lundi 26 mai 2014

Old Friends



Old friends… ou It's like you never left

Il y a un peu plus de cinq ans, j'avais écrit pour Xroads (#16) une chronique de l'album que Dave Mason venait de publier


DAVE MASON ****
26 Letters – 12 Notes
Out The Box Records (http://www.dave-mason.com)
12 cartes postales
La période est décidément propice au retour des anciens. Sans doute une conséquence de la crise qui nous pousser à chercher refuge dans les valeurs sûres. Et Dave Mason en est une, pour sûr! Plus de 40 ans après l'immortel "Feelin' Alight", composé pour Traffic, plus de 20 ans après son dernier album studio en solo "Some Assembly Required", plus de 10 ans après une participation à l'aventure Fleetwood Mac avec Time, il nous revient meilleur que jamais. Car Dave est comme un vin millésimé, se bonifiant avec le temps, loin des lumières d'une gloire qu'il n'a jamais vraiment recherchée. Son régime, pendant toutes ces années, c'était plutôt un rythme d'une centaine de concerts par an, avec le Dave Mason Band, dont il reste quelques témoignages discographiques distribués confidentiellement. "26 Letters – 12 Notes" est la preuve éclatante du talent de notre homme, qu'il s'agisse du songwriter, du chanteur ou, surtout, du guitariste. Des titres comme "Let Me Go" et "How Do I Get To Heaven" (signé par le regretté Jim Capaldi, batteur de Traffic) évoque les meilleurs moments guitaristiques de son ami Clapton; "Passing Thru The Flame" met le chanteur en valeur; "That's Love" avec son côté funky (familer chez Dave), le rock and rollesque "Ain't Your Legs Tired Baby" et l'intrumental "El Toro" nous démontrent que Dave est à l'aise dans des ambiances très différentes. Cest d'ailleurs le parti pris de l'album: marier les climats, varier les rythmes, sans un instant de faiblesse, plutôt que de chercher une unité de ton qui ne ferait que niveler l'ensemble au détriment de sa qualité intrinsèque. Parmi les participants, on note la présence de Sheila E (Escovedo) ex-choriste de Prince, les fidèles Mike Finnigan et Johnne Sambataro ainsi que Jaime Hanna et Jonathan McEuen, fils de 2 membres du Nitty Gritty dirt Band. Ces "26 Letters" – 12 Notes constituent un bien bel album de cartes postales envoyées par un vieil ami perdu de vue depuis trop longtemps.
À ranger près de "Dave Mason Is Alive", "It's Like you Never Left" et "Old Crest On A new Wave", aux titres prémonitoires.

Dave revient aujourd'hui avec un nouveau disque intitulé "Future's Past", un peu particulier dans la mesure où il est essentiellement constitué de titres déjà publiés et retravaillés. Comme l'écrivait un confrère avisé, citant les vétérans du rock: "autrefois, on allait sur la route pour promouvoir un disque, désormais on enregistre un disque pour faire la promotion d'une nouvelle tournée". C'est ce qui a guidé Dave Mason, sur la route avec son Traffic Jam Tour, débuté en janvier et qui durera pratiquement toute l'année.



C'est ainsi qu'ont été revisités "Dear Mr. Fantasy" et "You Can All Join In", deux titres de Traffic, deux anciens titres de Dave, "World's In Changes" et le superbe "As Sad And Deep As You", ainsi que trois morceaux de "26 Letters – 12 Notes" (Good 2 You", "El Toro" et "How Did I Get To Heaven"). S'y ajoutent une reprise de Robert Johnson (Come On In My Kitchen") et, pour terminer, la seule vraie composition originale: "That's Freedom".


On pourrait craindre que tout cela ne sente le réchauffé, mais l'énergie déployée par Dave avec ses musiciens et ses invités (parmi lesquels Joe Bonamassa sur "Dear Mr. Fantasy") devient vite communicative. Par ailleurs, la nouvelle version de la ballade "Sad And Deep As You" (ma chanson préférée de Dave) justifie à elle seule l'acquisition de "Future's Past".



John Mayall nous avait laissés en 2009 avec un album, "Tough", qui démontrait que, malgré son âge respectable, il fallait encore compter avec lui.

