lundi 13 octobre 2025

Du Côté de Chez Sam, par Sam Pierre

 

Ralph McTELL & Dave PEGG

"The Old Pals Act" 

J'avais chroniqué récemment dans la rubrique Disqu'Airs l'enregistrement public des GPs datant de 1981. Plus de quarante ans après, en novembre 2024, deux des membres de ce supergroupe du folk anglais, Ralph McTell et Dave Pegg ont enregistré un album au cours de divers concerts de la tournée The Old Pals Act (un nom qui avait été donné aux régiments qui s'étaient formés au début de la première guerre mondiale à partir de groupes sociaux déjà constitués, dans des mines ou des usines, des bureaux et des entreprises et même des théâtres). Ils nous proposent treize compositions de Ralph, ainsi que One Too Many Mornings de Bob Dylan et Pretty Boy Floyd de Woody Guthrie. Ralph chante, joues des guitares six et douze cordes et de l'harmonica. Dave joue ukulélé basse, mandoline et bouzouki des Ozark tout en assurant les harmonies vocales. Que dire de cet album, si ce n'est que c'est beau comme un concert de Ralph McTell dont la voix chaude n'a pas changé (il a eu 80 ans juste après ces concerts, en décembre). Dave Pegg ajoute une dimension supplémentaire aux compositions, dont on connaît la qualité intrinsèque, en faisant sonner ses cordes comme lui seul sait le faire. Écoutez notamment Pretty Boy Floyd dont l'interprétation ne ressemble à aucune autre. Mais cela est valable pour les autres titres comme Sweet Mystery, From Clare To Here, The Girl From The Hiring Fair, Zimmerman Blues, Let Me Down Easy ou encore le superbe Somewhere Down The Road sur lequel les deux vieux potes prennent congé.


 

 

Tim GRIMM

"Bones Of Trees" 

Si Tim Grimm ne figure pas au panthéon des songwriters américains, ce Bones Of Trees démontre qu'il mériterait d'y occuper mieux qu'un strapontin. Ce doit être au moins le cinquième de ses albums que je chronique pour Le Cri du Coyote, ce qui ne représente pas le tiers de sa discographie solo entamée en l'an 2000 avec Heart Land. S'il a consacré une partie de son œuvre à la vie rurale, à sa vie au milieu des forêts de l'Indiana, il fait partie de ces trop rares artistes dont la guitare fait encore la chasse aux fascistes et aux guerres, sans relâche. Parmi ses influences figurent Bob Dylan, John Prine et Tom Paxton (cf. l'album Thank You Tom Paxton paru en 2011) mais aussi Woody Guthrie. En 2016, alors que la menace Trump se profilait, il avait écrit Woody's Landlord dont il avait publié une version familiale avec son épouse aux harmonies et ses fils au banjo et à la basse. Il a actualisé cette composition, devenue Woody's Landlord Revisited, avec cette fois Mark "Sergio" Webb à la guitare électrique. Chacun sait que ce landlord s'appelait Fred Trump et l'on sourit à l'idée, suggérée par le songwriter, de Donald et Arlo jouant ensemble dans le bac à sable. Woody Guthrie est également présent en filigrane sur In The U.S.A. dont le dernier couplet reprend les mots de Blowing Down That Old Dusty Road (Going Down The Road Feelin' Bad), non sans évoquer aussi Bob Dylan avec ces mots: ""Are we just a pawn in this game". Pour Hunting Shack, l'hommage musical à Johnny Cash & The Tennessee Three est évident et donne une nouvelle occasion à Sergio Webb de démontrer son savoir-faire. Il est d'ailleurs (à part Tim évidemment) le seul élément permanent sur tous les titres, aux guitares, au dobro, au mandocello ou au banjo. Pour ce qui est des compositions, en dehors des titres politiques (à ceux déjà cités, il faut ajouter Broken Truth), il y a des titres dont l'inspiration est plus personnelle: Gettin' Older (dont le seul énoncé indique le sujet), Bow And Arrow, Up In The Attic et une chanson qui se distingue par son orchestration celtique, Mists Of Ennistymon. Tim y évoque un certain Patrick Shannon, venu du Comté de Clare, en Irlande pour débarquer sur l'île de Cap Breton, au Canada, et qui n'est autre que son trisaïeul. À côté de ses compositions, Tim chante deux reprises. La première, Christmas In The Trenches (avec Sergio au mandocello) de John McCutcheon, est tout à fait dans la lignée de ses propres compositions. La seconde est plus surprenante à priori puis qu'il s'agit d'une chanson de Susan Werner (qui compose et s'accompagne au piano), Barbed Wire Boys, où Sergio Webb fait merveille au dobro. Et comme il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte, Tim Grimm termine avec le très poétique Hadley's Banjo qui est en fait un hommage appuyé à Sergio Webb, citant notamment Richard Dobson et Pinto Bennett pour qui il avait officié. Tim Grimm vient d'avoir 65 ans et il n'a jamais été meilleur, héritier légitime des grands disparus que sont John Prine et David Olney, avec qui il a beaucoup de points communs. 


