jeudi 22 mai 2014

Mon Frasiak…




Mon Frasiak… ou "il ne perd pas son âme, Éric, quand il chante Béranger". Ce sous-titre qui fait écho en forme de clin d'œil à l'article de Maître Chronique intitulé "Le goût du Pére François" est en fait à prendre au premier degré, car c'est bien d'un disque de Frasiak que je vais parler ici.


Certes, il s'appelle "Mon Béranger…" et l'artiste ardenno-meusien reprend dix-sept titres extraits des cinq premiers albums de François, les disques d'avant 1977. Cela me convient bien puisque j'ai longtemps eu pour disque de chevet (et le seul que je possédais à l'époque des vinyles comme je l'avais évoqué ici) le double 33 tours en public paru en 1977, après ces albums studio.

Pour faire bonne mesure, Frasiak (qui pour la circonstance a retrouvé son prénom Éric) a ajouté sa propre composition, "François Béranger", dans une nouvelle version, épurée: "Avec ta grosse voix, ta guitare, tes poings serrés, ta gueule d'anar / Tout c'que tu chantais c'était beau: Paris Lumière, comme un chromo"…

On retient souvent de François Béranger sa voix un peu maladroite et sa guitare, on imagine le chanteur des MJC que l'on considérait comme un grand frère, le soir chantant ses rengaines à la lumière d'un feu de camp. Mais cette image de François est bien trop restrictive et ne correspond pas à ce que furent ses premières années musicales. Ses chansons étaient d'inspiration folk, mais d'un folk urbain. Et si les débuts furent essentiellement acoustiques (collaboration avec le groupe Mormos par exemple), très vite l'environnement électrique, adapté aux thèmes et à l'époque, apparut comme une nécessité, et la rencontre avec Jean-Pierre Alarcen fut déterminante. 

François le révolté, le balladin avec sa guitare en bois et ses chansons un peu faciles (impression en trompe l'oreille due au fait qu'il n'était pas un "chanteur" au sens strict du terme), était surtout un être humain au cœur tendre malgré les blessures, un chef de bande sachant s'entourer des meilleurs musiciens, navigant du bluegrass au rock avec quelques incursions du côté du jazz, capable de remplir des salles de taille respectable. Mais plus que tout, c'était un formidable auteur-compositeur. "Tout ce que tu chantais, c'était beau", écrit Frasiak, et c'est ce que je retiens essentiellement de "Mon Béranger…". Frasiak n'est pas tombé dans le piège de la copie servile et inutile, il a simplement réalisé un acte d'amour dans lequel on a envie de le suivre pendant 78 minutes.

Avant la première écoute, on est un peu angoissé. Quand on aime les deux artistes, on a un peur du loupé, de la déception. Mais on est vite rassuré, les chansons sont de Béranger mais le disque est de Frasiak et, au fil des minutes, la crainte fait place à la certitude, celle d'être l'auditeur privilégié d'un grand moment de chanson française.

J'avais écrit ici, dans un article précédent, tout le bien que je pensais du "Troubadour de Bar leDuc" à propos de son album "Chroniques". Je ne savais pas à ce moment-là que ce disque deviendrait celui que j'aurai sans doute le plus écouté dans mon existence, devenant mon compagnon quotidien pour l'été et une bonne partie de l'automne sans jamais, bien au contraire, provoquer le moindre instant de lassitude. Si j'en reparle aujourd'hui, c'est parce que la magie de "Chroniques", cette faculté à se faire découvrir petit à petit, à chaque écoute, agit de la même manière avec "Mon Béranger…". On retrouve cette espèce d'effeuillage musical où chaque jour révèle avec pudeur un trésor caché, une trouvaille, un détail sans lequel l'édifice n'aurait pas le même équilibre.


Écoutez par exemple les chœurs et les percussions de "Tranche de vie", le dobro acoustique de "Département 26" ou "Tous ces mot terribles", l'introduction de guitare de "Les jours sont courts", l'accordéon et le piano de "La fête du temps", les guitares électriques de "Une ville", la clarinette de "Y'a dix ans". J'arrête ici cette énumération qui deviendrait vite fastidieuse, mais je pourrais citer deux ou trois de ces petites choses apparemment sans importance pour chaque titre, sans savoir ce que me révèlerait l'écoute suivante.