Pour ses 80 ans (qu'il a fêtés le 29 novembre dernier), le parrain du British blues nous offre (enfin, disons plutôt qu'il le vend) "A Special Life" qu'il a enregistré en moins de 5 jours, peut avant son anniversaire. Les musiciens sont les mêmes que sur "Tough", et même s'ils ne s'appellent plus les Bluesbreakers, l'esprit est le même. Rocky Athas est à la guitare, Greg Rzab à la basse et Jay Davenport à la batterie. John se charge des claviers et de l'harmonica (il tient même la guitare lead sur deux titres). Un seul invité, C.J. Chenier, vient se joindre au quatuor pour chanter sur deux titres, jouant de l'accordéon sur l'un des deux: "Why Did You Go Last Night, autrefois interprété par son père Clifton Chenier.


À trois compositions originales de Mayall s'ajoute une ancienne, "Heartache", que John avait déjà publiée sur "John Mayall Plays John Mayall", son premier album, en 1965, et une œuvre de Greg Rzab ("Like A Fool").

Les autres titres de l'album sont des reprises de maîtres du blues: Albert King ("Floodin' In California"), Jimmy Rogers ("That's All Right"), Eddie Taylor ("Big Town Playboy"), Jimmy McCracklin ("I Just Got To Know") et l'ancien partenaire Sonny Landreth ("Speak Of The Devil").

Le répertoire est solide, le groupe est uni et, comme d'habitude avec John, tout est précis et concis, sans une note qui paraisse superflue. Le Maître lui-même semble au mieux de sa forme et nous propose un grand bon moment de musique, hors du temps.


jeudi 22 mai 2014

Mon Frasiak…




Mon Frasiak… ou "il ne perd pas son âme, Éric, quand il chante Béranger". Ce sous-titre qui fait écho en forme de clin d'œil à l'article de Maître Chronique intitulé "Le goût du Pére François" est en fait à prendre au premier degré, car c'est bien d'un disque de Frasiak que je vais parler ici.


Certes, il s'appelle "Mon Béranger…" et l'artiste ardenno-meusien reprend dix-sept titres extraits des cinq premiers albums de François, les disques d'avant 1977. Cela me convient bien puisque j'ai longtemps eu pour disque de chevet (et le seul que je possédais à l'époque des vinyles comme je l'avais évoqué ici) le double 33 tours en public paru en 1977, après ces albums studio.

Pour faire bonne mesure, Frasiak (qui pour la circonstance a retrouvé son prénom Éric) a ajouté sa propre composition, "François Béranger", dans une nouvelle version, épurée: "Avec ta grosse voix, ta guitare, tes poings serrés, ta gueule d'anar / Tout c'que tu chantais c'était beau: Paris Lumière, comme un chromo"…

On retient souvent de François Béranger sa voix un peu maladroite et sa guitare, on imagine le chanteur des MJC que l'on considérait comme un grand frère, le soir chantant ses rengaines à la lumière d'un feu de camp. Mais cette image de François est bien trop restrictive et ne correspond pas à ce que furent ses premières années musicales. Ses chansons étaient d'inspiration folk, mais d'un folk urbain. Et si les débuts furent essentiellement acoustiques (collaboration avec le groupe Mormos par exemple), très vite l'environnement électrique, adapté aux thèmes et à l'époque, apparut comme une nécessité, et la rencontre avec Jean-Pierre Alarcen fut déterminante. 

François le révolté, le balladin avec sa guitare en bois et ses chansons un peu faciles (impression en trompe l'oreille due au fait qu'il n'était pas un "chanteur" au sens strict du terme), était surtout un être humain au cœur tendre malgré les blessures, un chef de bande sachant s'entourer des meilleurs musiciens, navigant du bluegrass au rock avec quelques incursions du côté du jazz, capable de remplir des salles de taille respectable. Mais plus que tout, c'était un formidable auteur-compositeur. "Tout ce que tu chantais, c'était beau", écrit Frasiak, et c'est ce que je retiens essentiellement de "Mon Béranger…". Frasiak n'est pas tombé dans le piège de la copie servile et inutile, il a simplement réalisé un acte d'amour dans lequel on a envie de le suivre pendant 78 minutes.

Avant la première écoute, on est un peu angoissé. Quand on aime les deux artistes, on a un peur du loupé, de la déception. Mais on est vite rassuré, les chansons sont de Béranger mais le disque est de Frasiak et, au fil des minutes, la crainte fait place à la certitude, celle d'être l'auditeur privilégié d'un grand moment de chanson française.

