnight Run principalement). Jereme Brown (banjo), CJ Lewandowski (mandoline) et Laura Orshaw (fiddle) jouent tous très bien, avec un son superbe, et dans le plus pur style traditionnel. Quelques solos de Josh Rinkel (guitare), moins courants dans ce contexte, s’inscrivent bien dans l’ensemble. The Po’ Ramblin’ Boys ont la chance d’avoir quatre chanteurs. Le chanteur principal est CJ Lewandowski. Une tessiture aiguë et une bonne présence rendent sa voix idéale pour ce style (Wanderers Like Me, Clouds in My Mind, The Condition of Samuel Wilder’s Will). Rinkel a un chant moins tendu, un registre un peu plus grave (The Old Santa Fe, Smokey Mountain Home). Brown est un pur tenor (Streets of Chicago). Les trois voix se complètent bien et les trios sont des modèles du genre. Ils interprètent entièrement à trois voix Lonesome Pine. J’aime moins la voix de Laura Orshaw. Elle a un style qui me semble daté. On peut considérer que c’est raccord avec la musique des Po’ Ramblin’ Boys mais je préfère nettement les titres interprétés par ses trois compagnons. Je ferai le même reproche aux Po’ Ramblin’ Boys que pour l’album précédent, Never Slow Down (avril 2022). S’il est difficile à un groupe pratiquant ce style traditionnel de montrer beaucoup d’originalité, je trouve quand même que ça manque de personnalité, d’éléments marquants. Le répertoire est pourtant en très grande partie original avec sept des dix titres signés ou cosignés par Rinkel et deux autres composés par un couple d’artistes amis (Clyde et Marie Denny), mais aucun n’a de signature particulière (Wanderers Like Me et Streets of Chicago se distinguent légèrement). La chanson qui m’apparait la plus remarquable est la seule reprise, The Condition of Samuel Wilder’s Will, un titre de Damon Black popularisé par les Osborne Brothers et qui doit beaucoup au motif de fiddle de Laura Orshaw dans la version des Po’ Ramblin’ Boys.


 

 

PITNEY MEYER

"Cherokee Pioneer" 

Un article de dix pages sur un groupe inconnu (Pitney Meyer) dans le numéro d’avril de Bluegrass Unlimited, il ne m’en a pas fallu plus, sans même vraiment lire l’article, pour commander son album. Piney Meyer est en fait un duo composé du guitariste chanteur Mo Pitney et du banjoïste John Meyer. Le temps de recevoir l’album en question, je me suis aperçu que j’avais déjà entendu Mo Pitney (bien) chanter la partie de basse du gospel Jordan dans le dernier disque de Darin & Brooke Aldridge et qu’il s’agissait d’un jeune chanteur country prometteur. De son côté, John Meyer a fait son apprentissage avec le groupe de Clay Hess et Band of Ruhks (Ronnie Bowman, Kenny Smith, Don Rigsby – pas mal !). Le moins qu’on puisse dire (écrire en l’occurrence), c’est que Cherokee Pioneer ne vaut pas dix pages d’article malgré la présence de bons musiciens (Nate Burie, mandoline; Jenee Fleenor et Ivy Phillips, fiddles). Deux titres lents sont très bien chantés par Pitney, le nostalgique White Corn Graves avec un arrangement presque réduit à la guitare et au fiddle, et Blue Water. J’aime aussi la seule reprise, Seminole Wind de John Anderson avec un bon arrangement typique du bluegrass (bon solo de Burie). Dans le même style, Trail of Tears et Banjo Picker sont agréables, même si cette dernière composition emprunte vraiment beaucoup au gospel Hot Corn, Cold Corn. Pour le reste, les harmonies vocales sur les gospels Lord Sabbath et Walk in the Way ne procurent pas de grand frisson, pas plus que la voix de Pitney sur le sentimental Old Friend. Mourning Dove, un midtempo bluesy beaucoup trop classique et je ne trouve pas les harmonies sixties de Bear Creek City réussies. Une moitié d’album sympa, ça ne valait pas plus de trois pages. 


 

 

MEAN MARY

"Woman Creature (Portrait of a Woman, Part 2)" 

Mean Mary est une artiste singulière, surtout connue comme banjoïste (c’est avec un banjo qu’elle pose le plus souvent, notamment sur la pochette de Woman Creature). C’est en fait une talentueuse multi-instrumentiste, chanteuse, auteur-compositrice et même romancière. Woman Creature doit être son dixième album. Les deux premières chansons sont sombres, voire inquiétantes, une atmosphère créée par les percussions et les chœurs dans Revenge, et par un banjo entêtant dans Woman Creature, chanson dans laquelle Mary fait rimer coyote et Don Quichotte (ce qui nous réjouit). Dans le même genre presque glauque, l’épique Murder Creek me rappelle Ode to Billie Joe. C’est une murder ballad revisitée, longue de 8 minutes, bien arrangée avec un banjo qui émerge dans une rythmique presque rock. Il y a des influences irlandaises dans l’instrumental Sweet SpringMary double fiddle et banjo 6 cordes (en duo sur une partie du morceau) et dans son chant scandé dans Oh Jane où elle joue un picking de banjo proche de ce que peut faire Jens Krüger. Mr What a Catch I Am associe rythmique caribéenne et chœurs dans le style de Johnny Clegg & Savuka. Mary passe au flamenco pour Portrait of a Woman avec encore un jeu de banjo original. Les trois autres chansons sont moins intéressantes, plus convenues, encore que le banjo et la guitare électrique s’entrecroisent habilement dans la valse Frozen Strings. Mary James (c’est le vrai nom de Mean Mary) a tout écrit ou coécrit. Elle a une large palette vocale qui lui permet d’être à l’aise dans tous les genres qu’elle aborde. Une artiste très originale qui mérite d’être découverte.