Le choix des titres a été difficile pour Éric (qui n'exclut pas un volume 2) mais l'échantillon me paraît représentatif de l'œuvre de François telle que je la ressens, avec plus de tendresse et d'espoir que de colère gratuite. La dimension du portraitiste est mise en lumière, comme celle du chroniqueur lucide de son temps, qui sait parfois être féroce. Il y a aussi les morceaux de bravoure, épiques, que sont "Manifeste" et le titre fleuve (près de vingt minutes) "Paris-Lumière", raccourci pour la circonstance d'une douzaine de minutes et qui s'avère une des grandes réussites de l'ensemble. Après une ouverture où basse et batterie dialoguent, les claviers entrent en scène avant que les guitares électriques ne donnent leur pleine mesure, comme elles avaient su le faire pour "La poésie" sur "Chroniques".

Un mot des musiciens, car comme le Béranger des années 70, Frasiak n'est pas seul. Il a trouvé son Alarcen à lui en la personne de Jean-Pierre Fara, son fidèle partenaire de scène, dont chaque intervention est comme un rayon de soleil. Mais il y a aussi le multi-claviériste au talent prometteur Benoît Dangien, le batteur Raphaël Schuler et le bassiste Sylvain Collet (les cinq figurent sur la photo du groupe en concert, ci-dessous), l'accordéoniste (canadien) Steve Normandin, et les amis habituels dont aucun n'est là pour faire de la figuration mais pour apporter une pierre indispensable à l'édifice. J'imagine le travail qui a été nécessaire pour parvenir à un tel résultat, j'imagine les nuits blanches passées au Studio Crocodile de Bar le Duc. J'imagine Éric se réveillant au milieu de la nuit parce qu'une nouvelle idée d'arrangement lui était venue. J'imagine… et j'entends un bien bel album de Frasiak qui a rendu à son "vieux maître à chanter" le plus bel hommage qui soit, en donnant à dix-sept de ses chansons un écrin qui met en évidence leur beauté originelle et intrinsèque, sans le déranger, en faisant "un tour là-bas, du côté de l'amour".


Inutile de vous dire qu'il faut écouter "Mon Béranger..." dans les meilleures conditions pour en apprécier pleinement toutes les richesses et subtilités: un vrai disque, avec du bon matériel. Et puis le livret est superbe, avec tous les textes et des photos du jeune Frasiak qui ne savait pas encore que plus de trente ans plus tard il enregistrerait cet album.

Chapeau (rond) Éric, ce disque te ressemble, et ce n'est pas un mince compliment de la part de quelqu'un qui n'aurait pas supporté qu'on abime "son François Béranger". Tu as réalisé, en toute humilité, une belle œuvre, pleine d'amour, sans vendre ton âme. Tu ne joues pas dans la cour des grands, tu en fais partie. Il serait temps que cela se sache.






7 commentaires:

  1. Je crois que j'ai été vite convaincue... Il faudra que je réécoute ce disque à la lumière de tes précisions! Mais j'ai trouvé là grâce à toi un chanteur qui se classe auprès de mes idoles de tout temps... Bon, j'ai encore du travail pour écouter-réécouter le five-pack que j'ai acheté en même temps que "Mon Béranger"...

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  2. d'accord avec toi sur ces supers disques d'Eric, de "parlons nous" à "chroiques" puis "mon béranger", c'est de mieux en mieux, le concert de venelles était un ravissement et à la maison on adore "mon béranger", nous qui étions au même concert qu'éric à reims en 1982 (concert dont éric a précieusement gardé le ticket et qu'on voit dans l'album) les cabri !

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  3. Eric m'a appelé hier soir. Il est vraiment ravi de voir que "Mon Béranger..." est si bien reçu et compris. Il était quand même un peu inquiet avant de lire toutes ces belles chroniques (la mienne n'étant que la dernière d'une liste qui va s'allonger, je n'en doute pas).
    Maître Chronique: il nous a traités de "sacrée famille"!
    Sister: Eric m'a dit que tu lui avais acheté "the whole enchilada"... Mais peut-être pas le DVD enregistré à Pornic en 2011?
    Corinne: j'imagine votre bonheur d'assister à ce concert. Et puis Eric nous a permis de nouer des contacts sur facebook. Transmets mes amitiés à Patrick.

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  4. En effet je n'ai pas encore le DVD...

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  5. c'est vrai qu'éric nous a permis de nouer des contacts, et on se découvre amoureux de béranger et de frasiak, une grande famille - notamment aussi depuis que je suis dans le groupe "si ça vous chante sur facebook" - je ne connais pas le dvd de pornic mais peut être qu'il refera un live un de ces jours amitiés transmises.

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  6. Ce qui est marrant, Coco, c'est que j'étais à Pornic deux jours avant l'enregistrement du DVD, mais je ne le savais pas (et je ne connaissais Éric que de nom, mis à part le clip de "Bar le Duc City Blues".
    Connais-tu le (double) DVD consacré à Henri Tachan? Un must! Je ne sais pas s'il est disponible à l'achat...
    http://www.henritachandvd.fr/

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