"Weather The Storm"
Marisa Yeaman est australienne, a partagé la scène avec quelques-uns des plus grands (Tom Russell ou Chris Smither par exemple), a traversé les océans pour trouver une terre d'accueil aux Pays-Bas avant de trouver refuge dans un village français, près de Semur-en-Auxois, jolie petite ville de Bourgogne. Elle a publié trois albums, Pure Motive (2006), Roadmap Heart (2008) et Voices From The Underground (2012), démontrant qu'elle est une autrice-compositrice qui compte, entre folk et rock, blues et jazz. Elle est également plasticienne et a publié un premier livre en 2019. Si elle ne s'est jamais éloignée de la musique, il a fallu attendre treize ans pour son quatrième opus, Weather The Storm qui comble celles et ceux qui l'ont attendu pendant tout ce temps. Elle n'a pas oublié ses attaches musicales néerlandaises, et on ne peut que lui donner raison quand on sait que c'est l'excellent Bart-Jan "BJ" Baartmans (bien connu des fans de Iain Matthews et de Matthews Southern Comfort) qui a été chargé de la mise en son de l'album (en plus de la production, il joue toute une ribambelle d'instruments: guitares acoustiques, électriques et 12-cordes, mandoline, dobro, guitare baryton, bouzouki, piano, basse, sitar électrique, harmonica blues, plus quelques harmonies vocales). Les autres musiciens viennent aussi du pays des tulipes et de Van Gogh (que je ne cite pas par hasard car Marisa avait été chargée de composer une chanson pour le musée consacré au peintre à Amsterdam): Rob Gaboers aux claviers divers et à l'accordéon), Tim Baartmans (guitares basses), Sjoerd Van Bommel (batterie et percussions) et Marie-José Sonneveld Didderen (violoncelle). Marisa se charge du reste, armée de ses guitares acoustiques, elle chante (fort bien) les onze titres qu'elle a écrits et composés. Quelques notes de guitare acoustique, une voix qui scande one, two, et c'est parti pour Love Is The Gold, une ode à la vie et la nature de toute beauté. La voix est pleine de sensibilité (avec celle de BJ qui répond sur le refrain), les arrangements au rythme chaloupé sont pleins de finesse et mettent pleinement en valeur la composition. Le titre suivant, Mansion On The Hill (au texte très émouvant, à propos de la maladie d'une personne chère) met en valeur Rob Gaboers à l'orgue Hammond B3 et l'on sait dès lors qu'on a affaire à un disque parmi ceux qui vont compter en cet automne. The Distance est autobiographique et montre que le choix de Marisa de vivre désormais dans un autre fuseau horaire, pas loin de Paris, ne l'empêche pas de penser à ceux qu'elle a laissés aux antipodes, concluant ainsi: "So think of me when the sun fades, you know I'm not really that far away and the distance could never keep us apart" ("Pensez à moi quand le soleil se souche, vous savez que je ne suis pas vraiment si loin et que la distance ne pourrait jamais nous séparer"). On retrouve aussi le thème de l'éloignement dans Innocent Beauty, un peu plus loin. Je ne vais pas entrer dans le détail de tous les titres qui sont pour la plupart sur un tempo modéré, avec parfois une orchestration plus rock (It's A Long Road, Hold On To Me). Je citerai quand même le bien beau Vermeer's Cloud (auquel le violoncelle et la mandoline confèrent une dimension presque visuelle), preuve de l'attachement de Marisa au pays d'Europe qui l'a accueillie, Weather The Storm, un véritable plaidoyer pour une vie où la gentillesse et l'amour sont les meilleures armes pour affronter la tempête, ou encore The War Is Raw. Le disque se termine par un autre moment de grande beauté (avec harmonica et dobro en évidence), Born Innocent ("Nous sommes tous né innocents dans ce monde, nous sommes tous du même sang") qui ferme la boucle en renvoyant à Love Is The Gold où Marisa chantait: "Le cœur humain est né innocent, pourquoi ne le voyons nos pas?". Achetez ce disque qui est pour moi l'un des tous meilleurs du moment. Et surtout, lisez le livret (à défaut, consultez les paroles sur Bandcamp) et vous comprendrez comme moi que Marisa, remarquable chanteuse folk, avec ce qu'il faut de blues dans sa voix, compose et écrit comme peu savent le faire et conclut ses notes de pochette par ce souhait: "May love learn to raise it's voice louder than hate" ("Puisse l'amour élever sa voix plus fort que la haine").