 

 

Ed DUPAS

"Codename California" 

Ed Dupas n'est pas seulement un singer-songwriter américain de plus. Ses productions discographiques ne sont pas nombreuses et avant Codename California, il n'avait publié que trois albums: A Good American Life (2015), Tennessee Night (2017) et The Lonesome Side Of Town (2019). J'avais écrit, à propos de ce dernier disque (Le Cri du Coyote n°163): "un disque vivement conseillé à qui n'aurait pas envie de suivre Sturgill Simpson dans ses aventures électriques". Depuis, Sturgill a débranché ses guitares et changé de nom et, après six ans de silence, Ed est de retour. C'est en 2019, après la mort de son père, que le songwriter, né à Houston et établi dans le Michigan après avoir grandi à Winnipeg, a appris que ses parents avaient quitté la Californie en 1971 alors que sa mère était enceinte de quatre mois. Ces six années ont été pour Ed celles de la remise en question. Il avait l'impression que, sur son dernier album, sa voix n'était pas la sienne, que ses compositions lui étaient étrangères. En pleine période de COVID a germé en lui l'idée d'un album avec pour thème central la Californie ou plutôt dont la Californie serait comme le Point Omega de Teilhard de Chardin (c'est Ed Dupas qui le dit). Au cours d'un séjour à Los Angeles, notre homme s'est imprégné de l'ambiance des lieux, notamment à Laurel Canyon où beaucoup de choses ont commencé dans les années 1960. Ces neuf mois précédant son retour dans le Michigan ont permis à Ed de redécouvrir sa voix musicale, de se reconnecter à l'authenticité dont il s'était éloigné, de se replacer, comme il le dit, dans l'œil du cyclone, le seul endroit où la paix est possible. Codename California est un album de dix chansons, toutes de sa plume, dont le son est moins country que sur les précédents, tendant davantage vers le folk-rock que l'on aimait entendre à la charnière des sixties et des seventies. La voix est claire, les textes sont riches et respirent la sincérité. Ed Dupas est ici accompagné du guitariste et co-producteur Michael Crittenden (qui s'est également chargé de l'enregistrement et du mixage), mais aussi, entre autres de Drew Howard et Tony Pace qui se partagent pedal steel, lap steel et dobro. Après Codename California, arrive Barbed Wire Cross avec la voix de Drew Nelson. Parmi les autres titres remarquables, il y a Box Of Lonely Men, peut-être mon favori de l'album (la chanson évoque un bar, refuge des hommes solitaires, et la barwoman dont ils sont tous un peu amoureux) mais aussi Queen Of Hearts avec la voix de Caroline Barlow, My Only One avec les cordes de Sav Madigan et Katie Lasron ou encore Holy Land, introduit par un son d'orgue liturgique et qui évoque la rencontre fortuite avec un prêtre, Father Gordon, dans un restaurant. Ed Dupas espère que nous aurons autant de plaisir à écouter cet album qu'il en a eu à le réaliser. En ce qui me concerne, c'est gagné.


