vendredi 18 novembre 2011

John Shannon - American Mystic Music

John Shannon & Wings Of Sound: Songs of the Desert River
ObliqSound / Creek Valley Records OSD-CD-CV902 (distribution Naïve)


On éprouve toujours besoin de coller des étiquettes sur les artistes. Par exemple, Gram Parsons était catalogué comme un chanteur country, alors qu'il faisait de la Cosmic American Music (selon ses propres termes). John Shannon, lui, est souvent classé comme un artiste folk, on le compare parfois à Tim Buckley, Nick Drake ou John Martyn. J'ai envie que l'on oublie toutes ces références et que l'on considère simplement qu'il fait de l'American Mystic Music (du titre de son premier album, "American Mystic" paru en 2008). Bien sûr, si l'on me pousse un peu, je dirai qu'une comparaison avec Tim Buckley, dans ses moments, les plus apaisés ne me choque pas, mais je n'irai pas plus loin. Et puis John Shannon est vivant, et cela fait une sacrée différence!

J'ai reçu une copie promo de ce disque en juin, le jour où j'apprenais la disparition de Xroads pour lequel je devais le chroniquer. Je l'ai écouté, distraitement, et puis je l'ai un peu oublié. Quand j'ai appris qu'il sortait fin octobre en distribution française chez Naïve, je l'ai recherché au milieu de piles de disques dont je ne parlerai jamais, et l'ai réécouté, parce que j'avais donné ma parole d'en faire une chronique. Et j'ai repensé à un éditorial de Christophe Goffette qui comparait la mal-écoute (musicale) à la mal-bouffe. Trop, trop vite, et sans beaucoup d'attention, c'est ainsi que l'on écoute la musique aujourd'hui, des "trop" qui se résument en un "pas assez". Trop de quantité, pas assez de qualité.

C'est toujours une erreur. Avec John Shannon, cela devient une faute. Parce que l'on écoute pas John Shannon & Wings Of Sound distraitement. Ce n'est pas un disque qui viendra à vous si vous ne le désirez pas. Alors un conseil, faites le vide autour de vous, et le silence surtout. Mettez un casque, de préférence, montez le son, mais pas trop, et écoutez "Songs of the Desert River".

Wings Of Sound, c'est le groupe de scène de John. On y rencontre Caroline McMahon aux voix, Dan Brantigan au flügelhorn (en Français le bugle, à ne pas confondre avec le bugle des Anglais qui est notre clairon), Garth Stephenson à la basse acoustique et Ziv Ravitz à la batterie discrète.

"Songs of the Desert River", c'est onze compositions de John Shannon, onze chansons qu'il nous délivre d'une voix tout en retenue, créant un un décor musical dans lequel il nous invite à prendre place. On prend ou on laisse, mais on ne pénètre pas dans l'univers de John Shannon sans au minimum un effort, celui d'entrer. Certains resteront à la porte, car c'est un disque difficile, un disque qui se mérite. Ce qui ne signifie pas qu'il est aride, bien au contraire, il dégage une véritable chaleur, un sentiment d'intimité qui fait que passé l'effort initial, on se sent chez soi.

Les mélodies sont ici remarquables, d'une fragilité qui fait que l'auditeur retient son souffle, chaque note semble comme suspendue à une invisible toile arachnéenne, la voix se livre rarement, ce qui la rend audible,  paradoxe apparent, imposant le silence et la qualité de l'écoute. Cette voix est claire et nette, elle habite réellement l'espace sonore, aidée en cela par les harmonies hantées de Caroline McMahon et le bugle nostalgique (c'est presque un pléonasme) et omniprésent de Dan Brantigan. La qualité de la production de Michele Locatelli n'est pas pour rien dans ce résultat.

Les titres eux-même donnent une idée de l'ambiance: "Darkness" (qui ouvre l'album et lui confère sa tonalité, celle d'une obscurité lumineuse), "Desert River", "Forever Is When", "Tell The Morning", "Into The Unknown". Les quarante-cinq minutes passent sans un seconde d'ennui, les mots sont simples et beaux, pleins d'une puissance évocatrice. Un morceau comme "Hurricane" est délivré de manière très paisible, dans un calme qui est celui de l'oeil du cyclone, et porte pourtant des images qui défilent devant nos yeux.

Calme et beauté, voilà deux mots qui résument parfaitement "Songs of the Desert River", un disque qui, au moins pendant quelque temps, ne laisse pas intact, un disque qui ne se livre pas totalement et garde une part de mystère qui s'estompera peut-être au fil des écoutes.