"Unentitled"
Le 9 novembre 2006, lors d'un concert organisé par Hervé Oudet et Acoustic In pAris, ce dernier m'avait remis un disque de John Gorka que je ne connaissais pas encore. Dix-neuf ans plus tard, à deux jours près, John donnait son premier concert en France, à l'initiative du même Hervé. L'homme a quinze albums en solo à son actif, auxquels il faut ajouter celui qu'il a publié sous le nom de Red Horse avec Eliza Gilkyson et Lucy Kaplansky. Dix-neuf ans que j'écoute ce songwriter du New Jersey (qui vit dans le Minnesota), dix-neuf ans sans l'ombre d'une déception. Unentitled est son nouvel opus, riche de dix compositions originales dont une, (Particle & Wave) figure en deux versions et de Harris And The Mare, chansons du regretté Stan Rogers dont on ne louera jamais assez la qualité de l'œuvre, hélas trop vite interrompue. John nous invite, de sa voix chaude et légèrement éraillée, à parcourir ces chemins musicaux que lui seul connaît. Favorite Place, A Light Exists In The Spring, First Snow On The Mountain, Welcome Home, ces titres parlent d'eux-mêmes. Il y a aussi No Time To Cry, Give Us Back Our Water ou encore Hope Doesn't Fall dont les mélodies finement ciselées nous emplissent de bien-être. Si John Gorka est très convaincant seul avec sa voix et sa guitare acoustique, il sait aussi bien s'entourer. JT Bates (batterie et percussion), Dirk Freymuth (guiares électriques), Rob Genadek (production et programmation de la batterie), Don Richmond (Weissenborn et mandoline), Joel Sayles et Enrique Toussaint (basses), Jeff Victor (claviers divers) et Russ Rentler (mandoline) sont les partenaires pour cet album. Il y a aussi les voix d'Elisa Gikyson, Lucy Kaplansky, Kathleen & Rhonda Johnson, Alice Pecock et Don Richmond qui complètent le casting. John Gorka a séduit le public du Café du Village à Paris, le 11 novembre, et nombreux sont les spectateurs qui sont partis, Unentitled à la main et le sourire aux lèvres.
"The Blue Rock Session"
Amy Speace n'est pas nouvelle dans notre paysage même si elle n'a pas souvent l'honneur des gazettes. Je me rappelle cependant avoir chroniqué en 2016 le disque sans titre du trio Applewood Road qu'elle formait avec Emily Baker et Amber Rubarth, le qualifiant de pur délice (Le Cri du Coyote n°148). Actrice shakespearienne de formation, Amy, originaire de Baltimore, MD, et établie à Nashville, TN, est loin d'être une novice puisqu'elle a publié dix LP et deux EP de Space en 2002 à The American Dream en 2024. En juillet 2025, elle était en résidence pour une semaine d'écriture au Blue Rock Ranch & Studio à Wimberley, TX. Le lieu a inspiré Amy puisqu'à la fin de la semaine elle avait écrit six nouvelles chansons, guidée par le seul plaisir d'écrire, sans objectif de disque à publier. Bénéficiant aussi de quelques heures de studio avec un ingénieur du son, elle décida, armée de sa Gibson J-45 de 1956, d'enregistrer ses nouvelles compositions, y ajoutant quelques anciennes et, en trois heures, onze titres étaient en boîte, en une ou deux prises, à l'ancienne, dans une configuration proche de celle qui est la sienne sur scène ou elle est souvent seule avec sa guitare ou son piano. Cette session permet de constater qu'Amy est une véritable chanteuse folk, avec une voix qui n'est pas sans rappeler Joan Baez ou Judy Collins. Cela a d'ailleurs été un handicap pour elle à ses débuts alors que, paradoxalement, c'est Judy qui l'a signée sur son propre label après l'avoir entendue en 2005. The Blue Rock Session présente donc onze titres. Certaines chansons sont nouvelles: On A Monday In London, God Came To Me, In This Home, Dream Of The Hawk, Out Of The Blue, I Found A Halo (qu'Amy avait commencé à écrire en 2016 avec Robby Hecht), The Mother. Weight Of The World (coécrit avec Jud Caswell et Jon Vezner) avait été enregistré par Judy Collins sur son album Paradise mais Amy ne l'avait publié qu'en titre caché sur The Killer In Me. The Sea And The Shore (coécrit avec Robby Hecht) était paru sous forme de duo (superbe) avec John Fullbright sur How To Sleep In A Stormy Deep. Les deux derniers titres avaient été publiés sur Me And The Ghost Of Charlemagne en 2019. il s'agit de Both Feet On The Ground et Kindness, une composition de Ben Glover. Ce disque inattendu et spontané est un véritable moment de plaisir, j'aurais pu dire même un pur délice, si je n'avais déjà employé ce qualificatif pour Appleweed Road. Amy Speace écrit des chansons poétiques, avec des textes inspirants et des mélodies qui accrochent. Elle les chante aussi à merveille, en toute simplicité. Que demander de plus?