 

 

Shawn CAMP

"The Ghost Of Sis Draper" 

Vous connaissez tous Shawn Camp. Non content d'être la voix principale des Earls Of Leicester, il a joué et chanté avec Ronnie Bowman, Garth Brooks, John Carter Cash, Guy Clark, Mark Collie, Paul Craft, Steve Earle, Gibson Brothers, Nanci Griffith, Kris Kristofferson, Jim Lauderdale, Ruby LovettWillie Nelson, Angaleena Presley, John Prine, Jim Rooney, Peter Rowan, Billy Joe Shaver, Philippe Cohen Solal et ses Monshine Sessions, Mac Wiseman et d'autres encore. Il a aussi coécrit un certain nombre de chansons avec Guy Clark et c'est cela qui a donné sa naissance à The Ghost Of Sis Draper. Les deux hommes avaient notamment écrit Sis Draper et The Death Of Sis Draper (Sis Draper était une joueuse de fiddle que Shawn avait connue dans l'Arkansas). Nous voici donc aujourd'hui avec quatorze titres dont Guy et Shawn avaient partagé l'écriture à l'exception de New Cut Road dû à Guy seul. Quant à Old Hillbilly Hand-Me-Down, il a été écrit à trois avec Verlon Thompson (qui chante ici des harmonies). Le disque a été enregistré en un seul jour (le 22 août 2024) avec les mêmes musiciens. Shawn (guitare et chant) est accompagné par Tim Crouch (fiddle), Chris Henry (mandoline), Jimmy Stewart (dobro), Cory Walker (banjo) et Mike Bub (basse). Disons-le tout de go, ce disque est un vrai moment de bonheur, tant la qualité des musiciens se situe au plus haut niveau. Et puis il y a la spontanéité, la qualité exceptionnelle des compositions.En ce qui concerne les chansons, je citerai en premier lieu Magnolia Wind (dont Emmylou Harris et John Prine nous avaient offert une émouvante version sur le disque-hommage This One's For Him) et The Cornmeal Waltz, mais aussi Hello Dyin' Day, Soldier's Joy 1864, Grandpa's Rovin' Ear et The Ghost Of Sis Draper, mais c'est l'ensemble qui ne peut que réjouir tout amateur de country music aux couleurs old-time et bluegrass.


 

 

Otis GIBBS

"The Trust Of Crows" 

Otis Gibbs n'avait pas publié d'album depuis Hoosier National en 2020, disque avec lequel il avait effectué un virage électrique. Dès l'introduction de Holy River Blues, le premier titre de The Trust Of Crows, son dixième album depuis 2002, on sait que la tendance va se confirmer. "Wise is the man who earns the trust of crows" (sage est l'homme qui gagne la confiance des corbeaux), assène Otis dans ce titre, et c'est un peu le fil conducteur du disque, parti d'un constat fait par le songwriter lorsqu'il est arrivé à East Nashville alors qu'il nourrissait les oiseaux, assis sur un porche. Comme pour les précédents albums, Thomm Jutz est producteur et guitariste et Lynn Williams est à la batterie. Ils sont rejoints par Dave Jacques (basse) et Finn Goodwin-Bain (orgue). Les titres s'enchaînent sans temps mort, certains plutôt paisibles (Eastside, Maybe In Memphis), d'autres plus immédiatement accrocheurs (Ditchweed), mais tous ont pour point commun un sens de l'observation du monde qui nous entoure que seul un sage peut posséder. Après un Tennessee aux accents chaleureux, presque country, c'est le très blues Mountains qui nous emporte. On retrouve la même alternance avec les titres suivants, Unloved Flower, une longue ballade rock chargée d'électricité, et Empty Spaces, un blues lent où la voix d'Otis, râpeuse et forte à la fois, se charge d'une émotion particulière. On connaît la qualité des compositions d'Otis depuis longtemps, mais cette voix est la force principale du disque. Notre homme n'a jamais semblé aussi concerné par ce qu'il chante et le dialogue permanent entre guitares et voix est aussi à mettre au crédit de Thomm Jutz qui a su maintenir au long des dix titres un parfait équilibre. Certains préfèreront sans doute un Otis Gibbs plus acoustique, dans la lignée de Woody Guthrie, comme dans ses premiers enregistrements, mais il leur sera difficile de nier qu'il a atteint de nouveaux sommets avec The Trust Of Crows. Quand les dernières notes de Drawn To Darkness retentissent et que les derniers mots sont chantés ("I'll spend my aging days earning the trust of crows" / je passerai mes vieux jours à gagner la confiance des corbeaux), on comprend que le cercle se referme et on est prêt à repartir pour un tour.


