mardi 7 février 2023

L'Art (selon) Romain par Romain Decoret

 

Eric BIBB

"Ridin’" (DixieFrog)

Le temps a changé le jeune fils du chanteur Leon Bibb et neveu du pianiste John Lewis du Modern Jazz Quartet, en un patriarche musical semblable à son proche ami Taj Mahal. Pour son 36ème album, Bibb aborde le thème de la famille et de ses racines profondes. Il s’attache aussi à l’amitié dans un monde divisé, sur une planète toxique où il faut tout réapprendre. Ainsi The Ballad Of John Howard Griffin est dédié au livre Dans la peau d’un noir dont l’auteur blanc, maquillé en black, a vécu longtemps de cette manière. La couverture du disque est inspirée d’un tableau d’Eastman Johnson en 1862 au début de la guerre de Sécession qui représentait un blanc chevauchant vers la guerre. De nombreux invités sont présents : Taj Mahal et le jeune Jontavio Willis dans Blues Funky Like Dat, Harrison Kennedy des Chairmen Of The Board sur Call me By My Name, Russell Malone avec Hold The Line. Amar Sandy joue dans le style d’Albert Collins sur I Got My Own et Habib Koité tient la Kora dans Free. Le fingerpicking d’Eric Bibb sur sa guitare acoustique Fylde est cristallin dans le standard folk 500 Miles. Il sera en tournée en France au mois d’avril avec le Ridin’ Tour… (Romain Decoret

 

TOWN MOUNTAIN

"Lines In The Levee" (New West)

Ce jeune groupe de bluegrass a été formé en Caroline du Nord en 2010, dans la légendaire cité d’Asheville, par le guitariste Robert Greer, le banjoïste Jesse Langlais et le mandoliniste Phil Barker. En route, ils ajoutèrent Zach Smith à la contrebasse et le virtuose du fiddle Bobby Britt. Leur nouveau disque est basé sur le retour au premier plan du violon dans la musique commerciale de Nashville. Par exemple, la violoniste de studio du A-Team actuel est Jenee Fleenor qui travaille en équipe avec Brent Mason, Paul Franklin ou Derek Wells. Town Mountain accentue ce retour du fiddle qui, depuis la disparition du Western Swing et de Bob Wills & The Texas Playboys, n’était plus un instrument de leader. En cela, ils rejoignent Sturgill Simpson ou des groupes comme Old Crow Medicine Show. Ils ont d’ailleurs récemment recruté Miles Miller, batteur de Sturgill Simpson, un signe de bousculade des clichés car, traditionnellement, les bluegrass bands n’ont pas de batteur. Mais Town Mountain n’hésite pas à évoluer en mixant le honky tonk (Comeback Kid) et la folk au bluegrass ou au power-rock comme Firebound Road. Ils savent revenir au trad avec Unsung Heroes ou au topical songwriting façon Dylan ou Phil Ochs dans le superbe Daydream Quarantina, un rêve éveillé pendant un des nombreux confinements… (Romain Decoret)

 

PEARLS BEFORE SWINE

"The Wizard Of Is" (Earth Records)

Attention, chef d’œuvre culte collector! Dans le domaine du folk acoustique, les fans se souviennent encore de ce groupe exceptionnel dont les couvertures de disques étaient des tableaux de Hyeronymus Bosch (Le jardin des délices terrestres) ou autres. Oublions le nom biblique du groupe, il s’agissait en fait de Tom Rapp, un ami d’enfance de Bob Dylan dans le Minnesota. Les deux débutants participèrent à un concours et furent battus par une pom pom girl de 7 ans qui sut ravir l’audience en faisant tournoyer son bâton. Dylan devint qui l’on sait et Tom Rapp fut un grand raconteur, attirant magnétiquement avec Pearls Before Swine une audience underground accro pour la vie. Ce nouveau disque a été compilé par le musicologue Pat Thomas qui eut accès aux archives personnelles du regretté Tom Rapp, décédé en 2018. Des musiciens tels que David Bromberg ou Charlie McCoy illuminent les originaux Crawling Towards Bethlehem, Miss Morse et The Lincoln Dream. En bonus des reprises inédites, For Free de Joni Mitchell, Suzanne de Leonard Cohen et Oh Sister de Dylan qui sonnent comme des originaux, tant elles sont habitées. Ce double vinyle est une vision claire d’un esprit créatif, sonnets, hymnes spatiaux (Rocket Man inspira Bernie Taupin & Elton John). Une fantaisie folk gothique qui chevauche le rêve de Lincoln au-delà de la stratosphère. Une mine d’or de possibilités pour un prospecteur à la langue d’argent et d’innombrables histoires à raconter. Ne le manquez pas. (Romain Decoret)