"Mount Olive"
Cela faisait plus de six ans que Tom Russell était silencieux, depuis October In The Railroad Earth. Il revient avec un nouveau disque Mount Olive qui pourrait être un peu frustrant dans la mesure où il ne comporte que huit titres et dure moins de vingt-cinq minutes. Le côté positif est que l'on peut l'écouter deux fois de suite, voire plus, tellement la qualité est au rendez-vous. Le disque est co-produit par Tom Russell et Mark Hallman. Ce dernier joue de la guitare, de la basse, des claviers, de l'harmonica et chante les chœurs. Avec Bill Kirchen à la guitare, Jack Saunders à la basse et Rick Richards à la batterie, cela ressemble à une dream team à laquelle s'ajoutent Jacqui Sharkey (voix sur Into The Wild) et Josh Baca (accordéon sur Salt On The Rim et Where The Cows Turn Their Backs To The Wind. La voix de Tom n'a pas changé avec les années et son sens de la mélodie est toujours aussi imparable, sans artifice. Pour paraphraser, je dirai qu'il y a juste trois accords et la vérité, celle qui est née des années passées sur la route, celle qui fleure bon la poussière et le soleil du sud des États-Unis (même si Mount Olive est dans l'Illinois). Le premier titre, I Grew Up On Western Movies, aux accents autobiographiques et à la mélodie familière, donne le ton. 1946 Martin D-18, Where The Cows Turn Their Backs To The Wind et Kindred Spirits (The Choctaw Song) confirment que Tom peint aussi bien avec les mots qu'avec un pinceau et, en fermant les yeux, on voit se dérouler le film des chansons en même temps qu'on les entend. Le valsant Into The Wild et le tex-mex Salt On The Rim ont ma préférence, mais les deux titres que je n'ai pas cités, Landed On Your Feet Again (avec une belle partie d'harmonica de Mark Hallman) et Mount Olive (mi-parlé, mi-chanté) ne déparent nullement l'ensemble. Mount Olive est un disque à consommer sans modération, en espérant qu'il ne faudra pas attendre un lustre pour le suivant.
Various Artists
"It's All Her Fault - A Tribute To Cindy Walker"
Eddie Clendening est le producteur, Deke Dickerson l'ingénieur du son et Grey DeLisle la productrice exécutive de cet hommage à Cindy Walker dont tout le monde connaît les chansons sans toujours savoir qu'elle les a écrites ou coécrites. Le casting (pour le chant), est exclusivement féminin: Katie Shore, Summer Dean, Kimmi Bitter, Amythist Kiah, Mozzy Dee, Rosie Flores, Kelly Willis, Brennen Leigh & Grey DeLisle, Melissa Carper, Mandy Barnett, Gail Davies, Jolie Holland, Ginny Mac se partagent le privilège d'interpréter des titres qui évoqueront beaucoup pour les amateurs de western swing, de Bob Wills à Asleep At The Wheel, mais pas seulement. Au rang des interprètes des chansons de Cindy, on compte aussi les Byrds, Johnny Cash, Ray Charles, The Cherokee Maiden (nommées d'après le titre d'une chanson de Cindy), Kathy Chiavola, J.D. Crowe & The New South, The Flying Burrito Bros, Merle Haggard, Emmylou Harris, Terri Hendrix, Waylon Jennings, Johnnie & Jack, George Jones, Caleb Klauder, Jerry Lee Lewis, Don McLean, Manfred Mann, Kathy Moffatt, Michael Nesmith, Old 97's, Roy Orbison, The Osborne Brothers, Webb Pierce, Elvis Presley, Ray Price, John Prine & Mac Wiseman, Marty Robbins, Junior Sisk, Ricky Skaggs, Teddy Thompson, The Time Jumpers, The Wainwright Sisters, Dareel Webb et même les Français de Westbound. La liste est longue mais ce n'est qu'une sélection. Willie Nelson lui a consacré un album entier (You Don' Know Me: The Songs of Cindy Walker) paru en 2006, neuf jours avant le décès de Cindy. Je ne vais pas vous citer toutes les compositions de cette grande dame qui ont fait le succès de leurs interprètes, mais juste quelques-unes présentes sur cet album: You're From Texas, Don't Talk To Me About Men, It's All Your Fault, You Don't Know Me, I Don't Care, Take Me In Your Arms, Dream Baby (How Long Must I Dream), The Warm Red Wine, Don't Be Ashamed Of Your Age. Cela suffit à faire comprendre que It's All Her Fault n'est pas seulement un disque hommage de plus, c'est véritablement une page d'histoire de la musique américaine, texane en particulier, du vingtième siècle.








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