 

 

James McMURTRY

"The Black Dog And The Wandering Boy" 

James McMurtry, fils de Larry et père de Curtis, est une figure incontournable de la scène musicale du Texas. Depuis Too Long In The Wasteland (paru en 1989), il nous envoie régulièrement de ses nouvelles via un album généralement nourri au blues-rock. The Black Dog And The Wondering Boy doit être son treizième disque (dont deux live), et à défaut de nous surprendre, il nous ravit car l'homme n'a rien perdu de son énergie ni de sa verve, quand il s'agit d'écrire des textes forts. L'album commence par Laredo (une chanson de Jon Dee Graham) avec des guitares rugissantes. On se dit qu'on est plus proche duTexas de ZZ Top que de celui de Townes Van Zandt. C'est Tim Holt qui assure la plupart des parties de guitare électrique aux côtés de James qui, lui, alterne entre électrique et acoustiques (six cordes, huit cordes baryton et douze cordes). Les guitares se font plus discrètes sur South Texas Lawman où le rythme est martelé de manière lancinante par la batterie de Daren Hess (c'est Cornbread alias Michael Taylor qui assure la plupart des batteries de basse). Est-ce l'homme de loi ou James qui dit ces mots: "I used to be young, I used to be bold / I used to be strong as any man / I used to be bold, nobody bothered me / I can't stand to be old, it don't fit me"? (J'étais jeune, j'étais audacieux / J'étais aussi fort que n'importe quel homme / J'étais audacieux, personne ne m'embêtait / Je ne peux supporter d'être vieux, cela ne me convient pas). Les guitares sont de nouveau en avant pour The Color Of Night (avec un solo de Tim Holt) qui précède Pinocchio In VegasCurtis McMurtry fait une apparition (banjo et harmonies). Le violoncelle de Diane Burgess apporte une réelle fraîcheur à ce titre et au suivant, Annie. Puis vient le morceau-titre avec un solo de guitare de Cornbread, l'ambiance redevenant plus lourde avant un Back To Cœur d'Alene qui nous emmène en Idaho au son de l'orgue de Red Young. Un titre à l'atmosphère très différente, mais également l'un des plus politiques, Sons Of The Second Sons, voit la participation de Will Sexton avec un instrument turc, le cümbüs, sorte de luth à long manche similaire au banjo. Sailing Away suit, avec la guitare tremolo de Don Dixon et l'orgue de Bukka Allen, avant que l'album ne se referme sur la seconde reprise du disque, Broken Freedom Song de Kris Kristofferson. Sur ce titre, BettySoo est à la guitare acoustique et aux harmonies (elle chante sur quatre autres titres et joue même de l'accordéon sur Back To Cœur d'Alene). C'est une belle conclusion à cet excellent disque, en même temps qu'un hommage à une autre figure légendaire du Texas. Aux côtés de Bruce Sprigsteen, Steve Earle et quelques autres dont Tim Grimm et Otis Gibbs, James McMurtry continue à être une voix qui compte, une voix porte-colère dans l'Amérique de Trump. La qualité de ses textes, l'énergie communicative de ses compostions, la voix, l'absence de concessions, tout cela est intact depuis trente-six ans maintenant et, comme il l'écrit en conclusion des courtes notes insérées dans le disque, "There will be more trials". 


 

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