 

Margo PRICE

"Strays" (Loma Vista )

Cette chanteuse de country a été produite par Jack White pour son premier disque en 2016. Trois albums plus tard, elle confirme avec Strays, produit par Jonathan Wilson. Autrice accomplie, son autobiographie Maybe We ‘ll Make It a fait de Willie Nelson l’un de ses premiers fans. Elle a l’expérience d’un long parcours dans la jungle nashvillienne ce qui résulte en un country acoustique explosif sur Been To The Mountain, power-blues avec Change Of Heart. Mike Campbell, guitariste du regretté Tom Petty et des Dirty Knows rejoint Margo Price sur Light Me Up. Elle duette aussi avec Sharon Van Hetten dans Radio. Le grand moment du disque est en solo. Seule avec sa guitare acoustique et une section de cordes violons, violoncelles, alto, Margo chante sa composition personnelle Lydia, longue ballade acoustique qui évoque l’errance d’une femme à l’abandon, les démons de l’alcool et de la drogue, des hommes et des pouvoirs occultes qui ne disent jamais leurs noms. Surnommée the next big star of country music Margo Price s’est vu décerner un American Music Prize et trois Americana Music Honors Awards. (Romain Decoret)

 

EDDIE 9V

"Capricorn" (Ruf Records)

Pour son troisième disque, Eddie 9V (Brooks Mason de son vrai nom), guitariste-chanteur d’Atlanta revisite les légendaires studio Capricorn de Macon, Georgia. C’était évidemment le territoire traditionnel des Allman Brothers et d’une section rythmique maison avec Johnny Sandlin, Paul Hornsby et Pops Powell pour accompagner Charlie Daniels, Percy Sledge, Delbert McClinton, Johnny Jenkins, les Dixie Dregs, Wet Willie ou Bonnie Bramlett. Eddie 9V, qui a 26 ans est particulièrement attiré par le fait que peu de choses ont changé dans le positionnement des musiciens dans l’espace du studio, ni dans la cabine de contrôle avec un son analogique d’une chaleur bien personnelle. Il a choisi des musiciens locaux : Dusty McCook à la lead, Lane Kelly à la basse, Chad Mason au piano et une section de cuivres explosive. Yella Alligator joue sur le contraste entre la guitare slide et des cuivres New Orleans. Beg, Borrow & Steal est purement soul-music alors que le shuffle de ‘Bout To Make Me Leave Home et It’s Goin’ Down est du pur blues de Macon. Là encore le contraste entre le backwood porch blues et les cuivres est remarquable. Are We Through est gospel, comme Mary Don’t You Weep. Seule reprise du disque: Down Along The Cove de Bob Dylan, joué en blues-rock. Eddie 9V avait déjà exploré les studios de Memphis avec Left My Soul In Memphis (2019) et Chicago dans Little Black Flies. Atlanta, Macon… Muscle Shoals n’est pas loin! (Romain Decoret

 

Dyer DAVIS

"Dog Bites Back" (Wild Roots Records)

Il a 23 ans et vient de Floride. Dyer Davis avait d’abord enregistré avec Lucky Peterson aux claviers. Le producteur Billy Chapin (Don Henley, Sister Hazel) et Stephen Dees ont écrit et produit pour lui ce nouveau disque. La principale influence de Dyer Davis est le Jeff Beck Group avec Rod Stewart au chant. Sa voix est très proche de celle de Stewart et il l’utilise au maximum dans Let Me Love You et surtout dans sa compo personnelle remarquable Wind Is Gonna Change, dans laquelle il joue en slide acoustique à la Jeff Beck pour accompagner ses propres vocaux Stewartiens. Mais il sait également sonner metal, avec des solos tournoyants comme sur Don’t Tell My Mother ou Train Wreck de Billy Chapin et Stephen Dees, quelque part entre Motörhead et les Pretty Things. Il fait appel à Stan Lynch, batteur des Heartbreakers, pour Angels Get The Blues qui détourne Angels In Houston de Dr Clayton et Larry Davis. Un nouveau venu avec lequel il faudra compter… (Romain Decoret

