Tant pis pour l’actualité. Elle attendra. Priorité aux albums collectés lors du dernier festival Bluegrass in La Roche début août. Certains sont récents (l’album de Rapidgrass est sorti au moment du festival), d’autres plus anciens mais il est devenu difficile de se procurer les disques à leur sortie depuis la disparition de County Sales et CD Universe (oui, je sais, il va falloir que je me mette au téléchargement).
"Family Reunion"
Family Reunion date de 2021, époque où Maddie Witler était mandoliniste de Della Mae. Vickie Vaughn en était déjà la contrebassiste mais elle n’avait pas encore la place qui était la sienne dans les chants lors du concert de Bluegrass in La Roche. Les neuf chansons sont interprétées par Celia Woodsmith. Elle en a écrit ou coécrit six. Avec une chanteuse comme Celia c’est souvent blues (These Songs) et énergique (Ride Away) mais elle a elle se montre aussi une interprète sensible pour la valse Goodbye My Friend et la ballade bluesy Heart of My Home. The Way It Was Before, composé par Celia et Mark Erelli, est une charge concentrée en trois couplets incisifs contre les maux de la société américaine actuelle (et pourtant écrite avant la seconde élection de Donald Trump). Elle est agréablement arrangée dans un esprit old time avec le fiddle de Kimber Ludiker et Maddie Witler au banjo clawhammer. La première reprise de Family Reunion est You Don’t Have To Do That, chanson amusante de John Hartford dont Della Mae a adapté les paroles (le texte de John Hartford citait nominativement les musiciens jouant sur l’enregistrement). C’est rapide et swinguant à la fois. Dry Town est une composition de David Rawlings et Gillian Welch, joliment écrite dans le style de Johnny Cash, dont Della Mae a accéléré le tempo. Sur ce titre et la dernière reprise (la valse A Few Old Memories de Hazel Dickens) ainsi que dans quatre autres chansons, Avril Smith joue de la guitare électrique. Family Reunion s’achève par The End, composition de Celia bien rythmée par la contrebasse et arrangée de façon très originale avec beaucoup d’écho sur la voix et l’ensemble des instruments.
"Valhalla"
Pour ceux qui ne connaissent le groupe du Colorado Rapidgrass que par ses concerts avec de longues parties instrumentales, en partie improvisées, Valhalla semblera bien calme. Pas d’envolées des solistes dans ce sixième album studio. L’accent est mis sur les chansons et il n’y a que Boatin’ Down the River qui soit sur un rythme rapide auquel on associe souvent le bluegrass. Huit des dix titres ont été composés par Mike Morris, toujours très à l’aise sur des rythmiques country comme les ballades It’s Done et le joli Thinkin’ of Today qu’il chante particulièrement bien. Son phrasé dans Valhalla évoque tantôt Kris Kristofferson, tantôt Johnny Cash. Il chante Nes Gard dans le style de Willie Nelson. Rapidgrass fait constamment la promotion de la vie à la montagne mais, dans Nes Gard, la montagne rencontre la mer, parfaitement évoquée par les chœurs de marins du refrain. Ma chanson préférée est Bears are Dancing in the Forest avec un motif instrumental très réussi entre les couplets. Le mandoliniste Alex Johnstone signe et chante Yesterday’s Fire. Le swing Earn Your Turns du nouveau fiddler Andy Reiner rappelle les prestations de Gypsy Cattle Drive, l’alter ego swing de Rapidgrass. Le fiddle domine la plupart des arrangements sauf ceux de It’s Done et Thinkin’ of Today, portés par le piano de Jon Wirtz. Dans les autres titres, Rapidgrass a su parfaitement intégrer ses claviers (piano, orgue et accordéon - ou synthé - dans Colorado Mining Man) aux instruments bluegrass, comme le faisait déjà New Grass Revival à la fin des années 70.