J'avais écrit ici, dans un article précédent, tout le bien que je pensais du "Troubadour de Bar leDuc" à propos de son album "Chroniques". Je ne savais pas à ce moment-là que ce disque deviendrait celui que j'aurai sans doute le plus écouté dans mon existence, devenant mon compagnon quotidien pour l'été et une bonne partie de l'automne sans jamais, bien au contraire, provoquer le moindre instant de lassitude. Si j'en reparle aujourd'hui, c'est parce que la magie de "Chroniques", cette faculté à se faire découvrir petit à petit, à chaque écoute, agit de la même manière avec "Mon Béranger…". On retrouve cette espèce d'effeuillage musical où chaque jour révèle avec pudeur un trésor caché, une trouvaille, un détail sans lequel l'édifice n'aurait pas le même équilibre.


Écoutez par exemple les chœurs et les percussions de "Tranche de vie", le dobro acoustique de "Département 26" ou "Tous ces mot terribles", l'introduction de guitare de "Les jours sont courts", l'accordéon et le piano de "La fête du temps", les guitares électriques de "Une ville", la clarinette de "Y'a dix ans". J'arrête ici cette énumération qui deviendrait vite fastidieuse, mais je pourrais citer deux ou trois de ces petites choses apparemment sans importance pour chaque titre, sans savoir ce que me révèlerait l'écoute suivante.

Le choix des titres a été difficile pour Éric (qui n'exclut pas un volume 2) mais l'échantillon me paraît représentatif de l'œuvre de François telle que je la ressens, avec plus de tendresse et d'espoir que de colère gratuite. La dimension du portraitiste est mise en lumière, comme celle du chroniqueur lucide de son temps, qui sait parfois être féroce. Il y a aussi les morceaux de bravoure, épiques, que sont "Manifeste" et le titre fleuve (près de vingt minutes) "Paris-Lumière", raccourci pour la circonstance d'une douzaine de minutes et qui s'avère une des grandes réussites de l'ensemble. Après une ouverture où basse et batterie dialoguent, les claviers entrent en scène avant que les guitares électriques ne donnent leur pleine mesure, comme elles avaient su le faire pour "La poésie" sur "Chroniques".

Un mot des musiciens, car comme le Béranger des années 70, Frasiak n'est pas seul. Il a trouvé son Alarcen à lui en la personne de Jean-Pierre Fara, son fidèle partenaire de scène, dont chaque intervention est comme un rayon de soleil. Mais il y a aussi le multi-claviériste au talent prometteur Benoît Dangien, le batteur Raphaël Schuler et le bassiste Sylvain Collet (les cinq figurent sur la photo du groupe en concert, ci-dessous), l'accordéoniste (canadien) Steve Normandin, et les amis habituels dont aucun n'est là pour faire de la figuration mais pour apporter une pierre indispensable à l'édifice. J'imagine le travail qui a été nécessaire pour parvenir à un tel résultat, j'imagine les nuits blanches passées au Studio Crocodile de Bar le Duc. J'imagine Éric se réveillant au milieu de la nuit parce qu'une nouvelle idée d'arrangement lui était venue. J'imagine… et j'entends un bien bel album de Frasiak qui a rendu à son "vieux maître à chanter" le plus bel hommage qui soit, en donnant à dix-sept de ses chansons un écrin qui met en évidence leur beauté originelle et intrinsèque, sans le déranger, en faisant "un tour là-bas, du côté de l'amour".


Inutile de vous dire qu'il faut écouter "Mon Béranger..." dans les meilleures conditions pour en apprécier pleinement toutes les richesses et subtilités: un vrai disque, avec du bon matériel. Et puis le livret est superbe, avec tous les textes et des photos du jeune Frasiak qui ne savait pas encore que plus de trente ans plus tard il enregistrerait cet album.

Chapeau (rond) Éric, ce disque te ressemble, et ce n'est pas un mince compliment de la part de quelqu'un qui n'aurait pas supporté qu'on abime "son François Béranger". Tu as réalisé, en toute humilité, une belle œuvre, pleine d'amour, sans vendre ton âme. Tu ne joues pas dans la cour des grands, tu en fais partie. Il serait temps que cela se sache.