 

Lex GRAY and the URBAN PIONEERS

"How Many Roads" (Man’s Ruin Records)

Depuis que l’élément féminin a jeté les lois saliques dans les corbeilles à papier de l’histoire, le nouveau kit identitaire des guitaristes-chanteuses est toujours le même : jeunesse obligatoire et de rigueur, soutien peu fiable du label à long terme et superficialité affichée. Je me suis toujours demandé ce qui arrivait après la phase initiale et comment l’artiste peut aborder la trentaine et la maturité. Lex Gray représente bien cette seconde ou troisième phase, avec ses singularités personnelles. Elle en est à son 8ème album et a un peu plus que de la simple expérience. Elle a fondé les Urban Pioneers avec Vic Mix Deyglio (Guns ’n’ Roses, Lena Horne, Spin Doctors) et a écumé Lower Manhattan, Brooklyn et NYC, jouant du blues pour les bikers et du power-rock pour les New Yorkais. Voix puissante mais confidentielle, entre Etta James et Amy Winehouse, Robert Plant et Tom Waits. Elle est aussi prof de yoga certifiée, a été designer pour le Pee Wee Herman TV Show, psychique au téléphone, actrice dans les films B, conférencière, historienne et star du burlesque. Dans ce disque, elle emmène sa Telecaster dans le blues-rock de Biker Down, la country-music de Begin Again, le protest-song de You Confine Me et le down-home blues de Ain’t From Mississippi. Captée dans le studio Bigger Pink dans les Catskill, un 8ème disque pour une colt-rock diva que l’on aimerait voir en France… (Romain Decoret

 

Bonus: Vinyl Collector

Scotty MOORE

"The Guitar that Changed The World" (Epic, 1964)

Plus qu’un collector, ce disque est une clé qui explique le parcours extraordinaire de Scott Winfield Moore. Tous les grands guitaristes que j’ai eu la chance d’interviewer le possèdent et le considèrent comme une influence: Jimmy Page y a trouvé l’association rythmique acoustique / lead électrique ultime. Le regretté Jeff Beck a été marqué par l’utilisation des effets sur Milk Cow Blues qu’il transcrivit ensuite chez les Yardbirds avec Heart Full Of Soul et Shapes of Things. Rory Gallagher était intarissable sur son album favori. Enfin, Keith Richards (que je n’ai PAS interviewé) ne s’est jamais remis de la rythmique acoustique jouée par Elvis Presley sur une Martin D-18 dans Mystery Train, avec le solo joué par Scotty Moore sur une Gibson L5 CES blonde et un ampli Echosonic de Ray Butts. Mais la genèse du disque remonte plus haut et commence par le départ d’Elvis pour l’ US Army. Des tragédies d’Aristote dans le top 10 et le Bill Black Combo A la fin de 1958, les revenus totaux de Scotty étaient de 2 322 $ et ceux de Bill Black étaient du même ordre. Le Colonel Parker, qui les détestait, assurait Elvis que ses musiciens étaient bien payés. Bill Black avait été le premier à craquer, quittant Elvis pour ne plus jamais revenir. Scotty réussit à s’associer comme ingénieur et producteur dans les studios Fernwood de Ronald “Slim” Wallace. Il enregistra plusieurs maquettes avec Thomas Wayne Perkins, frère de Luther Perkins, guitariste de Johnny Cash. Un jour de 1958, Scotty rencontra par hasard Gerald Nelson qui lui proposa une ballade qu’il venait d’écrire avec son partenaire Fred Burch. Le titre était Tragedy, d’après un cours universitaire sur les tragédies Aristotéliennes. Sam Phillips de Sun Records et Chet Atkins de RCA avaient apprécié mais pensaient que ce slow n’était pas assez country pour eux. Scotty Moore l’enregistra avec Thomas Wayne Perkins et un trio féminin d’étudiantes appelées les Delons, dans les studio Hi Records de Memphis. Trois prises et c’était dans la boîte. Scotty rajouta ensuite un écho Slapback de 17 millisecondes. Il choisit de sortir le disque sur le label Fernwood. Saturday Date / Tragedy fut publié fin 1958. Au printemps suivant, la foudre frappa finalement. Un DJ du Kentucky commença à jouer la face B, la station reçut un déluge de requêtes et ce fut un hit pour Thomas Wayne, qui n’avait que 18 ans. Avec une instrumentation discrète (Scotty Moore sur une Telecaster), un chanteur débutant et des chœurs d’étudiantes, c’était de la pure magie made in Memphis. Le disque s’écoula à un million d’exemplaires et fut n° 8 dans les charts nationales. La chanson fut reprise par The Fleetwood, Brenda Lee, Brian Hyland, Ronnie Dove et plus tard Bette Midler et Wings sur Red Rose Speedway. Le Colonel Parker envoya un mot de congratulations, mais personne ne s’y trompait, Thomas Wayne fut blackmailé et ne trouva jamais un autre label malgré plusieurs enregistrements. Aujourd’hui les droits de Tragedy sont gérés par MPL, la maison d’édition de Paul McCartney, qui possède aussi la contrebasse Kay de Bill Black. Bill Black monta alors le Bill Black Combo avec les hits Smokie (Parts 1&2) et Silver Sands dans le Top 20. Le groupe tourna ensuite avec les Beatles, au Shea Stadium et dans tous les USA.