"New Night Dawning"
Formé en 1978 par le banjoïste Silvio Ferretti, rapidement rejoint par le mandoliniste Martino Coppo, Red Wine s’est affirmé dans les années 80 comme un groupe majeur du bluegrass européen. Au vu de leur concert à Bluegrass in La Roche l’été dernier et à l’écoute de leur dernier album, New Night Dawning paru il y a un an, il l’est toujours quarante-cinq ans plus tard. Depuis plus de quinze ans, Silvio et Martino sont accompagnés par le fils de Silvio, Marco (guitare) et Lucas Belloti (basse). On retrouve le même éclectisme dans le répertoire que pour l’album précédent, Carolina Red (Le Cri du Coyote 162) avec du bluegrass typique (When Love Finds Me de Chris Olsson, ancien membre du groupe suédois G2 Bluegrass Band), du countrygrass (New Night Dawning), des influences country marquées (le boogie Liza Jane de Vince Gill arrangé comme plusieurs autres chansons avec une batterie qui justifie l’emploi de la basse électrique plutôt que la contrebasse par Lucas) et irlandaises avec l’instrumental Westport, composition de Silvio jouée dans l’esprit de la musique celtique avant une accélération du tempo qui rend le morceau caractéristique du bluegrass. L’album s’achève par Quelle Navi, une chanson en italien (avec accordéon) à propos de l’effondrement du pont de Gênes en 2018 (Red Wine est basé à Gênes). On peut regretter que So Doggone Blues de Johnny Cash soit une chanson vraiment trop simpliste, même si elle se prête bien à un arrangement bluegrass (les mauvaises langues diront que c’est parce qu’elle est simpliste qu’elle s’y prête), et que le mixage des chœurs de Woodstock (Joni Mitchell via CSN & Y) soit trop timide (c’était beaucoup mieux de ce point de vue en concert à La Roche-sur-Foron). Doléances mineures pour un bon album qui contient une excellente version de The Church Steeple, un des plus beaux titres de Tim O’Brien, avec l’auteur lui-même au violon (Tim avait déjà joué sur un précédent disque de Red Wine). J’aime aussi beaucoup Rusty Old American Dream, boogie bien rythmé par la batterie et la mandoline et chanté avec une grande aisance par Martino. Il interprète dix chansons de New Night Dawning avec la même facilité et il a écrit Blackout Laundry, un instrumental de facture classique. De son côté, Silvio chante deux de ses compositions, Sally’s Angel écrit avec Gary Ferguson, et Too Old To Cry. Les harmonies vocales sont superbes sur tout l’album et les musiciens toujours inventifs, en particulier dans Westport et Liza Jane.
UZER TRIO
"You Know Where I’m Bound"
Au mois de mai, Le Cri du Coyote vous avait présenté le EP de Shades of Night, duo composé de Marie Scheid (contrebasse) et Jean-Marc Delon (guitare, banjo). Uzer Trio est une version augmentée et bonifiée de ce duo avec l’ajout du mandoliniste Bernard Minari. You Know Where I’m Bound est leur premier EP. Il comprend six titres. Jean-Marc double guitare et banjo sur quatre morceaux (il s’était abstenu de le faire dans le disque de Shades of Night). Ceux qui me semblent les plus intéressants sont les deux compositions. La chanson qui donne son titre à l’album a été coécrite par Jean-Marc. Elle est originale par le contraste inhabituel entre le tempo très rapide et l’absence de tension dans le chant, Jean-Marc ne chantant pas en haut de sa tessiture, ce qui est habituellement la règle en bluegrass. L’autre composition est Blue Grasshopper, un bon instrumental de Bernard dans lequel il n’y a pas de guitare. Les solos et le duo banjo-mandoline sont excellents. Jean-Marc chante aussi Six Feet Under the Ground de Bill Monroe et On the Lonesome Wind de Ronnie McCoury. Marie interprète très joliment le classique Tennessee Waltz et Callin’ Baton Rouge, chanson popularisée par New Grass Revival et Garth Brooks. Uzer Trio reprend intelligemment la structure de l’arrangement de NGR mais sans banjo. You Know Where I’m Bound est une belle carte de visite pour le trio.
"The Travellin’ Show"
Sur scène, Sunshine in Ohio se réduit parfois au duo composé par Johnny Sunshine (guitare, contrebasse) et Lorain Ohio (contrebasse, mandoline) mais, dès qu’il en a la possibilité, il s’étoffe considérablement. Ils étaient sept sur scène à Bluegrass in La Roche cet été. Ils sont huit pour The Travellin’ Show, troisième album du groupe grenoblois qui joue tous les étés dans des refuges de montagne, gravissant les pentes avec armes et bagages, les armes étant des instruments de musique (contrebasse comprise). Les tournées les emmènent aussi à l’étranger et viennent enrichir le bluegrass, le blues et le folk qui sont à la base de leur inspiration. C’est ainsi qu’ils reprennent The Rocky Road to Dublin et que le violon se fait oriental pour Sandmen. Goodbye Song est jazzy. Pour Red Molly, Sunshine in Ohio s’est inspiré d’un titre du chanteur anglais Richard Thompson (1952 Vincent Black Lightning). J’aime beaucoup la ballade Rollin’ Train avec un joli accompagnement de guitare. Il y a beaucoup de travail sur les arrangements sans qu’ils soient jamais chargés malgré le nombre de musiciens (les cordes de Settle Down, le duo de violons de Johnny When Are You Coming Home?). Tous les musiciens chantent bien ce qui permet une grande variété en lead et surtout pour les harmonies vocales et les chœurs (If I Was, Settle Down). Les chansons de The Travellin’ Show constituent un spectacle. À part Mountain Dew qui a davantage sa place sur scène, Sunshine in Ohio a su en faire un album très convaincant.








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