Alors je le répète, oubliez les préjugés, oubliez les comparaisons et les étiquettes, écoutez, tout simplement, mais écoutez vraiment.

mercredi 9 novembre 2011

Peter Knapp & Company - Carré d'As

Music Marketing Genius

Peter Knapp fait la promotion des artistes. C'est un génie du marketing musical (ce n'est pas moi qui le dis). Mais attention, c'est un bon génie, celui de la lampe merveilleuse des mille et une musiques. Avec lui, l'expression "Music Business" a un sens qui n'est pas péjoratif car Peter aime la musique et les artistes. J'avais déjà évoqué ici Emma Hill and her Gentlemen Callers et The Twilite Broadcasters. Je vais aujourd'hui vous présenter sommairement 4 autres disques, sur lesquels je reviendrai (sans doute) plus tard. Les voici, par ordre d'apparition dans ma boîte aux lettres...


Brian Ledford and the Cadillac Desert "From Sunlight Into Shadow"


Deuxième album de Brian Ledford, cette fois-ci avec son propre groupe, The Cadillac Desert. Quelques-un des meilleurs musiciens de la scène de Seattle sont au rendez-vous parmi lesquels le guitariste Matt Brown qui produit aussi l'album. Huit titres entre rock et country, qui plairont autant aux amateurs de Clash qu'à ceux des Flatlanders ou de Johnny Cash, nous emmènent dans un voyage musical où il est question d'amour et de rédemption, de trahison et de désespoir. À noter également la présence de Carla Torgenson, des Walkabouts.


Arty Hill "Another Lost Highway"


Arty Hill, entouré de ses Long Gone Daddys, n'est pas un nouveau venu mais c'est pour moi une belle découverte. Si vous cherchez quelqu'un qui sait préserver le côté traditionnel de la country music tout en y ajoutant une belle dose de modernité, si vous aimez le vrai honky-tonk (celui-qui se situe entre Johnny Cash - encore - et Jason Ringenberg), alors vous adorerez "Another Lost Highway", un disque qui fleure bon l'Amérique des grands espaces. À noter la présence émouvante, au dobro et à la lap steel, de Dave Giegerich, disparu en fin d'année 2010, pendant l'enregistrement.


The Steel Wheels "Live At Goose Creek"

 

Avec les Steel Wheels, on aborde un autre genre, qui va du blues au bluegrass, dans la tradition, finalement, des string-bands. Le groupe comporte quatre musiciens: Trent Wagler (voix, guitare, banjo), Jay Lapp (mandoline, guitares, voix), Brian Dickel (basse, voix) et Eric Brubaker (violon, voix). Après un album studio, le quatuor nous propose ici un enregistrement public dans lequel il donne sa pleine mesure. À leur sujet, on évoque des confrères comme les Avett Brothers, Old Crow Medicine Show, Gillian Welch, Darrell Scott. Ces références ne sont pas usurpées. La "musicienneté" du groupe est au top niveau et les compositions originales de Trent Wagler donnent à l'ensemble une dimension mélodique du meilleur aloi.


Boca Chica "Get Out Of Sin City"


Le titre de l'album fait penser à Gram Parsons, même si le "Sin City" de cet album n'a rien à voir avec celui des Burritos (en revanche, on retrouve une reprise de "Do Right Woman" qui figurait également au répertoire de ce groupe). Les chroniqueurs évoquent, à propos de Boca Chica une espèce de croisement entre Neil Young, tendance "Harvest", et Neko Case. Ce qui est certain, c'est qu'il se dégage de cet album une ambiance originale, au caractère hypnotique, qui envoûte rapidement l'auditeur. Le leader de ce groupe est une jeune femme, Hallie Pritts, qui compose huit des dix titres du disque. Pour l'anecdote, c'est Hallie qui m'avait fait découvrir Emma Hill dont elle était l'agent, il y a quelques mois, et je n'ai découvert qu'à la réception de ce "Get out Of Sin City", qu'lle était aussi une singer-songwriter de grand talent.


Ce carré d'as balaie la plus grande partie du spectre de ce qu'on appelle l'Americana. Chacun de ces albums est vivement conseillé, car le principal dénominateur commun en est une rare qualité. Laissez-vous tenter, le disque n'est pas mort, et l'on a ici une belle illustration du fait que, jamais sans doute, la production musicale n'a été aussi riche!