 Sixties

Lorsqu’Elvis Presley revint aux affaires, tout avait changé: les plus grands artistes de Memphis étaient ses deux anciens Blue Moon Boys, Scotty Moore et Bill Black. Scotty travaillait pour Sam Phillips dans ses studios de Memphis et Nashville. Il proposa à Sam Phillips d’enregistrer un album instrumental marqué du sceau de Memphis comme le Bill Black Combo, les Mar-Keys ou Booker T & The MGs. Phillips ne dit ni oui, ni non. Mais Scotty avait forgé une forte amitié avec le producteur Billy Sherill qui le présenta à Eric Records. …

...That changed the world!

Billy Sherill produisit l’album pour Epic et assembla une équipe All Stars avec Scotty à la lead, les batteurs DJ Fontana et Buddy Harmon, Bob Moore à la basse, Jerry Kennedy à la seconde guitare, Bill Purcell au piano, le sax de Boots Randolph et bien entendu, les Jordanaires. La liste: Face A - Hound Dog, Loving You, Money Honey, My Baby Left Me, Heartbreak Hotel, That’s All Right, Mama. Face B - Milk Cow Blues, Don’t, Mystery Train, Don’t Be Cruel, Love Me Tender, Mean Woman Blues. Chacun jouait sa partie comme sur l’original, sauf Scotty qui remplaçait la voix d’Elvis sur sa Gibson Super 400. Il demanda au Colonel Parker d’écrire les liner notes au dos du disque mais Parker refusa. Scotty déclara: “J’aurais dû inclure un chèque de 5000$!” En tous cas, le disque se vendit mal, sauf chez les guitaristes, une fraternité à part. Il semble que tous ceux qui l’achetèrent formèrent ensuite un groupe. Le vinyle original est difficile à trouver. Comme me le dit un jour le regretté Rory Gallagher: “Je suis fan d’Elvis dans ses jeunes années, quand son groupe avait deux guitares et une contrebasse Kay, si je pouvais remonter dans le temps c’est là que je serais, devant la scène attendant mon tour de dire : “Téléportation, Scotty Moore!” (Cette dernière phrase est une référence à Star Trek). © (Romain Decoret)

Les instruments de Scotty Moore dans leur chronologie :
1952- Fender Esquire et ampli Fender Tweed
1953- Gibson ES 295
1955- Gibson L5 CES Blonde (n°de série A-18195) ampli Echosonic Custom de Ray Butts
1957- Gibson Super 400 CESN (n° de série A-24762) rachetée par Chips Moman
1959- Gibson C5 classique cordes nylon
1963- Gibson Super 400 Sunburst (n°de série 62713)
1987- Gibson Super 100 CESN (n° de série 080253002)

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